La symphonie présente des poèmes de Evgueni Evtouchenko sur le massacre de Babi Yar et autres violences antisémites, y compris l'affaire Dreyfus, le Pogrom de Bialystok et la vie d'Anne Frank, ainsi que d'autres textes. La symphonie fut composée alors que régnait la censure en Union soviétique et Nikita Khrouchtchev menaça de stopper l'exécution de l'œuvre. La création eut bien lieu, mais dans des conditions dramatiques, et en 1965 Evtouchenko fut contraint de réécrire la première strophe de son poème pour proclamer que des Russes et des Ukrainiens non juifs avaient péri aux côtés des juifs à Babi Yar[1]. La partition avec le texte original a été à nouveau publiée en 1970.
Chostakovitch aurait avoué à Edison Denisov — un compositeur proche — qu'il a toujours détesté l'antisémitisme. A propos du massacre de Babi Yar et de la place des juifs dans l'Union soviétique, il aurait confié à son ami Solomon Volkov :
... Il serait temps que les juifs puissent vivre heureux et en paix là où ils sont nés : en Russie. On ne devrait jamais oublier la dangerosité de l'antisémitisme, et nous devrions continuer à faire de la prévention, parce que cette infection est toujours en vie, et qui sait si un jour elle disparaîtra.
C'est d'ailleurs pourquoi j'ai été réjoui, lorsque j'ai lu le texte de Babi Yar : le poème m'a surpris. Et il a surpris des milliers de gens : beaucoup avaient entendu parler de Babi Yar, mais c'est avec le texte, écrit par Evtouchenko, qu'ils s'en sont vraiment rendu compte. Beaucoup avaient essayé de détruire la mémoire de Babi Yar, d'abord les Allemands eux-mêmes, puis le gouvernement ukrainien ; mais ce texte est devenu une preuve même que ce qui s'est passé à Babi Yar ne sera jamais oublié. Voilà une preuve de la puissance de l'art.
Les gens savaient ce qu'il s'était produit à Babi Yar, même avant le poème de Evtouchenko, mais ils ont décidé de se taire. Le texte de cette symphonie a brisé le silence. L'art détruit le silence.
La création de l'œuvre fut mouvementée : Mravinsky ayant, à la surprise générale, refusé de diriger la première, c'est Kirill Kondrachine qui le remplace, alors qu'il a créé la Quatrième Symphonie du même Chostakovitch peu de temps auparavant (cette symphonie écrite en 1936 ne fut créée qu'en 1961, pour des raisons d'exécution et de son contenu difficilement tolérable par les autorités). Deux basses étaient pressenties pour chanter la partie soliste : Alexandre Vedernikov et Boris Gmyria. Le premier refuse, et le second accepte. Mais le jour de la générale, Gmyria reçoit l'ordre de quitter les répétitions, du fait qu'il est demandé au Bolchoï de toute urgence. Kondrachine s'emporte, car il sait que le Bolchoï compte suffisamment de basses pour se passer de Gmyria. Il se résout à engager la doublure, Vitaly Gromadsky. Après plusieurs recherches, on le trouve et la générale peut continuer. Le soir même, la tension est palpable, l'orchestre joue la symphonie Jupiter de Mozart en première partie. Lorsque chœur, soliste et chef arrivent sur scène et prononcent les premiers vers de Babi Yar, le public est frappé de plein fouet. À la fin de la symphonie, le succès est énorme et le public acclame le compositeur timidement assis dans le parterre d'orchestre.
version originale
version remaniée
Je me sens un Juif
Ici je marche dans l'ancienne Égypte
Ici je meurs cloué sur la croix
Et maintenant j'en porte les plaies
Je deviens un cri gigantesque
Au-dessus de milliers d'hommes enterrés là
Je suis chaque vieux assassiné ici,
Je suis chaque enfant assassiné là
Ici je suis à la source de la fontaine
Ça me donne foi en la fraternité
Ici reposent les Russes, les Ukrainiens
Ensemble avec les Juifs sur cette terre
Je pense aux héros morts pour la patrie
Car ils ont barré la route au fascisme
Jusqu'au plus petit grain de poussière, elle est proche de moi
Dans ce qu'elle est et dans son destin
Création et réception
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