En , Jacques Offenbach travaille, avec Henri Meilhac et Ludovic Halévy, sur Le Château à Toto créé le [1], et sur Vert-Vert[Note 1] et Les Brigands qui ne seront créés respectivement que le et [2]. Il semble ne s’être mis à composer La Périchole que durant l’été 1868[3].
Écriture
Les librettistes utilisent quelques éléments de la saynète de Prosper Mérimée, extraite du Théâtre de Clara Gazul et intitulée Le Carrosse du Saint-Sacrement[4] présentée à la Comédie Française en 1850. Le Carrosse du Saint-Sacrement a déjà fait l’objet d'une adaptation sous le nom La Périchole au théâtre du Palais-Royal en 1835, avec Virginie Déjazet dans le rôle principal[5].
La Périchole s’inspire de la vie de l’actrice et courtisane péruvienne Camila Périchole, qui s’est elle-même inspirée de la figure historique de Micaëla Villegas, connue sous le nom de « la perra chola » (littéralement la « chienne métisse »), actrice et maîtresse de Manuel de Amat y Juniet, vice-roi du Pérou entre 1761 et 1776. C'est le vice-roi Amat, lui-même, qui la surnomme Pericholi, mais il existe plusieurs explications quant à la signification de ce sobriquet. Certaines racontent qu'Amat l'appelait « peti-xol » dans l'intimité, ce qui en catalan signifie « petite merveille ». D'autres rapportent que le terme « pirri » était utilisé à cette époque comme diminutif, donc « pirri-choli » ou « petite-cholo » signifierait tendrement « jolie petite indienne ». L'explication la plus en vogue était colportée par les ennemis du vice-roi : elle dit que lors d'une querelle entre les amants, Amat, en colère, l'aurait appelée «perra chola» (chienne indigène, cholo ayant, le plus souvent une connotation péjorative), ce qui, avec son accent catalan, aurait donné « perri choli ». L'anecdote circule au palais et dans la haute société de Lima – qui n'apprécie pas l'actrice – et, pour l'humilier, l'appelle « La Perricholi ».
Dès le , la Revue et gazette musicale de Paris annonce la création d’une nouvelle œuvre de Henri Meilhac, Ludovic Halévy et Jacques Offenbach en octobre au théâtre des Variétés[6]. Début août, Jacques Offenbach remet la musique de cette nouvelle pièce en deux actes intitulée La Périchole.
Répétitions
L'œuvre est lue par la troupe la semaine du , avec Hortense Schneider et José Dupuis dans les rôles principaux[7]. Fin août, l’œuvre entre en répétition[8].
Fin , les éditions Brandus et Dufour acquièrent la partition de La Périchole[9] qui avait d’abord été proposée aux éditions Heu[10].
La création est d’abord annoncée pour le 1er octobre[11], puis autour du [12], puis le [13]. Elle est créée le .
Création
Accueil
La musique est très bien accueillie et cinq numéros musicaux sont bissés le premier soir : les couplets du vice-roi, la complainte L’Espagnol et la Jeune indienne, l’air de la griserie à l’acte I, le chœur de femme « Eh bonjour monsieur le mari », le trio « Les femmes, il n’y a qu’ça » à l’acte II[4]. La Revue et gazette musicale de Paris précise que la partition est l’« une des meilleures bien certainement d’Offenbach »[4].
La lettre est particulièrement remarquée, la Revue et gazette musicale de Paris[4] et Le Figaro[14] publient la partition dans leurs colonnes quelques jours après la première.
Mais les critiques sont plutôt prudents sur la postérité de l’œuvre. Le Constitutionnel fait l’écho de vagues provoquées par La Périchole. La Gazette des Étrangers pressent que l’« on critiquera (…) et [qu’]on louera et [que] tout sera pour le mieux dans l’intérêt (…) des auteurs ». Le Pays parle de « sévérités [du] public » et observe que « pièce et musique sont incontestablement plus délicates que les précédentes »[15]. Le Ménestrel évoque « des chuts, voire des sifflets, vers la fin de La Périchole » en raison « de quelques effets de mauvais goût qui ont choqué »[5].
Jean-Claude Yon, dans sa biographie d’Offenbach analyse : « Les critiques semblent ne pas avoir vu combien (…) La Périchole est différente des œuvres qui l’ont précédée. Elle atteint une noirceur qui paraît à priori incompatible avec le genre de l’opéra-bouffe. (…) Dans ce monde corrompu, le musicien a donné une fois de plus le beau rôle aux femmes : (…) la Périchole est le seul personnage à agir avec dignité. [Sa] lettre (…) est une merveille de tact et de simplicité et sa “griserie-ariette” suggère l’ivresse sans vulgarité »[16].
Pour Louis Oster et Jean Vermeil , Offenbach et ses librettistes raillent Napoléon III et la cour de L'Impératrice Eugènie, l'air "Il grandira car il est espagnol, gnol, gno..." moquant l'accession rapide des hispaniques à la cour[17]. L'Opéra étant une charge politique sur les aventures de Napoléon III avec les femmes, dont Hortense Schneider, autant que celle de l'Empire au Mexique et dans différentes aventures coloniales.
Remaniements
Dès la deuxième représentation, l’œuvre subit des remaniements. Certaines scènes sont raccourcies, certains numéros musicaux sont remplacés ou supprimés, d’autres sont déplacés[4].
La troisième représentation atteint 4 300 francs de recettes qui se maintiennent au-dessus de 4 700 francs de la quatrième à la huitième[20]. Mi-octobre, les rôles sont appris en double[21]. Le succès se maintenant, le directeur des Variétés décide fin novembre de ne pas donner de revue comme c’est l’habitude pour les fins d’années[22].
Les airs détachés paraissent à la fin du mois d’[23] et le piano-chant le mercredi [24]. La partition pour piano seul paraît à la fin du mois de [22].
Si l’œuvre est diversement appréciée par la critique, sa musique est très largement reprise et diffusée : « Dès le lendemain de la première représentation, que de refrains étaient populaires! » s’exclame Henri Lavoix plusieurs années plus tard[25]. Début , le théâtre de l’Eldorado propose une parodie de l’œuvre, intitulée La Péri-colle[24]. Le mardi , lors de l’inauguration des bals du Cirque de l’impératrice exécute des quadrilles composés sur la musique de La Périchole[26]. Les revues de fin d’année s’inspirent largement de l’œuvre, comme par exemple au café-concert de l’Alcazar qui la baptise La Chilpericholle[27].
Le , le prince et la princesse de Galles assistent à une représentation au théâtre des Variétés[26].
La dernière est présentée à Paris le lundi [28],[Note 2], le lendemain, le théâtre des Variétés reprend La Grande-Duchesse de Gérolstein pour quelques représentations[29]. « Le mauvais départ du premier soir sera largement rattrapé mais jamais opéra-bouffe d’Offenbach, Meilhac et Halévy n’aura connu une carrière aussi courte aux Variétés » note l’historien Jean-Claude Yon[16].
En province et à l’étranger
La Périchole est rapidement mise à l’étude à Bruxelles, Marseille, Bordeaux, Nice (première le jeudi [30]), Avignon, Châlons, Dunkerque, Valenciennes, Cambrai, Genève, New-York (première en français le [31]) et Rio-de-Janeiro[32].
Elle est créée en 1869 à Saint-Pétersbourg dans une orchestration locale malgré les interdictions des auteurs et de l’éditeur[33]. Hortense Schneider présentera l’œuvre elle-même en janvier 1872 dans cette ville[34] avec un succès phénoménal : « Dans La Périchole, mademoiselle Schneider a dû répéter tous ses morceaux (…). Ajoutez à ce triomphe douze rappels dans le courant de la pièce ou à la chute du rideau. » Elle ira présenter l’œuvre à Londres en [35].
La Périchole est représentée à Toulon[36], à Avignon[31].
Seconde version
Création
Une seconde version « dont le troisième acte serait complètement refait » est annoncée en [37]. La lecture, par les librettistes, de ce nouveau troisième acte en deux tableaux a lieu le mercredi [38]. Jacques Offenbach dont la santé est très chancelante assiste à la répétition du jeudi [39].
D’abord prévue pour le , la seconde version est créée le au théâtre des Variétés, en raison d’« une indisposition du maestro Offenbach »[40].
Le public et la critique sont très sensibles à la prestation d’Hortense Schneider qui n’était pas remontée sur la scène du théâtre des Variétés depuis La Périchole, à l’exception de l’opéra-bouffe La Veuve de Malabar de Hervé présenté du [41] au [42] et quelques reprises de Barbe-Bleue et d’extraits de La Grande-Duchesse de Gerolstein fin [43]. Le Figaro note ainsi : « Elle a fait de la virtuose de place publique, devenue la maîtresse d’un vice-roi, l’un de ses meilleurs rôles de comédienne et de chanteuse. C’est avec un sentiment exquis, une passion désolée, et toutes les nuances de la grâce et de l’attendrissement, que la Périchole fait au public, gagné par l’émotion, la lecture de sa lettre d’adieu »[44].
Si Ludovic Halévy note peu avant la première « Nous avons refait un troisième acte en deux tableaux (…). Il paraît gai et la musique d’Offenbach me semble très gentille »[45], les librettistes n’ont pas rendu l’œuvre plus légère avec des couplets comme « Cela vous met la mort dans l’âme / De voir le monde comme il va… », ou encore par le sort du vieux prisonnier condamné à retourner en prison parce qu’il ignore la raison de sa condamnation !
Dès la première représentation, cette nouvelle version, et sa musique, est particulièrement bien accueillie : « Nous n’avons pas un choix à faire parmi les morceaux qui composent le troisième acte ; tous ont été très-bien reçus et quelques-uns ont été bissés. Ajoutez à cela les morceaux de l’ancienne partition qui ont été bissés comme les couplets des femmes, la griserie-ariette, et nous pouvons constater qu’avec la reprise de la Périchole, le théâtre des Variétés tient un succès de plus »[25].
Fin , le théâtre des Variétés annonce les dernières de La Périchole[46]. La dernière représentation a lieu le [47]. Elle sera ensuite reprise « 44 fois du au »[48].
À Lima, sur une place de la ville, le vice-roi du Pérou sort de son palais incognito « afin de savoir un peu par lui-même ce que l’on pense de son administration ». Il compte bien aussi profiter de la fin de journée pour « conduire quelque sémillante manola » dans une petite maison lui appartenant. Après le départ du vice-roi, deux chanteurs des rues, la Périchole et son fiancé Piquillo, viennent sur cette place chanter leurs chansons mais ne rencontrent guère de succès. Et pourtant, « ça coûte quatre piastres pour se marier ». La Périchole, fatiguée et affamée, laisse Piquillo quêter un peu plus loin et s'endort. Le vice-roi revient et, subjugué par sa beauté, lui propose de devenir demoiselle d'honneur de la vice-reine. La Périchole, au comble de la faim, accepte et rédige une lettre d'adieu à Piquillo lui rappelant qu'elle l'« aime de tout [son] cœur » mais qu'il « [peut] compter sur [sa] vertu ». Cette lettre plonge Piquillo au désespoir et il veut se pendre. Heureux hasard, il est sauvé par le premier gentilhomme de la cour qui cherche un mari à la future favorite du vice-roi pour respecter les règlements. Aidés par les alcools, le mariage est célébré, sans que Piquillo n'ait réalisé l'identité de son épouse.
Acte II
Versions de 1868 et de 1874.
Le lendemain, dégrisé, Piquillo fait savoir qu'il en aime une autre et veut la retrouver. Il doit préalablement présenter officiellement son épouse au vice-roi. Quand il découvre que la Périchole est la maîtresse de celui-ci, il éclate de fureur et est aussitôt expédié au cachot des maris récalcitrants.
Versions de 1868 uniquement.
La Périchole, dans une feinte colère, obtient du vice-roi qu'il soit libéré. Le soir, devant le vice-roi, ils chantent leurs malheurs. Il s'attendrit et, magnanime, il les laisse s'en aller.
Fin de la version de 1868.
Acte III
Version de 1874 uniquement.
Premier tableau
La Périchole vient visiter son Piquillo en prison. Après un mouvement d'humeur de sa part, elle l'informe qu'elle n'a pas cédé aux avances du roi, et qu'elle va corrompre le geôlier. Celui-ci se présente mais n'est autre que le vice-roi déguisé, qui les fait enfermer tous les deux. Une fois ces derniers laissés seul, un vieux prisonnier les fait évader par le tunnel qu'il a creusé.
Second tableau
Les trois évadés se retrouvent en ville, mais sont identifiés par une patrouille et le vice-roi se présente aussitôt. La Périchole et Piquillo chantent leurs malheurs, ce qui attendrit le vice-roi qui, magnanime, les laisse se marier et avoir des enfants qui grandiront, car ils sont espagnols.
La version de 1868 compte 19 numéros, dont 4 disparaîtront dans la nouvelle version.
L'acte I est identique à la seconde version, bien que la Séguedille (n°5 « Le Muletier et La Jeune Personne ») soit mentionnée alors comme « passée au théâtre » (non jouée). La première partie de l'acte II, inchangée, constitue le deuxième acte de la version de 1874. Elle s'achève sur le n°14, l'ensemble des « Maris récalcitrants » (qui devient ainsi un finale, alors qu'il est le morceau central de l'acte II dans la version de 1868) identique, si ce n'est la ritournelle sur laquelle tombe désormais le rideau.
Le n°15 de la version de 1868 est un duo entre la Périchole et le Vice-Roi, le « Duo des bijoux » et dont le « Ah ! que j'aime les diamants » est un clin d’œil au « Ah ! que j'aime les militaires » de la Grande-duchesse. Le n°16 est une reprise, par la Périchole, de l'air « Les Femmes il n'y a qu'ça » et dans laquelle elle chante à Piquillo qu'il vaut mieux se laisser conduire par sa bien-aimée lorsqu'elle sait où elle va. Le n°17 est un morceau choral, le « Couvert du Roi », durant lequel on sert son dîner à Don Andrès (ce dernier ne mangera rien par peur qu'on l'empoisonne)[50]. Le n°18 est une reprise intégrale de la séguedille du premier acte mais avec de nouvelles paroles résumant la pièce. Don Andrès pardonne, autorise la Périchole à garder ses diamants et le Final (n°19) reste inchangé par rapport au finale de l'acte III actuel, à savoir une reprise de « l'Espagnol et la jeune Indienne » avec de nouvelles paroles.
Dans le N° 7, les librettistes mettent dans la lettre que la Périchole adresse à Piquillo au premier acte la teneur de celle que Manon Lescaut, dans le roman homonyme de l'abbé Prévost, laisse à son amant, le chevalier des Grieux :
Crois-tu qu’on puisse être bien tendre, / Alors que l’on manque de pain ? (…)
Et j’aurais rendu, quelque jour, / Le dernier soupir, ma chère âme, / Croyant en pousser un d’amour… (…)
Je t’adore !… Si je suis folle, / C’est de toi !… compte là-dessus…
La Périchole, acte I, scène IX
Crois-tu qu’on puisse être bien tendre lorsqu’on manque de pain ? (…)
je rendrais quelque jour le dernier soupir, en croyant en pousser un d’amour.
Au N° 12, avec « Quel marché de bassesse ! / C’est trop fort, sur ma foi, / D’épouser la maîtresse, / La maîtresse du roi ! », Jacques Offenbach cite le texte et la musique du N° 13 de La Favorite de Gaetano Donizetti créé à Paris en 1840.
Dans le N° 14, avec le couplet « Dans son palais ton roi t’appelle, / Pour te couvrir de honte et d’or ! / Son amour te rendra plus belle, / Plus belle et plus infâme encor ! », les librettistes citent cette fois le N° 17 de La Favorite de Gaetano Donizetti.
Le couplet de l'Aveu qui se termine par « Et caetera ! Et caetera ! Felicita ! Felicita !» est une parodie des duos d'amour de Rossini. [réf. nécessaire]
↑Ludovic Halévy ne sera pas crédité comme librettiste pour Vert-Vert.
↑Dans sa biographie Offenbach, en page 374, Jean-Claude Yon parle d’une « dernière et soixante-treizième représentation (…) le 10 janvier 1869 » alors que dans le programme du Figaro, la dernière apparaît le 28 décembre.
Références
↑Jacques Offenbach, Correspondance avec Meilhac et Halévy, Séguier, p. 128.
↑Jacques Offenbach, Correspondance avec Meilhac et Halévy, Séguier, p. 126.
↑Jacques Offenbach, Correspondance avec Meilhac et Halévy, Séguier, p. 140.
↑ abcd et eRevue et gazette musicale de Paris, 11 octobre 1868
↑La Périchole, opéra-bouffe en 3 actes, partition chant et piano arrangée par Léon Roques, Édition Brandus et Cie, Paris.
↑Inséré de façon tronquée par Michel Plasson pour son enregistrement chez EMI Classics avant le final de l'acte II ; on peut l'entendre en intégralité - tout comme les autres numéros de la version de 1868 - dans l'enregistrement du concert au Théâtre impérial de Compiègne chez Mandala.