Apichatpong Weerasethakul est l'un des principaux réalisateurs de la (seconde) nouvelle vague du cinéma thaïlandais qui commence à partir de 1997[3] (et qui inclut Pen-ek Ratanaruang, Nonzee Nimibutr et Wisit Sasanatieng et quelques autres)[4].
Biographie
Apichatpong Weerasethakul passe ses vingt-quatre premières années à la campagne, à Khon Kaen dans le nord-est de la Thaïlande, où ses parents sont médecins dans un hôpital[5].
Enfant, il va régulièrement voir des films dans les très nombreuses salles de cinémas de Khon Kaen (le cinéma Rama, le Raja, le Prince, le Kaen Kham etc.), en particulier pour écouter le plus célèbre doubleur d'Isan, Somsak Songwonsuk (surnommé "Konchanat" ou "Monsieur Konjanard"[6]) qui fait les voix, les dialogues et les bruitages en direct des films projetés qui n'ont pas de bande son[7].
Il étudie à l'université de Khon Kaen et obtient un diplôme en architecture en 1994, ce qu'il dit l'avoir influencé par la suite. Ensuite, il part à 24 ans de chez parents pour étudier aux États-Unis et il obtient un master en beaux-arts de l'Art Institute de Chicago en 1997[8].
Il a commencé à réaliser des courts métrages dès 1993. Depuis le début des années 1990, il tourne des films documentaires ou expérimentaux centrés principalement sur des habitants et des régions modestes de la Thaïlande.
En 1999, Weerasethakul fonde Kick the Machine pour développer et promouvoir ses propres projets et ceux d'autres réalisateurs thaïlandais indépendants[9].
En 2000, son premier long métrage Dokfa nai meuman (Mysterious Object at Noon) mêle des images documentaires et des passages narratifs improvisés. Le film est basé sur le principe du cadavre exquis inventé par les surréalistes.
En plus de ses projets en tant que cinéaste, Apichatpong travaille également sur des courts métrages, des projets vidéo et des installations. Pour le Festival international du film de Jeonju, il a été commissionné dans le projet Three Digital Short Films, qu'il a partagé avec deux autres réalisateurs asiatiques. Son film était intitulé Wordly Desires. Shin'ya Tsukamoto du Japon a réalisé Haze et Song Il-gon de Corée du Sud a créé Magicien(s).
En 2005, Apichatpong a été consultant pour le projet Tsunami Digital Short Films, 13 films commissionnés par le Bureau pour l'Art contemporain et la Culture du ministère de la Culture thaïlandais. Ces films devaient rendre hommage aux victimes du tsunami et permettre aux artistes de réinterpréter ce tragique événement. Le film d'Apichatpong s'intitulait Ghost of Asia, réalisé en collaboration avec l'artiste cinéaste française Christelle Lheureux.
En 2009, Primitive Project[11]présentée parallèlement au musée d'art moderne de la ville de Paris et à Liverpool se remémore les affrontements sanglants à Nabua qui ont opposé civils et forces de l'ordre lors de la Guerre Froide, quand on tentait d'éradiquer toute trace de communisme chez les villageois[12]. En 2012, l'exposition Primitive est présentée au Jim Thompson Art Center à Bangkok[13].
Dans les années 2000, il milite également contre la censure du cinéma en Thaïlande[5],[14]. Il s'est même déclaré en 2011 en faveur du téléchargement illégal : la seule alternative pour contourner la censure qu'exercent les autorités de son pays[15]. Des scènes en apparences anodines, comme celles de bonzes jouant de la guitare ou d'un docteur et d'une doctoresse buvant de l'alcool[16] et s'embrassant sont impitoyablement amputées par les ciseaux de la censure[17]. Après plusieurs vives discussion avec les censeurs, le cinéaste Apichatpong a d'ailleurs préféré renoncer à projeter certains de ces films en Thaïlande plutôt que d'en montrer des versions incomplètes[18]...
Apichatpong Weerasethakul est considéré comme un réalisateur majeur du début du XXIe siècle : les Cahiers du cinéma classent Tropical Malady troisième film le plus important des années 2000-2009[19], la cinémathèque de Toronto considère que Syndromes and a Century est le meilleur film de la décennie (Tropical Malady et Blissfully Yours obtenant respectivement les sixième et treizième places)[20].
Apichatpong Weerasethakul mêle dans ses vidéos une large palette de références, de pensée bouddhiste et de culture populaire[22].
Le cinéaste travaille la mémoire comme une matière fluide, hantée par les problématiques et le désir qui nous habitent tous[23] mais aussi par la mémoire de la répression des révoltes populaires et guérillas, et par la recherche de mises en relations inédites entre humains et non-humains.
Au-delà de l'aspect plastique de ses œuvres, il y expose souvent une vision critique de la société thaïlandaise actuelle.
Dans certains de ses films, Weerasethakul respecte peu une succession chronologique de l'action. Il arrive ainsi que "l'intrigue" se répète à partir du milieu du film dans un contexte complètement bouleversé : de la société humaine à la jungle dans Tropical Malady, d'un hôpital ancien à un autre très moderne dans Syndromes and a Century.
Ses œuvres aiment partir d'une histoire évoquant un quotidien banal pour basculer dans une imagerie poétique, onirique et mythologique. Le cinéaste cultive le goût du mystère et de la lenteur dans un style contemplatif inclassable qui confronte souvent le moderne à l'archaïque. Son cinéma illustre en réalité la part irrationnelle du désir, les vies multiples de l'homme et le voyage des âmes. En 2020, Weerasethakul réalise en Colombie Memoria avec Tilda Swinton, un film où les spectateurs "habitent de plain-pied dans un monde qui a établi en douceur ses propres règles de fonctionnement. Un monde construit avec une multiplicité de présences et d'absences qui, ensemble, ne cessent d'ouvrir vers des récits, des émotions, des souvenirs, des sensations selon Jean-Michel Frodon[24].
De plus, le cinéaste laisse, dans ses vidéos, une grande place à la nature, notamment à la jungle[25]. On le ressent aussi bien par l'image que par le son. Par exemple, on peut remarquer le brouhaha sonore apporté par la nature au début de Tropical Malady obscurcissant la voix des acteurs, de coutume mise au premier plan.
En 2020 et 2021, les revendications et manifestations des jeunes et des étudiants en Thaïlande sont une source importante d'inspiration pour Apichatpong Weerasethakul[26].
En février 2023, Apichatpong Weerasethakul passe une quinzaine de jours dans un pays d'Asie du Sud à poser les jalons de ce qui devrait être son prochain film, un film avec son actrice favorite Jenjira Pongpas[35].
Courts et moyens métrages, installations vidéo et contributions artistiques
Apichatpong Weerasethakul a été décoré Chevalier des Arts et des Lettres en 2014 puis Commandeur des Arts et des Lettres en 2017 par le ministère de la Culture français[53],[54].
Du 2 octobre 2024 au 6 janvier 2025, sous l'intitulé Des lumières et des ombres[58], le Centre Pompidou consacre à son œuvre un ensemble de manifestations[59].
Publications
Homes, sous la direction d'Antoine Thirion, Éditions de L'Œil[60].
1. Reverberation (Syndromes and a Century / FAITH) 05:10 ; 2. Straight (Tropical Malady) 04:29 ; 3. Dawn of Boonmee (Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Lives) 06:12 ; 4. Sharjah and Java (Dilbar / Morse Beat Roar / Ablaze) 13:57 ; 5. Mekong Hotel (Mekong Hotel) 02:53 ; 6. The Anthem (Anthem) 02:27 ; 7. Jenjira's River (Fever Room) 04:09 ; 8. Smile (Syndromes and a Century) 02:30 ; 9. Intimacy (Syndromes and a Century) 02:42 ; 10. Memory of the Future (Syndromes and a Century) 08:01 ; 11. For Tonight (For Tomorrow For Tonight) 02:56 ; 12. Roar (Tropical Malady) 08:32 ; 13. Destiny (Cemetery of Splendour) 02:56 ; 14. Acrophobia (Syndromes and a Century) 04:28
↑(fr + en) Collectif, Thai Cinema : Le cinéma thaïlandais, Lyon, Asiaexpo Edition, , 255 p. (ISBN978-2-9528018-0-5, BNF40951196), La révolution tranquille de Apichatpong Weerasethakul / The Quiet Revolution by Apichatpong Weerasethakul (par Kong Rithdee) pages 197 à 203.
↑Collectif, Trafic 76, P.O.L., , 144 p. (ISBN978-2-8180-0656-6), Esprits dans l'obscurité pages 12 à 21 par Apichatpong Weerasethakul (texte du livre "Sat Vikal / Des forces inconnues, traduit du thaï par Mathieu Ly)
↑Aliosha Herrera, « Les voix de l'ancien cinéma thaïlandais », Les Cahiers du cinéma, , p. 88
↑(en) « Blissfully Yours », sur biff.kr, festival international du film de busan (2002)
↑Dominique Widemann, « Apichatpong Weerasethakul "Je n'ai rien vu à Nabua" », L'Humanité, (lire en ligne)
↑« Art et Culture : Exposition Primitive », Gavroche Thaïlande, no 208, , p. 34 (36) (lire en ligne [PDF])
↑Apichatpong Weerasethakul (traduction Jean-Michel Frodon), « Pour la libération du cinéma thaïlandais », Cahier du cinéma n°623, , p. 57 (ISSN0008-011X)
↑Arnaud Dubus, Thaïlande : Histoire, Société, Culture, Paris, La Découverte (éditions), , 224 p. (ISBN978-2-7071-5866-6, BNF42390258), La palette de saveurs d'un cinéma créatif et impertinent page 205
↑Marie Normand, « Apitchatpong Weerasethakul, Palme d'Or 2010 : "La plupart des Thaïlandais ne verront pas mon film" » (Entretien), Gavroche Thaïlande, no 189, , p. 40 à 42 (21-22) (lire en ligne [PDF])
↑Sous la direction d'Adrien Gombeaud, Dictionnaire du cinéma asiatique, nouveau monde édition, , 640 p. (ISBN978-2-84736-359-3), Apichatpong WEERASETHAKUL pages 563 et 564 (par Bastian Meiresonne)
↑Antoine Thirion, « Grand prix d'honneur » (Rétrospective des longs métrages et courts métrages d'Apichatpong Weerasethakul au 32ème Festival international de cinéma de Marseille), sur fidmarseille.org,