Tu ne tueras point est un téléfilm français réalisé par Leslie Gwinner sur un scénario de Samuel Le Bihan, Julien Guérif et Charlotte Pons, sorti en 2022.
Cette fiction est une production de France.tv Studio[1], Frelon Productions et France Télévisions pour France 2. Samuel Le Bihan en est producteur et a aussi conçu le scénario. Le scénario humanise une mère qui a tué sa fille autiste, et s'inspire de l'histoire d'Anne Ratier.
Cette fiction est mal accueillie par des adultes autistes et des parents, qui dénoncent dans la presse une fiction eugéniste déshumanisante envers l'enfant tuée, et contenant des erreurs au sujet de l'autisme.
Écriture du scénario
Ce téléfilm est réalisé par Leslie Gwinner sur une idée originale de Samuel Le Bihan, qui s'est lui-même inspiré de l'histoire d'Anne Ratier, autrice de J'ai offert la mort à mon fils, un livre qui décrit comment elle a assassiné son fils polyhandicapé[2].
Samuel Le Bihan est également producteur du téléfilm[3].
Synopsis
Elsa Sainthier est en prison depuis 18 mois, elle est mise en examen pour avoir noyé dans un fleuve sa fille Clara[4], autiste et polyhandicapée qu'elle imagine souffrir de son autisme alors qu'elle souffre d'une société validiste. Elsa est murée dans le silence et ne montre aucune volonté de se défendre. Alors que son procès approche, c’est sa mère qui va solliciter Simon Marchand, un avocat pénaliste dont la carrière et la vie sont en veille à la suite d'un faux pas professionnel et personnel dix ans plus tôt[5]. Simon va la défendre face à la justice mais aussi face à la société et ramener doucement cette femme à l’humanité.
L'avocat Simon Marchand plaide que Elsa a tué sa fille pour mettre fin aux « souffrances irrémédiables d'un être innocent »[3]. Elsa Sainthier est finalement condamnée à 5 ans de prison avec 3 ans de sursis, donc 2 ans fermes, pour avoir tué son enfant[6].
Interviews des acteurs et réalisateurs pendant la promotion du téléfilm
Répondant à une interview pour la chaîne belge RTBF, Samuel Le Bihan déclare que les mères ont peut-être le droit de tuer leur enfant s'il est autiste (auticide) : « Est-ce que la mère, dans sa toute-puissance, peut donner la vie puis la reprendre ? C’est une vraie question qui mérite d’être posée »[9]. Il montre de l'empathie pour les parents d'enfants autistes qui, selon lui, « sacrifient leur vie et leur carrière pour leurs enfants » et, face à l'épuisement et à l’abandon, décident de tuer leur enfant autiste pour « mettre fin à ses souffrances », une décision qu'il décrit comme « lourde et désespérée »[10]. Selon lui, dans le téléfilm, l'avocat « est là pour sauver cette femme aux yeux de la société », en plaidant que son enfant autiste souffrait beaucoup d'être autiste, et qu'il voulait mourir[10]. Samuel Le Bihan déclare avoir « aimé » son personnage[11]. Il décrit ce téléfilm comme ayant un « aspect militant », pour aborder « la place des aidants »[10].
Natacha Rénier déclare ne pas avoir voulu rendre son personnage de mère infanticide aimable[12].
La promotion du téléfilm par Samuel Le Bihan et Léa Salamé pendant l'émission Quelle Époque ! s'accompagne d'un champ lexical pathologisant, avec les expressions « souffre d'autisme » et « une maladie qui touche 700 000 personnes », sans la présence d'une personne autiste sur le plateau[13]. Le film et sa promotion relèvent ainsi du modèle médical de l'autisme[13].
Réception
Dans son article pour le média Faire Face, le journaliste Franck Seuret estime que ce téléfilm « alimente la compassion sur les meurtres d’enfants handicapés par leurs parents », dans un contexte où la première victime d'un meurtre filicide est l'enfant[14]. Il note également que « traiter des filicides revient d’abord à parler des parents, au détriment des enfants », dans un contexte où les décisions de justice sont clémentes envers ces parents qui tuent leurs enfants handicapés[14].
Pour Franck Seuret, le téléfilm n'a « rien d'outrancier »[14]. La journaliste Cassandre Rogeret de Handicap.fr décrit initialement ce film comme « poignant »[2].
Dans son article pour Atlantico, Olivia Cattan décrit ce téléfilm comme un « permis de tuer »[6]. Elle estime que « tout est fait dans ce film pour éprouver de la compassion pour la mère et invisibiliser l’enfant en situation de handicap », et que « la mère est victimisée à outrance »[6]. Elle souligne une « méconnaissance de l’autisme manifeste » dans ce téléfilm, avec diffusions de contre-vérités médicales[6].
D'après la sociologue Mélanie Lallet, qui s'exprime dans le média Arrêt sur images, « le ressort dramatique de la mère infanticide montré dans le film décrit une réalité », mais le film véhicule des stéréotypes et son angle pose problème[13]. Plusieurs militants pour les droits des personnes handicapées décrivent un téléfilm eugéniste, en ce qu'il prône que le meurtre d'une enfant handicapée serait la seule solution permettant de la délivrer de ses souffrances[13]. Le téléfilm revêt enfin un aspect déshumanisant envers l'enfant victime de meurtre, qui n'apparaît jamais physiquement mais seulement sur une pancarte ou à travers un mannequin[13].
Opposition au discours public de Samuel Le Bihan pendant la promotion du téléfilm
L'avocate en situation de handicap Elisa Rojas s'oppose au discours porté par Samuel Le Bihan, quand il déclare comprendre comment des parents en arrivent à vouloir tuer leurs enfants autistes[15].
Samuel Le Bihan a déclaré à plusieurs reprises dans la presse et sur des plateaux TV que l'auticide parental serait un acte « rare, qui arrive une fois tous les dix ans »[2],[10]. Plusieurs journalistes soulignent que cette information est fausse car elle est sous-estimée, le nombre réel de ces meurtres étant plus élevé qu'une fois tous les dix ans[16],[17],[13].
Opposition à la diffusion sur France 2 pour la Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme
Les journalistes Aurélie Haroche (Journal international de médecine)[16] et Franck Seuret[14], ainsi que le psychiatre Hugo Baup[16], estiment que la programmation de ce téléfilm pour la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme sur France 2 pose problème. Olivia Cattan interroge le choix de la chaîne du service public France 2 d'avoir maintenu cette diffusion malgré les alertes lancées par deux associations de personnes autistes[6] ; la programmation a en effet été maintenue malgré une mobilisation importante[16]. Elle déclare que la diffusion de ce téléfilm au moment de débats sur l'euthanasie en France relève d'une « manipulation de l'opinion publique »[6].
L'association La Neurodiversité France a lancé une pétition contre la diffusion du film mi-mars, qui atteignait 1 300 signatures la veille de la diffusion du téléfilm, le 2 avril 2024[15].
L'association CLE-Autistes a organisé une manifestation devant le siège de France Télévisons le soir de la diffusion du 3 avril sur France 2, soulignant que « ce film suscite l’empathie pour une meurtrière au lieu du vécu des personnes concernées, le lendemain de cette journée qui les concerne »[14],[18].
Malgré la mobilisation de ces associations, la diffusion du 3 avril a été maintenue en première partie de soirée[16].
Audiences
La diffusion du 3 avril en première partie de soirée sur France 2 est un succès d'audience, la chaîne arrivant en tête des programmes visionnés ce soir-là, avec 3,4 millions de téléspectateurs[19],[20].
Notes et références
↑Alain Blazquez, Martine Chevallier et Thomas Cousseau, Tu ne tueras point, France TV Studio (lire en ligne)