Walkin' est un album jazzhard bop du Miles Davis All Stars paru (sous la forme qui constitue la base de toutes les rééditions jusqu’à nos jours) en 1957[1], sur le label Prestige Records.
Historique
Produit par Bob Weinstock pour son label Prestige Records, Walkin' est le fruit de deux sessions d'enregistrement, en format All Stars, tenues au studio de Rudy Van Gelder à Hackensack les 3 et . Il s'agit d'un album tonique et singulier qui est le premier vrai succès discographique de Miles Davis[2]. Les enregistrements se feront avec la même section rythmique et des souffleurs invités différents pour chaque séance: David Schildkraut (saxophone alto) lors de la première, et Lucky Thompson (saxophone ténor) et Jay Jay Johnson (trombone) lors de la seconde.
Dave Schildkraut, à la sonorité très parkerienne, est une figure du jazz aujourd'hui un peu oubliée dont le nom n'était pas mentionné avec ceux des autres musiciens sur la couverture originale du disque. Son bref solo sur "Solar" repousse encore les frontières du bebop[3] et est considéré par certains comme la meilleure contribution individuelle de sa carrière[4]. La séance du constituait un retour sur disque pour Lucky Thompson[4]. Il était prévu à l'origine que le sextet enregistre des morceaux qu'il avait arrangés, mais, en raison d'un manque de répétitions, le groupe fut contraint d'abandonner le projet alors qu'il était déjà en studio et d'opter pour deux jam sessions ayant produit "Walkin' " et "Blue 'n Boogie[5]". Ces deux titres, avec Solar[6], deviendront des emblèmes du mouvement hard bop[7].
Avant sa parution sur disque de format 30 cm en 1957, l’essentiel de la musique contenue sur Walkin’ était paru en 1954 sur deux disques de format 25 cm : Prestige 182, qui incluait "Walkin'" et "Blue 'n' Boogie" ; et Prestige 185, qui incluait "Solar", "You Don't Know What Love Is" et un quatrième titre enregistré lors de la session du , "I’ll Remember April[8]". Ce dernier morceau fait maintenant partie de l'album Blue Haze.
Réception
Bien que remarqués par certains connaisseurs, les deux disques de 25 cm sortirent dans une certaine indifférence[9]. L’album définitif de 1957 est toutefois aujourd'hui considéré comme l'un des disques fondateurs du Hard bop[10]. Il a fait l’objet, au fil des ans, de critiques extrêmement élogieuses[11]. Particulièrement digne de mention est l’appréciation de Bob Weinstock, le fondateur et dirigeant de Prestige Records entre 1949 et 1971, qui déclare, dans le documentaire The Miles Davis Story, que Walkin’ est le meilleur disque à être jamais paru sur son label[12].
La musique que renferme Walkin’ peut être vue comme le retour en force de Miles Davis[13], qui, pendant quelque temps, avait presque abandonné la musique à cause de sa dépendance à l'héroïne. Un sevrage drastique, en 1953, lui permit de s'en sortir. À l'époque, l'émergence de deux nouveaux trompettistes aux styles distinctifs, Chet Baker et Clifford Brown, menaçait sérieusement sa réputation[14]. L'album sera enregistré juste après quelques séances, elles aussi d'un style essentiellement hard bop, tenues en mars pour Blue Note et Prestige Records avec Art Blakey, Percy Heath et Horace Silver. Ces séances, les toutes premières de Miles Davis en studio après son sevrage, figurent sur les albums Volume One et Blue Haze.
« Cet album[23] a entièrement bouleversé ma vie et ma carrière. J'avais pris J.J. Johnson et Lucky Thompson pour cette séance, parce que je cherchais le gros son que tous deux pouvaient me donner. Lucky pour le côté Ben Webster, mais be-bop aussi. J.J. avait aussi ce gros son. Il y avait Percy Heath à la basse, Art[24] à la batterie et Horace au piano. On a travaillé tous les concepts musicaux dans ma chambre et celle d'Horace au Arlington Hotel. Beaucoup de trucs sont sortis du vieux piano d'Horace. À la fin de la séance, nous savions que nous avions fait quelque chose de bien -même Bob Weinstock et Rudy étaient emballés par ce qui en était sorti-, mais l'impact du disque n'a été sensible qu'après sa sortie, un peu plus tard cette même année. Ce disque faisait vraiment mal, avec Horace et son piano funky[25], et Art et ses putains de rythmes. C'était quelque chose. Je voulais ramener la musique vers le feu, vers les improvisations du Be-Bop, ce que Diz et Bird avaient amorcé. Mais je voulais aussi entraîner la musique en avant, vers une manière de blues plus funky, vers quoi Horace nous conduirait. Et avec moi, J.J. et Lucky par-dessus le marché, il fallait bien que ça décolle. »
— Miles Davis avec Quincy Troupe, Miles. L'autobiographie, Paris, Presses de la Renaissance, 1989, p. 152.
« Pour ma séance Prestige d'avril[26], Kenny Clarke a remplacé Art Blakey à la batterie parce que je voulais des balais. Quand il s'agissait de jouer doucement des balais, personne ne le faisait mieux que Klook. J'utilisais une sourdine, et je voulais de la douceur derrière moi, mais une douceur swinguante. »
— Miles Davis avec Quincy Troupe, Miles. L'autobiographie, Infolio, 2007, p. 189.
Notes et références
↑Jack Chambers, Milestones. The Music and Times of Miles Davis, New York, Da Capo Press, 1998 (originellement publié en deux volumes par Beech Tree Books, 1983 et 1985), p. 186 (vol. I).
↑Laurent De Wilde, Jazz magazine Jazzman n°650, juin 2013.
↑Ian Carr, Miles Davis: The Definitive Biography, New York, Thunder’s Mouth Press, 2007 (première édition, 1999), p. 78. La remarquable cohésion et l’empathie dont témoignent les musiciens sur les deux titres pourraient s’expliquer par le fait que, quelques jours auparavant, ils s’étaient produits ensemble en concert dans un magasin de disques (John Szwed, So What: The Life of Miles Davis, New York, Simon & Schuster Paperbacks, 2004 (première édition, 2002), p. 113).
↑Ashley Kahn, Kind of Blue. Le Making Of du Chef-d'Œuvre de Miles Davis, éditions Le mot et le Reste, 2009, p.37.
↑Frédéric Goaty, Jazz magazine n°517, juillet 2001.
↑Voir les critiques des deux disques par Nat Hentoff dans le magazine Downbeat, parues respectivement les 11 août et 17 novembre 1954 (ces critiques ont été réimprimées dans Frank Alkyer et al. (éds.), The Miles Davis Reader. Interviews and Features from Downbeat Magazine, New York, Hal Leonard Books, 2007, p. 194-195).
↑Voir ibid., de même que Nat Hentoff, “Miles: A Trumpeter in the Midst of a Big Comeback Makes a Very Frank Appraisal of Today’s Jazz Scene”, Downbeat, 2 novembre 1955 (réimprimé dans Frank Alkyer et al. (éds.), The Miles Davis Reader, p. 34-39, spécialement p. 35).
↑John Szwed, So What: The Life of Miles Davis, p. 114.
↑Plusieurs sont citées dans Jack Chambers, Milestones. The Music and Times of Miles Davis, p. 186-188 (vol. I), et dans Richard Cook, It's About That Time. Miles Davis On and Off Record, Londres, Atlantic Books, 2005, p. 38.
↑Mike Dibb (réal.), The Miles Davis Story, Documentaire TV (USA), 2001.
↑Miles Davis parle ici uniquement du disque de format 25 cm Prestige 182, qui n’incluait pas d’extraits de la séance du 3 avril.
↑L'autobiographie de Miles Davis renferme ici et dans la suite du paragraphe une inexactitude, puisque le batteur présent lors des deux séances d'enregistrement de Walkin' était Kenny Clarke, et non pas Art Blakey. L'erreur figure également dans la version originale anglaise du livre.
↑« Voir la brutalité de ses deux mains sur le solo de Blue’n’Boogie ». Franck Bergerot, Miles Davis, Introduction à l'écoute du jazz moderne, Seuil, 1996, p.83.
↑Miles Davis fait ici exclusivement allusion à la session du 3 avril, où il utilisa de fait une sourdine, contrairement à la séance du 29 avril.