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L’alphabet gotique est un alphabet utilisé exclusivement pour noter la langue gotique de Wulfila, de la Skeireins et de divers manuscrits en langue gotique. C'est un alphabet original inventé vraisemblablement par Wulfila lui-même[réf. nécessaire]. Il n'a rien à voir avec ce qu'on appelle communément les « lettres gothiques », qui sont, elles, des lettres de l'alphabet latin telles qu'écrites en Occident dans les manuscrits du XIIe au XIVe siècle, devenues plus tard ce que l'on désigne en Allemagne sous le terme de Fraktur.
Attestations
Cet alphabet a été principalement utilisé au VIe siècle de l'ère chrétienne dans deux manuscrits postérieurs à Wulfila (qui a vécu à la fin du IVe siècle), le Codex Ambrosianus et le Codex Argenteus. D'autres documents l'attestent, profanes et sacrés, et les derniers textes sont datés du IXe siècle (à une époque où la langue n'était vraisemblablement plus parlée). L'alphabet gotique n'a pas été la seule écriture possible de cette langue : on trouve aussi quelques inscriptions en runes germaniques.
L'alphabet gotique est principalement une adaptation de l'alphabet grec (dans sa graphie onciale) assorti de trois caractères de l'onciale latine ainsi que cinq empruntés aux runes germaniques (d'après une interprétation courante)[1]. Chaque lettre possède une valeur numérale par imitation de la numération grecque et deux d'entre elles n'ont pas d'autre fonction. L'article Numération gotique décrit le fonctionnement de cette numération. Ernst Ebbinghaus (cf. bibliographie) repère deux moutures de l'alphabet (type en S et type en Σ), selon la forme de la lettre pour s et l'utilisation de la suspension nasale (pratique consistant à remplacer les consonnes nasales finales par un signe abréviatif).
Transcription / Translittération
On le translittère dans les ouvrages scientifiques et didactiques au moyen d'une partie de la transcription des germanistes, à savoir l'alphabet latin augmenté de deux signes spéciaux : la ligatureǶ, ƕ (h + w) et la lettre Þ, þ (empruntée au vieil anglais).
La notation de Wulfila étant souvent ambiguë (un même digramme𐌰𐌹 / ai pouvant, par exemple, noter [ai], [ɛ] ou [ɛː]), la transcription a recours à des diacritiques pour lever les difficultés de lecture.
On consultera Phonologie du gotique pour des précisions sur la prononciation de la langue.
Liste des graphèmes
On a représenté ici le type en S de l'alphabet[2]. Les noms des lettres, ecrit dans Vieux Anglais, apparaissent dans un manuscrit d'Alcuin du IXe siècle. Les noms d'Alcuin sont à gauche et les noms gotiques reconstruits ou attestés sont à droite. Les noms gotiques reconstruits sont marqués d'un asterisqué.
L'étymon grec indiqué donne la lettre grecque (dans sa graphie onciale) à l'origine de la lettre gotique. Seulement le digamma est donné en graphie archaïque. À côté sont données les possibles étymologies ou influences latines (sur un fond rouge) et runiques (fond bleu).
Difficultés d'interprétation
Les étymons proposés ne sont que des conjectures représentant l'interprétation courante de l'origine des lettres gotiques : en effet, plusieurs possibilités existent quant à l'origine de certaines, comme , qui pourrait aussi provenir des runes, d'autant plus que ces mêmes runes sont en partie bâties sur l'alphabet latin.
L'origine de la lettre soulève des problèmes d'interprétation. On peut la faire remonter au koppa grec dans sa graphie onciale, , ce qui n'est pas sans soulever un paradoxe : le signe numéral provenant clairement du koppa oncial, on voit mal comment deux tracés différents auraient pu naître d'un seul et même étymon. La solution la plus efficace semble être de faire dériver la lettre du stigma dans sa graphie onciale (actuellement Ϛ), (qui a remplacé le digamma), dont le tracé est très proche du koppa oncial et qui expliquerait la similitude frappante entre la lettre et le signe . Les deux auraient évolué en suivant les mêmes simplifications (consulter l'article sur la numération gotique pour plus de détails sur le signe pour 90). Dans ce cas, Wulfila n'a pas utilisé la lettre en respectant une quelconque valeur phonétique puisque le Ϛ note /st/ (et remplace un ancien digamma valant /w/) mais s'est servi d'un emplacement disponible dans l'alphabet grec numéral (stigma étant une ligature abréviative et non une lettre) lui permettant d'ajouter une lettre pleine dont la prononciation était inconnue du grec byzantin tout en conservant sa valeur numérale. La lettre latine Q onciale pourrait aussi être à l'origine de cette lettre, mais cette hypothèse est bien moins probante.
D'autre part, les signes pour 90 () et 900 () sont bien issus du grec : ce sont les avatars des lettres archaïques grecques koppa et sampi conservées dans la numération grecque, lettres qui, ayant perdu leur statut de caractères littéraux, se sont déformés pendant l'époque byzantine, au point que de Ϙ l'on est arrivé la forme actuelle Ϟ en passant par Ҁ, qui donne et que de Ͳ l'on est arrivé à Ϡ, via une graphie (en fait, le passage d'une graphie à l'autre est plus complexe) qui explique la lettre gotique .
Certains spécialistes, dont Ernst Hebbinghaus (cf. bibliographie), considèrent qu'on peut faire dériver toutes les lettres de l'onciale grecque. Si cette hypothèse peut se vérifier pour , que l'on fait dériver traditionnellement de la rune ᚦ mais qu'on pourrait interpréter comme l'adaptation de (dérivation possible phonétiquement puisqu'en grec byzantin θ se prononçait [θ], comme ), c'est moins évident avec d'autres lettres. Par exemple, peut difficilement remonter au oméga grec, tracé à l'époque et non Ω (graphie qui, pour le coup, pourrait être satisfaisante). D'autres difficultés sont soulevées avec , qu'il semblerait bien plus simple de faire remonter à un F latin qu'à la rune ᚠ ou au grec .
Autres signes
L'alphabet gotique est unicaméral (il ne fait pas la différence entre capitales et minuscules) et s'écrit en scriptio continua, c'est-à-dire que tous les mots sont attachés, sans espace entre eux.
On place dans les manuscrits un tréma sur le i quand la lettre est à l'initiale du mot, à l'initiale d'une syllabe après voyelle (pour la distinguer d'une diphtongue, vraie ou fausse et indiquer que le i n'appartient pas à la syllabe précédente) : ïk (« je », cf. allemand ich), gaïddja (ga-iddja ; « je suis passé », prétérit de ga-gaggan).
La ligne suscrite indique des abréviations : gþ̅ représente guþ (« Dieu », cf. anglais God).
Quant aux ponctuations, les manuscrits utilisent le point médian « · » et le deux-points « : » comme indicateurs de pauses. Parfois, l'espace joue ce rôle. Lorsque les lettres sont utilisées comme symboles numéraux, elles sont entourées de points médians ou bien surlignées et/ou soulignées.
L'alphabet gotique est maintenant inclus dans le plan multilingue supplémentaire d'Unicode, des emplacements U+10330 à U+1034F.
D'autre part, quelques inscriptions seraient rédigées au moyen des runes germaniques.
Exemple de texte en gotique
Le texte suivant est codé directement ; il est possible qu'il soit illisible car il nécessite que le système accepte les caractères Unicode du plan multilingue supplémentaire et qu'une police possédant les caractères gotiques soit installée (pour plus de détails, consulter le site d'Alan Wood).
(Ponctuation et espaces ajoutées dans la transcription pour faciliter la lecture)
« Quand Jésus eut dit cela, il sortit avec ses disciples sur les bords du Kédron, là où il y avait un jardin dans lequel il entra avec ses disciples. Judas, qui le trahissait, connaissait ce lieu parce que Jésus et ses disciples s'y réunissaient souvent. »
Outre les ouvrages indiqués dans la bibliographie de l'article sur le gotique, on pourra aussi se référer à :
(en) Ernst Ebbinghaus, « The Gothic Alphabet », dans Peter T. Daniels et William Bright, World’s Writing Systems, Oxford, Oxford University Press,
(nl) l'illustration 25 de la Vergelijkende taalwetenschap (« Grammaire comparée [des langues indo-européennes] ») de R. S. P. Beekes, Het Spectrum, Utrecht, 1990.
(en) Fausto Cercignani, « The Elaboration of the Gothic Alphabet and Orthography », Indogermanische Forschungen, no 93, , p. 168-185
(en) Sydney Fairbanks et F. P. Magoun Jr., « On writing and printing Gothic », Speculum, vol. 15, no 3, , p. 313-330 (DOI10.2307/2855208)
(en) Francis P. Magoun Jr., « On writing and printing Gothic II », Speculum, vol. 22, no 4, , p. 621-625 (DOI10.2307/2853140)