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Archétype du ballet romantique, Giselle semble bien être la plus ancienne chorégraphie du répertoire née de la convergence de multiples sources créatrices : Espagne, Allemagne, Italie et France.
Fantômes, poème de Victor Hugo publié dans Les Orientales en 1829, rapporte qu'une jeune Espagnole, par excès d'amour, danse jusqu'à en mourir.
On trouve la première évocation des wilis (ou willis) - ces spectres de jeunes fiancées défuntes, mi-nymphes, mi-vampires, qui poursuivent leurs fiancés pour les précipiter dans la mort - dans le recueil d'Heinrich Heine intitulé De l'Allemagne et paru en 1835.
Heine inspire à son tour le Français Théophile Gautier qui en suggère l'argument à Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges, lequel écrira le livret que son compatriote, Adolphe Adam, mettra en musique. Jean Coralli et Jules Perrot en établiront la chorégraphie[1]. Perrot arrange les danses destinées à la créatrice du rôle, Carlotta Grisi, étoile italienne, qui a pour partenaire Lucien Petipa (le frère de Marius, plus connu pour son règne sur la scène chorégraphique de Saint-Pétersbourg et son influence qui dure encore).
L'argument du ballet est le suivant : en apprenant qu'Albrecht, qu'elle aime, est le noble fiancé d'une princesse, Giselle, paysanne naïve, meurt. La reine des Wilis, esprit de jeunes filles mortes vierges, décide qu'Albrecht doit suivre Giselle dans la tombe. Il est condamné à danser jusqu'à la mort par épuisement. Mais l'esprit de Giselle, en dansant avec lui, arrive à le sauver.Giselle reprend le thème traditionnel de l'amour plus fort que la mort qui remonte au mythe d'Orphée et d'Eurydice pour atteindre son apogée au milieu du XIXe siècle et tout au long des décennies suivantes dans les drames wagnériens.
Giselle est créé à Paris le à l'Académie royale de musique (devenue l'Opéra de Paris), avec Carlotta Grisi dans le rôle-titre, le jour de ses 22 ans[2]. Adèle Dumilâtre tient le rôle de Myrtha, la reine des Wilis, Lucien Petipa celui d’Albrecht, le chorégraphe Jean Coralli joue Hilarion. Grisi transcende son rôle : les critiques sont dithyrambiques ; des laudateurs vantent la légèreté de sa grâce : elle semble voler. Plus prosaïquement, le critique Edwin Denby signale que Carlotta Grisi utilise des fils dans le deuxième acte de Giselle pour « amplifier » ses sauts[3].
Avec son succès dans Giselle, le salaire à l'Opéra de Carlotta Grisi passe de 5 000 à 12 000 francs en 1842 et augmentera encore ; ces prétentions pécuniaires agaceront l'Opéra qui traînera la ballerine en justice où elle perdra en 1845[4].
Adam doit sa notoriété à cet archétype du ballet romantique, d'une grande richesse mélodique :
« La musique de Monsieur Adam est supérieure à la musique ordinaire des ballets ; elle abonde en motifs, en effets d'orchestre ; elle contient même, attention touchante pour les amateurs de musique difficile, une fugue très bien conduite. Le second acte résout heureusement ce problème musical du fantastique gracieux et plein de mélodie. »
« Qu'a donc fait Adolphe Adam dans Giselle ? Non seulement il a fait la musique la plus symphonique qu'il a pu, mais il a donné dans ce qu'on est convenu d'appeler la musique savante ; il a fait danser les Wilis sur une fugue, une vraie fugue classique, assez étonnée, à vrai dire, de se trouver là. Il a fait aussi, dans Giselle, de vrais airs de danse […] Y avait-il donc, dans cet ennemi de la musique sérieuse et de la symphonie (Adolphe Adam), un symphoniste qui s'ignorait ? Le plus célèbre de ses ballets, Giselle, est un pur chef-d'œuvre […] L'instrumentation en est originale, colorée, merveilleuse. »
— Camille Saint-Saëns, Écrits sur la musique et les musiciens, Vrin, 1870-1921.
« Giselle est un bijou, poétique, musical et chorégraphique », déclarait Tchaïkovski, qui relisait toujours la partition d'Adam avant d'écrire un nouveau ballet[5].
Dès la création, les caprices chorégraphiques insérèrent à la partition d'Adam, un morceau alors très en vogue, "Souvenir de Ratisbonne", dû à Johann Friedrich Burgmüller. A l'acte I du ballet, ce morceau devint le "Pas-de-deux des jeunes paysans"... Oublié aujourd'hui, Burgmüller composa un ballet l'année suivante, de nouveau sur un livret de Théophile Gautier, "La Péri".
En 1841, un an après la première prestation de Carlotta Grisi à Londres, une version fantastique et mélodramatique de Giselle fut présentée sur une scène londonienne sous le titre : Giselle or the Phantom Night Dancers[6].
Devenu le maître de ballet au Théâtre impérial Mariinski, Marius Petipa montera Giselle en 1887, marquant le début de l'approche moderne de ce ballet, approche qui perdure depuis lors.
Giselle, jeune paysanne, aime Albrecht, qui lui a juré fidélité. Elle danse en son honneur, oubliant les remontrances de sa mère, qui lui rappelle l’histoire des wilis, ces jeunes filles transformées en fantômes pour avoir trop dansé. Amoureux de Giselle, le garde-chasse Hilarion découvre qu’Albrecht n’est autre que le duc de Silésie, fiancé à la fille du duc de Courlande. Devant tous, il révèle l’identité de son rival. Giselle en perd la raison et s’effondre sans vie.
Venus vient se recueillir le soir sur la tombe de Giselle, Hilarion et Albrecht sont la proie des wilis et de leur reine, l’implacable Myrtha, qui les condamne à danser jusqu’à la mort. Sortant de sa tombe, Giselle, nouvelle wili, tente en vain d’intervenir. Albrecht ne sera sauvé que par les premières lueurs de l’aube qui font rentrer les wilis dans leurs tombes.
2014 : Toa Frazer réalise un film intitulé Giselle(en) avec le Ballet national de Nouvelle-Zélande. Giselle est dansé par l'américaine Gillian Murphy et Albrecht par le chinois Qi Huan.
2019 : Léopold Gautier réalise une adaptation en film-ballet qui replace l'action de l'œuvre à Paris de nos jours, avec Pauline Sarrazin et Julien Mathieu dans les rôles titres.
1967 : Orchestre national de l'Opéra de Monte-Carlo, dirigé par Richard Bonynge, 2 CD Decca = Par deux fois, Richard Bonynge dirige la partition "sur-complète" d'Adolphe Adam, rétablissant toutes les coupures traditionnelles, telle la "Fugue" des Wilis ou le retour de Bathilde et de la chasse à la fin de l'Acte II (scène abandonnée de nos jours car jugée trop prosaïque scéniquement). Cet enregistrement de 1967 est plus nerveux que celui de 1986.
1972 : London Festival Ballet Orchestra, dirigé par Terence Kurn, 2 CD EMI, compléments : Drigo : Pas-de-deux supplémentaire pour "Le Corsaire" d'Adam ; Minkus : Scène du Royaume des Ombres de "La Bayadère" (par l'Orchestre symphonique de Sydney, dirigé par John Lanchbery). C'est une version dynamique de ce pilier du répertoire, non dénuée de poésie.
1975 : Orchestre du Bolchoï de Moscou, dirigé par Alghis Jouraïtis, 2 CD Empire Musicwerks. Précision : l'orchestration est de Boris Assafiev, avec ajout de quelques pages de Ludwig Minkus insérées, tels une valse et un grand pas-de-deux = au-delà de la curiosité musicale, cette orchestration semble assez lourde et s'intègre de manière bancale à la partition d'Adam.
1986 : Orchestre du Royal Opera House, Covent Garden, dirigé par Richard Bonynge, 2 CD Decca = seconde direction discographique de cette œuvre par Richard Bonynge, elle aussi « sur-complète » au niveau de la partition d'origine, rétablissant toutes les coupures traditionnelles, telle la "Fugue" des Wilis ou le retour de Bathilde et de la chasse à la fin de l'Acte II. Cet enregistrement de 1986 est moins nerveux que celui de 1967, mais l'orchestre du Covent Garden séduit par son opulence.
1987 : Orchestre du Bolchoï de Moscou, dirigé par Alexandre Kopylov. = Attention : présentée comme intégrale, cette version éditée en CD en 2010, comporte de nombreuses coupures...
1994 : Orchestre symphonique de la radio slovaque, dirigé par Andrew Mogrelia, 2 CD Naxos
Parmi les versions intégrales, voici l'une des plus réussies parmi les plus récentes.
Pour information, Richard Bonynge et Andrew Mogrelia se sont faits les "champions" des ballets d'Adam : Bonynge a réalisé pour Decca les premiers enregistrements mondiaux du "Diable à quatre" et du "Corsaire". Mogrelia a fait de même chez Marco Polo avec "La Jolie fille de Gand" et "La Filleule des fées".
Giselle dans la danse contemporaine
Creole Giselle (1984)
Le scénario d'origine a été modifié mais la musique et la chorégraphie suivent de très près l'original. L'action se situe en Louisiane en 1841. C'est la période d'avant la guerre de Sécession. Les Noirs se divisent en deux castes : les « nobles » sont ceux qui sont affranchis de l'esclavage depuis plusieurs générations. Ils s'opposent aux affranchis ou enfants d'affranchis. Ainsi l'opposition de deux classes sociales se retrouve comme dans le scénario d'origine. La troupe du Dance Theatre of Harlem se compose exclusivement de Noirs américains.
Cette version existe en DVD :
Troupe de ballet : Dance Theatre of Harlem
Scénario : Arthur Mitchell et Carl Michel d'après Théophile Gautier
Chorégraphie : Frederick Franklin d'après Jean Coralli et Jules Perrot
Orchestre de la radio danoise
Direction musicale : Tadeusz Wojciechowsk
Danseurs :
Virginia Johnson : Giselle Lanaux
Eddie J. Shellman : Albert Monet-Cloutier
Lowell Smith : Hilarion Guidry
Lorraine Graves : Myrtha
Ballet créé le , enregistré dans les studios de la radio danoise à Århus (Danemark) en 1988.
Chorégraphie : Garry Stewart et les danseurs de l’ADT
Musique : Luke Smiles
Conception des décors : Garry Stewart
Coproduction : The Joyce Theater’s Stephen and Cathy Weinroth Fund for New-York (New York) / Southbank Centre (London) / Merrigong Theatre Co. (Wollongong) / Théâtre de la Ville / Arts Projects Australia
Ballet créé en 2008 lors du Adelaide Bank Festival of Arts ; tournée européenne à l'automne 2008.
Ballet contemporain, les danseurs se déplacent du côté jardin vers le côté cour. Mots, phrases et expressions relatifs à Giselle ou à la lettre G apparaissent sur l'écran au fond de la scène. Couleur verte omniprésente dans l'œuvre.
Cette version prend racine dans les campagnes de l’Afrique du Sud. Dada Masilo y explore les rituels et les cérémonies traditionnelles africaines. Myrtha, Reine des Wilis, est un Sangoma – un guérisseur traditionnel africain. Les Wilis ne sont pas des filles douces et tristes, mais plutôt des êtres – hommes et femmes – terrifiants. Leurs esprits ne peuvent être libérés que s’ils provoquent la mort de ceux qui leur ont fait du tort. Ils ont le cœur brisé et veulent se venger. Ici, Giselle ne pardonne pas. Après sa vengeance, elle est délivrée du monde des mortels[8].
Musique : Philip Miller ; avec le soutien de SAMRO FOUNDATION (musique inspirée de la partition initiale d’Adolphe Adam, entièrement réécrite, avec des percussions africaines)
Dans l'épisode d'AngelLes coulisses de l’éternité, une troupe de ballet fantôme est condamnée à rejouer Giselle tous les soirs, de la même manière, pour l'éternité.
Dans le drama sud-coréen Angel's Last Mission: Love, Giselle est le nouveau spectacle à l'affiche de la Fantasia Ballet Company qui permet d'introduire et de rythmer les différentes intrigues de l'histoire.
Notes et références
↑Le livret original du ballet s'intitule Giselle ou les Wilis, ballet-fantastique en deux actes, par MM. de Saint-Georges, Théophile Gautier, et Coraly, musique de M. Adolphe Adam, Paris, Jonas, sans date. Notice FRBNF43991211, sur catalogue.bnf.fr (consulté le 11 avril 2019).
↑Cité par René Sirvin dans « Giselle, fille du romantisme », article figurant dans le vinyle de Giselle, par l'orchestre du Bolchoï, dirigé par Algis Juraïtis, Le Chant du Monde.
Giselle, ballet présenté aux enfants : écrit par Théophile Gautier, illustré par Victoria Fomina, adapté par Pascale de Bourgoing. éditions Calligram (1 livre + 1 CD d'extraits du ballet)