Durant une carrière de plus de trente ans le Chevreuil a navigué dans l'Atlantique, la Méditerranée, le Pacifique et dans d'autres mers en Orient. De toutes ses missions l'une a plus particulièrement marqué les mémoires, elle est citée par Charles de Gaulle dans son ouvrage intitulé mémoires : « l'aviso Chevreuil rallie l'archipel de Wallis-et-Futuna à la France libre ».
Construction
Ce navire, est un aviso dragueur, de la série « coloniale », de la classe Chamois[1]. Il est mis sur cale à l'arsenal de Lorient en . Il fait partie d'un programme, initié vers 1934, de construction d'avisos de première classe capables d'avoir également des missions de dragueur de mines. Ces constructions sont financées par des contributions prises sur les budgets des années 1934 à 1938. Il est lancé le [2].
Le , un décret nomme le capitaine de corvette Henri-Marie-Joseph de Veillechèze de La Mardière, commandant de « l'aviso de première classe Chevreuil »[4].
Au début de la Seconde Guerre mondiale, le Chevreuil est attaché à la flotte de l'Atlantique et effectue des missions d'accompagnements de convois de navires marchands. À la fin de la bataille de France il se réfugie à Portsmouth, où il est abandonné par son équipage. La Royal Navy saisit le navire à l'abandon, dans une cale sèche, le [5].
Aviso des Forces navales françaises libres
Missions en Atlantique Nord
Après l'avoir remis en état, les Britanniques l'affectent, le , aux Forces navales françaises libres. L'Amiral Muselier, charge l'enseigne de vaisseau François Paul Eugène Fourlinnie d'en assurer le commandement. Un équipage d'environ cent marins est constitué avec des volontaires ayant rallié la France libre. L'unité est affectée à la protection de convois de navire de commerce sur la ligne entre la Grande-Bretagne et l'Amérique du Nord, Canada et États-Unis. Sa mission est de veiller sur les convois montants jusqu'au milieu de l'Atlantique Nord, puis après un passage de relais, de reprendre sa surveillance autour d'un convoi descendant. Durant les mois que dure cette mission les convois ne subissent pas de pertes dues aux sous-marins de la Kriegsmarine[5].
Le Chevreuil souffre, dans les tempêtes hivernales de l'Atlantique Nord, d'autant plus qu'il n'a pas été conçu, ni construit, pour les affronter mais pour naviguer dans des eaux tropicales plus paisibles. Les avaries sont importantes et nombreuses ce qui nécessite une mise en carénage en Grande-Bretagne, au printemps 1941[5].
Cap sur le Pacifique et Papeete
Le l'état-major de la Forces navales françaises libres fait une demande à l'amirauté britannique pour envoyer le Chevreuil dans le Pacifique. Après un accord sur ce programme, l'aviso rejoint le port de Plymouth pour s'armer en fonction de cette nouvelle mission. Celle-ci comporte principalement le transport de personnel à Tahiti puis de se mettre sous les ordres du commandant de la Marine dans le Pacifique, le capitaine de frégate Cabanier, pour effectuer des missions de maintien de l'ordre[1].
Le Chevreuil, toujours commandé par Fourlinnie, appareille le pour le port de Belfast qu'il atteint en fin de journée le lendemain. Le , après avoir fait le plein de carburant et embarqué Paul Antier, de concert avec le paquebotAriguani , il appareille pour rejoindre son poste d'escorteur du convoi de navires de commerce OS4, pour la traversée de l'océan. Le 26, les sous-marins allemands : U 557, U 561 et U 141 sont en action : les cargos Saugar et Tremoda sont torpillés et coulés. Le Chevreuil récupère à la mer, les 18 survivants du premier naufrage et les 14 du second. Le 29, il fait une attaque à la grenade après un contact ASDIC mais le sous-marin a disparu. La suite de la traversée est sans problèmes et l'aviso, avec le convoi, arrive à Kingston Harbour le [6]. Il est rejoint par le Cap des Palmes. Les deux navires appareillent ensemble du port de la Jamaïque. Le , ils franchissent le canal de Panama et accostent le à Balboa. Le Chevreuil appareille seul le et, après une traversée sans histoire, est à Papeete le . il y retrouve le contre-torpilleurLe Triomphant présent depuis le , ils sont bientôt rejoints par le croiseur auxiliaireCap des Palmes[7].
Après un mois d'escale, le Chevreuil reprend la mer le et via Suva, aux Fidji, rejoint Sydney, en Australie, le , pour un passage en cale sèche et des essais de la ceinture magnétique du navire[8].
Le , le Chevreuil appareille et fait route sur la Nouvelle-Calédonie, il atteint Nouméa le . Jusqu'en il va effectuer cinq principales missions, avec Nouméa comme point de départ et de retour, qui vont lui permettre de sécuriser et montrer la présence de la France libre dans un grand nombre d'îles et de lieux : 1 : île Neba, île Yandé, île Pott, île Art, baie d’Harcourt, passe de Pouébo, île des Pins ; 2 : Goro, baie de Kuto, îles de Maré, Lifou, Ouvéa, île Surprise, atoll de Huon, île Pott, Paagoumène ; 3 : Nouvelles-Hébrides, îles Banks, Port-Vila, Mallicolo, Espiritu Santo, Ambae, Port-Olry, Santa-Maria, baie de la Dives, îles Vanua Lava, Namaram, Port Sandwich, île Tonga, baie Sasaki, île Tanna, baie Résolution, baie Dillon, île Ancytume ; 4 : Hienghène (côte est) dépôt d’un détachement de l’armée pour sécuriser une zone peu sure ; 5 : Rarotonga (îles Cook). On note également plusieurs passages à l'île Walpole et à l'île Pott pour un ravitaillement de postes de guet. À l'issue de ces mission le Chevreuil repart de Nouméa, de concert avec le Cap des Palmes, le pour Sydney où il va faire des réparations. Le chantier va durer deux mois, le Chevreuil reprend la mer le [8].
Le Chevreuil est de retour à Nouméa le . La situation en ville est difficile du fait des troubles causés par le rappel du gouverneur Henri Sautot. Sur l'aviso les mesures de sécurité militaires sont prises, bateau au mouillage, officier de quart sur le pont avec des hommes armés. Le , Henri Sautot et quatre notables sont amenés à bord puis l'aviso s'éloigne de la ville en allant prendre un mouillage dans le lagon à environ 1 400 m, du phare Amédée. Le , appareillage tôt le matin et mouillage en milieu de l'après-midi à l'île de Walpole pour rapidement débarquer quatre des passagers, puis reprend la route vers Auckland. Le , arrivée à Aukland et débarquement de Sautot et du commissaire Renard qui l'accompagne. Le Chevreuil met immédiatement le cap sur Nouméa. Le il fait un bref arrêt à l'île de Walpole, pour récupérer les passagers débarqués à l'aller, et le lendemain arrivée à Nouméa[9].
Le , le commandant de la « place forte » de Nouméa, Jean Espana dit capitaine Molina, déjeune avec le Haut commissaire, Georges Thierry d'Argenlieu. À la fin du repas d'Argenlieu indique au capitaine Molina qu'il embarque dans une heure sur le Chevreuil[10], qu'il ne connaîtra sa mission qu'après avoir ouvert, en pleine mer, des plis secrets. L'aviso appareille à l'heure prévue avec des passagers : le capitaine Molina, le médecin capitaine Mattei, les aspirants Aprioux, Gauthier, Jacques Very, Gabriel Fotier, Jean-Claude Rouleau et l'officier de marine Gilbert Leumière. C'est le que sont ouverts les plis : les ordres sont de rejoindre un point de rendez-vous, fixé le , avec une flotte anglo-américano-australienne qui vient pour installer une base avec un terrain d'aviation sur l'île de Wallis. L'aviso doit prendre la tête de l'« armada » pour souligner qu'il s'agit d'un territoire français. Le docteur Mattei doit être installé comme résident à la place du vichyste Vrignaud. Les instructions précisent le rôle de chacun : la direction de l'opération est confiée à Fourlinnie, en mer, et à Molina à terre. D'autres documents indiquent, notamment, que l'archipel doit être rallié à la France libre une fois que les Américains auront débarqué et l'état des lieux, avec une inconnue, c'est de savoir si les Japonais sont maîtres de l'île[11].
Le commandant Fourlinnie voit le problème différemment. Il estime que le personnel du Chevreuil est capable de se débrouiller seul pour obtenir le ralliement. Car s'il n'y a pas de Japonais cela ne pose pas de problèmes et par contre s'ils sont présents avec de l'artillerie, l'aviso n'ayant pas un blindage suffisant, il préfère être coulé seul plutôt qu'à la tête de la flotte des alliés. Le capitaine Molina approuve ce choix : « c'était un joli coup à tenter, et je félicitai Fourlinnie pour son idée »[11]. Le Fourlinnie manœuvre avec habileté l'aviso pour lui faire franchir la passe Honikulu, difficile à traverser. L'inquiétude d'une présence japonaise dissipée, il approche du rivage, la petite compagnie de débarquement, avec Molina, embarque dans les canots et rejoint la plage. Ils y trouvent le médecin-résident Vrignaud qui, le soleil dans les yeux, n'avait pas déterminé si le navire était envoyé par Vichy ou par la France libre. Molina lui indique qu'il doit l'arrêter, sur ordre du Haut-commissaire d'Argenlieu. Vrignaud se rend en donnant son arme de poing, puis, acceptant d'être prisonnier sur parole, il conduit la compagnie à la résidence administrative. La compagnie investit le poste émetteur radio et impose aux opérateurs d'y remettre le quartz qu'ils avaient caché. Cet objectif prioritaire étant réalisé, Molina emmène Vrignaud à bord du Chevreuil avant de retourner sur l'île avec un interprète et quelques cartouches de cigarettes. Il rejoint le Palais-Royal à Mata-Utu à la rencontre des Wallisiens. Le « premier ministre » (le Kivalu) et ses « ministres », parlant français, il les assure que c'est un moment historique de l'amitié franco-wallisienne et leur offre en cadeau les cigarettes. Ayant découvert qu'un personnage en arrière-plan, qu'il avait ignoré, était le roi coutumier (Lavelua), il fait mettre les marins au garde-à-vous et, décrochant son insigne à la Croix de Lorraine, il l'agrafe sur la poitrine du roi. Celui-ci s'exclame « vive la France, vive le Général de Gaulle »[12] ce qui est immédiatement repris par les Wallisiens présents. Molina rejoint le poste radio et télégraphie à de Gaulle et à d'Argenlieu que Wallis était désormais une terre acquise à la France libre. Puis le roi signe l'engagement de ralliement[13].
Aviso de la Marine nationale française
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À l'automne 1959, l'aviso Chevreuil, déclassé, est racheté[a] par la Tunisie[15]. Il est remis au gouvernement tunisien le dans le port de La Goulette[16]. Bâtiment[b] de la Marine nationale tunisienne, il est renommé Destour[c], avec l'indicatif E71[17], puis utilisé comme navire-école[15].
En 1961, lors de la « crise de Bizerte » l'aviso Destour, qui est en réparation à l'arsenal, est remorqué dans le port de commerce sur ordre du gouvernement[18]. Le , la 1re compagnie du 2e régiment de parachutistes d'infanterie de marine progresse le long du goulet à Bizerte, au port de commerce elle s'empare, sans résistance du Destour et de la vedette Istiklal, qui est également à quai[19]. Le le gouvernement français informe son équivalent tunisien que l'aviso et les deux vedettes qui ont été pris par l'armée française seront restitués à la Tunisie lorsqu'une situation normalisée sera effective[20].
Le , en rade de Bizerte c'est le départ des bâtiments de la marine française qui laisse ses installations de sa base navale, avec quelques instructeurs, à la Tunisie. Le bateau amiral français est le dernier à quitter la rade sous le regard des Tunisiens, notamment : Bahi Ladgham, Taïeb Mehiri et Hassib Ben Ammar, qui entrent en rade à bord de leur aviso Destour. Le navire accoste et Bahi Ladgham quitte le bord pour hisser le pavillon tunisien sur la base et annoncer au président Habib Bourguiba« mission accomplie ».[21].
La marine tunisienne déclare le Destour non opérationnel en 1970[17].
Des hommes du Chevreuil
Commandants
Henri-Marie-Joseph Veillechèze de La Mardière (1897-1984) : de 1939 à 1940 (capitaine de corvette)[22].
François Paul Eugène Fourlinnie (1915-1994) : de septembre 1940 à juillet 1943 (enseigne de vaisseau)[23].
Kerez : du 14 mai 1943 au 10 août 1943, commandant par intérim (enseigne de vaisseau).
Pierre Mariotti (dit Villebois) : du 10 août 1943 au 16 août 1944 (lieutenant de vaisseau).
Teisserre : du 16 août 1944 à octobre 1959
Jean Marie François Jules Guerre (1907-1950) : de 1949 à 1950[24].
Autres
Outre les nombreux marins et officiers qui sont passés à bord, quelques uns sont connus pour une autre activité :
↑D'autres sources indiquent que l'aviso a été donné ou offert par la France à la Tunisie.
↑Les sources sur l'aviso, après sa reprise par la Tunisie, utilisent les termes d'aviso ou d'escorteur.
↑Devenu tunisien l'ancien aviso Chevreuil de la marine française est appelé suivant les sources Destour[15], Destur[3] ou encore Dustur[17] avec l'indicatif E71. Il s'agit bien du même, puisque chacune de ses dénominations est au moins une fois associée à Chevreuil et à cette époque le nombre de navires de la marine tunisienne est très faible.
Jean-Claude Roux, Wallis et Futuna : espaces et temps recomposés : chroniques d'une micro insularité, Bordeaux, Presses Univ de Bordeaux, coll. « Iles et archipels » (no 21), , 404 p. (ISBN978-2-905081-29-2, lire en ligne), p. 223-224.
Olivier Rochereau (dir.) et al., Mémoire des Français libres : Du souvenir des hommes à la mémoire d'un pays, Paris, Nouveau Monde éditions, , 978-2-84736-190-2 (ISBN978-2-36583-055-3, lire en ligne).
Dimitri Ignatieff, « Présence dans le Pacifique des navires de la France Libre : Le Chevreuil », Revue maritime, no 484, , p. 96-99 (lire en ligne, consulté le ).
Béchir Turki, Éclairage sur les recoins sombres de l'ère bourguibienne, Tunis, Clairefontaine S.A., , 199 p. (ISBN978-9973-02-701-6, lire en ligne).
J.-C. Vanbostal, « La Marine Tunisienne », Neptunus Marine, vol. 54e année, no 299, , p. 35 (lire en ligne, consulté le ).