Eustache de Saint-Pierre (vers 1287-1351) est le plus connu des six bourgeois de Calais qui se rendirent, « en chemise et la corde au cou », auprès du roi d'Angleterre Édouard III pour implorer la grâce des habitants de Calais en , et auxquels, selon le chroniqueur Jean Froissart, le roi fit grâce à la demande de son épouse, Philippa de Hainaut. Dans son second mémoire, Louis-Georges de Bréquigny a écrit que, après la mort d'Eustache de Saint-Pierre, ses héritiers n'ont pas réclamé sa succession et que ses biens ont alors été confisqués pour être donnés à Gerwarby, directeur des fortifications de Calais[1].
Eustache de Saint-Pierre et la reddition de Calais, entre histoire et mythe national
La scène de la reddition des bourgeois de Calais a été mythifiée par les artistes (voir postérité artistique du siège de Calais) et l'historiographie française en acte d'héroïsme. Rodin participe à ce processus dans un monument édité en bronze à douze exemplaires et qu'on peut voir notamment sur la place du Beffroi à Calais, dans les jardins du Parlement de Londres, à la glyptothèque de Copenhague ou au musée Rodin à Paris. Cette mythification aurait pu être remise en cause par l'érudit Louis-Georges de Bréquigny qui découvre en 1766 dans la Tour de Londres des actes d'Édouard III révélant que le roi d'Angleterre a restitué des biens à Eustache de Saint Pierre qui après la reddition a été maintenu dans la ville et s'est fait Anglais alors que l'essentiel de sa population fut expulsée pour y installer des Anglais. La question qui se pose à cette époque est alors de savoir si Eustache de Saint Pierre et ses compagnons sont des traîtres, des collaborateurs ou des héros (cette question ne se pose plus aujourd'hui car les historiens savent que la reddition est un rituel de capitulation, d'amende honorable qui était couramment pratiqué au Moyen Âge, suivi par le pardon du vainqueur). Cette découverte archivistique ne remet cependant pas en cause l'entreprise de mythification visant à légitimer un paradigme fondamental de la pensée sur la nation au XIXe siècle : la distinction entre la petite patrie (patriotisme de localité) et la grande patrie (patriotisme national)[2].
↑Jean-Marie Moeglin, Les Bourgeois de Calais : essai sur un mythe historique, Albin Michel, , p. 234.
Annexes
Bibliographie
Pierre Laurent de Belloy, Le siège de Calais, tragédie, dédiée au Roi, par M. de Belloy ; représentée pour la premiere fois, par les Comédiens français ordinaires du Roi, le 13 février 1765. Suivie de notes historiques, Paris, Chez Duchesne libraire, (lire en ligne)
Claudine-Alexandrine Guérin marquise de Tencin, Le Siège de Calais, nouvelle historique, augmenté de l'histoire d'Eustache de Saint Pierre sous le règne de Philippe de Valois, roi de France et de Navarre, en 1346 et 1347 avec le portrait, Amsterdam, Compagnie des libraires, (lire en ligne)
Philippe Jacques de Laroche dit Hubert Laroche, Eustache de Saint-Pierre, ou le siege de Calais, mélodrame en 3 actes, Paris, Chez Pollet libraire-éditeur, (lire en ligne)
Louis Georges Oudard Feudrix de Bréquigny, « Mémoires pour servir à l'histoire de Calais. Second mémoire. Siège et prise de cette place par Édouard III, roi d'Angleterre », dans Mémoires de littérature tirés des registres de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres depuis l'an MDCCLXXXIV, jusques et y compris l'année MDCCXCIII, Paris, Imprimerie nationale, (lire en ligne), p. 594-622
Louis Georges Oudard Feudrix de Bréquigny, « Mémoires pour servir à l'histoire de Calais. Troisième mémoire. Calais sous la domination angloise, depuis 1347 jusqu'à la fin du règne d'Édouard III, en 1377 », dans Mémoires de littérature tirés des registres de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres depuis l'an MDCCLXXXIV, jusques et y compris l'année MDCCXCIII, Paris, Imprimerie nationale, (lire en ligne), p. 623-645
Auguste-Clovis Bolard, « Dissertation sur le dévouement d'Eustache de Saint-Pierre et de ses compagnons au siège de Calais, en 1347 », Mémoires de la Société des antiquaires de la Morinie, t. 3 - Année 1836, , p. 26-72 (lire en ligne)
Henri Piers, Considérations sur le dévouement d'Eustache de Saint-Pierre, opinion lue à la séance du 4 décembre 1835 de la Société des antiquaires de la Morinie, Saint-Omer, Imprimerie de Lemaire, (lire en ligne)
François Guizot, Édouard III. et les bourgeois de Calais ou les Anglais en France (1346-1558), Paris, Librairie de Louis Hachette et Cie, (lire en ligne)
Jean-Marie Moeglin, « Édouard III et les six bourgeois de Calais », Revue historique, t. 292, no 2, , p. 229-267
Jean-Marie Moeglin, Les bourgeois de Calais : essai sur un mythe historique, Paris, Éditions Albin Michel, coll. « L'évolution de l'humanité », , 462 p. (ISBN978-2-226-29774-7), compte-rendu par Laurent Avezou, « Jean-Marie Moeglin. Les bourgeois de Calais : essai sur un mythe historique », Bibliothèque de l'École des chartes, t. 161, no 1, , p. 349-351 (lire en ligne)