Europeana. Une brève histoire du XXe siècle (Europeana. Stručné dějiny dvacátého věku) est une œuvre de l'écrivain tchéco-français Patrik Ouředník, parue en 2001 à Prague et en 2004 à Paris. Il s'agit du livre tchèque le plus traduit depuis l'avènement de la démocratie en 1989[1].
Europeana prend de plain-pied aussi bien la crise du roman que celle de l’histoire. Il le fait par la fiction : mais cette fiction ne se tisse que de l’histoire, tamisée, filtrée par un narrateur qui ne s’exprime que dans une relation de ce qui a été, en rapportant ce qu’ont fait, pensé, subi, éprouvé « les gens », « les fascistes », « les femmes », « les hommes », « les communistes », « les jeunes écrivains », « les catholiques », « les végétariens », etc., etc. Autrement dit, le tissu du récit est l’Histoire, entre 1900 et 2000, avec parfois l’inclusion d’une profondeur de plus longue durée, en quelques phrases. Mais le roman naît de la langue ; c'est elle qui représente, aux yeux de l'auteur, “la vérité d'une époque” : « [Je pars du principe] qu'il est possible de prendre comme synonyme de la “vérité d'une époque” la langue de cette époque, autrement dit de s'emparer d'un certain nombre de tics langagiers, de stéréotypes et de lieux communs et de faire en sorte qu'ils agissent et qu'ils se confrontent au même titre que les personnages d'un récit traditionnel. »[2].
Le livre n’est donc ni un roman, ni un essai, ni une réflexion articulée sur le XXe siècle ; la désignation peut-être la plus astucieuse serait celle du critique tchèque Jaroslav Richter qui parle de “roman polyphonique”[3] Tout se passe comme si le narrateur avait assimilé la culture européenne et les discussions sur cette culture, et en particulier les théories sur les races, sur les langues, sur le progrès et le scientisme, sur l’humanisme, sur l’universalisme et les particularismes, et qu’il la restituait dans une synthèse qui soude les événements les plus divers du XXe siècle, ses catastrophes et l’expérience quotidienne des hommes.
La logique du récit paraît procéder par des rapprochements de fil en aiguille, et par collage de clichés, dans une mise à plat de la logique habituelle, qui n’est pas pourtant celle de l’absurde : on est au-delà de l’absurde, dans une proposition de restitution du vécu des humains, sans affects, sans émotion apparente. Les notes marginales qui paraissent résumer les parties essentielles de chaque page et souligner la progression de la « pensée » de l’auteur introduisent une dimension de « second degré » et de dérision, dans la mesure où elles s’attachent le plus souvent à des platitudes, ou bien radicalisent les choses.
C’est peu dire qu’Ouředník ne craint ni les rapprochements surprenants, ni les raccourcis et même les télescopages à travers le temps et les faits, puisqu’au contraire, c’est sur eux qu’il construit son texte. Le lecteur se laisse prendre à cette réflexion qui ne se donne pas pour telle, qui est dans l’espace littéraire, et même et surtout dans la langue. Il s’agit d’un texte, ou plutôt d’une « langue », qui « transmet » pour qui veut bien s’y attacher une synthèse de l’expérience humaine du XXe siècle, tout en montrant justement son impossibilité en dehors de ce fil conducteur de l’œuvre écrite — des mots.
Incipit
“Les Américains qui ont débarqué en 1944 en Normandie étaient de vrais gaillards ils mesuraient en moyenne 1m73 et si on avait pu les ranger bout à bout plante des pieds contre crâne ils auraient mesuré 38 kilomètres.”