Dans une généalogie qui remonte jusqu'au hameau d'Écorchemont sur la commune du Thuit près des Andelys vers 1700, François Décorchemont est issu d'une famille d'artistes : son grand-oncle Jean-Louis Décorchemont (1796-?), sculpteur, est l'auteur des statues des douze apôtres conservées en la collégiale Notre-Dame de Vernon et son père, Louis-Émile Décorchemont (1851-1921), né à Saint-Pierre d'Autils et marié à Françoise Laumonier, est également sculpteur, comptant parmi ses œuvres la statue d'Antoine-Louis Barye[2] visible sur la façade l'hôtel de ville de Paris[3]. Les maîtres-verriers Étienne Leperlier (né en 1952) et Antoine Leperlier (né en 1953) seront ses petits-fils.
François Décorchemont passe les douze premières années de sa vie à Conches-en-Ouche chez son grand-père maternel François-Michel Laumonier, sculpteur de figures religieuses et réalisateur de meubles d'église consacrant ses loisirs à des fouilles d'archéologie gallo-romaine auxquelles il fait participer l'enfant, élève de l'école communale de Conches-en-Ouche jusqu'en 1892 où il vient vivre avec ses parents au 12, rue Ganneron à Paris et où il est élève du lycée Chaptal[3]. Après ses études à l'École nationale des arts décoratifs de Paris où Henry de Waroquier, Francis Picabia, Victor Lhuer, Maurice Dufrêne et Georges Bastard - ce dernier, futur directeur de la Manufacture nationale de Sèvres, restera durablement un proche ami - sont de ses condisciples[3],[4], période où il peint déjà des paysages de facture impressionniste dans de petits formats qu'il signe du monogramme FD, il commencera à réaliser de nombreux objets en pâte de verre qui lui apporteront rapidement la notoriété.
Maître verrier et toujours peintre
La technique de la pâte de verre s'était développée à la fin du XIXe siècle chez les verriers. Revenant s'installer à Conches-en-Ouche en 1907 pour y construire un four à bois et remplacer progressivement la technique de l'estampage - par laquelle il avait réalisé de premières pièces en pâte d'émail - par le procédé de la cire perdue, il fait évoluer dans les premières années du XXe siècle la technique de la pâte de verre fine puis épaisse et diaphane[5]. « Atteignant la perfection de son art »[6], il s’impose alors comme maître verrier et invente une matière nouvelle, la pâte de cristal. Devenant artiste permanent de la Galerie Georges Rouard au 34, avenue de l'Opéra, il ne cessera cependant jamais de peindre : « Vers 1930, il est véritablement un peintre d'atmosphère, sensible au caractère d'une région, à la qualité de sa lumière, à son charme particulier. Il peint en Normandie qu'il aime surtout au printemps et à l'automne, un peu en Bretagne et dans le Nivernais. Il est séduit par la finesse et la délicatesse des verts des herbages normands, par les pierres grises et les chemins creux bretons et par la lumière bleue des bords de Loire. Il peint aussi des natures mortes et des fleurs »[7].
Personnage très discret et peu communicant, il garde secrètes ses découvertes et ses techniques. Peintre, céramiste, verrier, il crée l’ensemble de ses œuvres, le dessin, le moule et la finition, offrant à Jean Marchal de souligner : « c'est la seule œuvre qui porte la marque d'un seul homme, créateur complet comme autrefois l'artisan médiéval, mais aussi par ses images théologien et historien du christianisme »[3].
Situé par Jean Rollet « parmi les grands créateurs verriers du XXe siècle »[10], son œuvre se caractérise par un dessin épuré, proche de l'Art nouveau, aux lignes simples et par l'éclat, la transparence et la luminosité des couleurs. Ses créations n’ont pas de valeur fonctionnelle mais seulement décorative de par leur fragilité et leur coût de production. Il édite ses œuvres en petites séries et ne cherche pas le rendement mais l’esthétisme.
Art du verre, Musée des Arts décoratifs, Paris, 1951.
Premier Salon de peinture de Conches-en-Ouche (François Décorchemont fondateur), 1953[5]
Cent ans, cent chefs-d'œuvre du Musée des Arts décoratifs, Musée des Arts décoratifs, Paris, 1964.
Trésors de sable et de feu, Musée des Arts décoratifs, Paris, 2015.
Expositions personnelles
François Décorchemont - Rétrospective, Hôtel du Grand Cerf, Évreux, 1971[13].
François Décorchemont - Paysages et cours d'eau - Quarante tableaux dans le cadre du 2e Festival Normandie impressionniste, Musée du Pays de Conches, Conches-en-Ouche, juin-septembre 2013[14].
Réception critique
« François Décorchemont, un des artistes qui, depuis un quart de siècle, se sont le plus obstinément consacrés à la pâte de verre, en a précisé la technique et singulièrement développé les ressources… Massifs et pourtant harmonieux, solides et précieux à la fois dans leur dessin rigoureusement arrêté, les ouvrages de François Décorchemont ont la sobre beauté qui vient de la qualité rare de la matière, du rigoureux équilibre des proportions. Faisant corps avec la substance vitreuse elle-même, les colorations tantôt profondes, tantôt subtiles et changeantes, y tracent en se mariant de larges marbrures ou d'indéfinissables nuées. Et le décor, de plus en plus simple, n'est là que pour mettre tout le reste en valeur. Céramiste ? Verrier ? Peu importe ! François Décorchemont est un artiste qui, d'un procédé qui est le sien, d'une matière qu'il a créée a su tirer des effets dont le raffinement et la plénitude nous réjouissent. » - René Chavance, 1926[15]
« François Décorchemont est un artiste prodigieux, une des gloires de la verrerie actuelle. E,n sortant de l'École des arts décoratifs il se trouva tout naturellement associé aux travaux de son père et leur donna une orientation à la fois plus picturale et plus céramiste. Il a en effet le tempérament d'un peintre (il peint toujours à merveille) et la technique d'un céramiste. En 1921, il peignit le maître incomparable, le guide sûr et dévoué que son père avait été, et pourtant il s'épanouit, atteignit à une grandeur et une noblesse extraordinaire. À l'heure actuelle il se renouvelle encore, il touche à une perfection que la modestie charmante de l'artiste rend encore plus sensible. Il n'existe rien de comparable ni dans la céramique ni, bien entendu, dans la verrerie. L'œuvre de Décorchemont vaut mieux que des paroles. Mais, jeune encore, il songe à l'avenir et nous prépare de nouveaux émerveillements. » - Ernest Tisserand, 1929[16]
« L'œuvre verrier de Décorchemont s'échelonne sur près de trente ans. Créateur de ses modèles, il vit naître et évoluer trois styles. Son art s'y est successivement adapté avec bonheur, de l'Art nouveau à l'Art actuel en passant par l'Art Déco. L'arrivée de ce dernier coïncide avec la pleine maturité de ses moyens et de sa créativité, aussi la part de son œuvre marquée par ce style est-elle la plus importante et également celle où l'originalité de sa personnalité sut le mieux s'imposer. C'est vers la fin de 1932 que Décorchemont se lança dans une nouvelle dimension artistique, celle du vitrail en pâte de verre. La commande d'une verrière de 300 mètres carrés pour l'église Sainte-Odile, en cours de construction à Paris, l'occupa de 1935 à 1938. Ce chef-d'œuvre, qui le ruina, est l'un des plus impressionnants achèvements de l'art verrier. Il reste, hélas, bien peu connu, même des Parisiens. » - Giuseppe Cappa, 1998[17]
« François Décorchemont est une figure majeure de l'histoire des arts du feu. Ses recherches le situent au rang des rares créateurs qui ont su faire évoluer leur œuvre du naturalisme de l'Art nouveau aux géométries rythmées et épurées de l'Art déco. Alchimiste de la couleur, il joue sur les métamorphoses et la mutation des matériaux pour créer une pâte de verre épaisse aux nuances infinies dans laquelle la lumière joue un rôle déterminant. Membre du Salon des artistes décorateurs et du groupe des Artisans français contemporains, Décorchemont se lie d'amitié avec les céramistes Jacques Lenoble, Émile Decœur, Georges Serre et Séraphin Soudbinine, les dinandiersClaudius Linossier et Maurice Daurat, le tabletierGeorges Bastard dont il se sent techniquement et stylistiquement proche. » - Véronique Ayroles, 2006[18]
« Avant la Première Guerre Mondiale, il réalise de petites pièces d'inspiration romaine. Après 1919, les détails naturalistes laissent place aux formes géométriques. Tous ses modèles en pâte de verre sont très méticuleusement fabriqués selon une technique analogue à celle du bronze à cire perdue et portent sa signature complète inscrite dans le moule, e, forme de coquillage. À partir de 1903, beaucoup d'objets reçoivent un numéro complémentaire gravé qui aide à la datation. Les pièces caractéristiques des années 1920 se composent de vases et de coupes sur pied, dans des couleurs profondes, marbrées, tachetées, rappelant parfois l'écaille de tortue. Les décors extérieurs en relief deviennent rares après 1925. Décorchemont a également réalisé des pièces délicates plus pâles en pâte de verre translucide. » - Judith Miller, 2012[19]
« Après une carrière qui le place parmi les grands maîtres de l'objet en verre, aux côtés de Daum et Lalique, François Décorchemont s'oriente vers la création de verrières. Riche de son expérience dans l'utilisation de la pâte de verre, et toujours fasciné par sa transparence et sa luminosité, il repense, en "alchimiste passionné", la substance du verre et élabore de nouvelles structures portantes qui feront de ses vitraux une œuvre unique. S'il ne s'écarte jamais d'un langage formel et iconographique très classique conforme à ses convictions religieuses, il simplifie à l'extrême trais et réseaux pour laisser éclater une étonnante palette de couleurs. Ce travail, à la fois unique et considérable, s'ancre principalement dans un lieu et son histoire : le département de l'Eure après les dévastations de la Seconde Guerre mondiale. "Je ne fais mon carton que pour l'endroit où il doit aller et cherche autant que possible à ce qu'il rappelle un fait, un moment, un décor de la ville où il doit être posé. » - Marie Noëlle Médaille, 2018[20]
Conservation
Églises et monastères
Paris
église Sainte-Odile, 17e arrondissement de Paris[3] : outre les vitraux symboliques du chœur (1938), trois verrières de la nef (300 m2) constituées de 210 panneaux de vitraux : Évangélisation de la France à travers la vie des Saints, 1935-1937[21].
Dans la verrière centrale dédiée à Sainte Odile, François Décorchemont a représenté les initiateurs et acteurs de la construction de l'église : le cardinal Jean Verdier, l'abbé Edmond Loutil portant la maquette de l'église et l'architecte Jacques Barge. Sous Sainte Odile, l'artiste s'est lui-même représenté en mendiant aveugle tenant une sébile dans laquelle sa fille Michelle dépose une aumône.
Albepierre, quatre vitraux : La Sainte Famille, La Vierge de la paix, Saint Timothée, La parabole du bon grain et de l'ivraie (1939-1942), Notre-Dame des oliviers, 1946[24] ;
Fressanges, quatre vitraux : Saint Jean l'évangéliste, L'archange Saint-Michel, Saint-Louis, Le Sacré-Cœur, 1958-1964[24].
Église Sainte-Cécile, Acquigny, Glorification de Sainte Cécile et baptême de Saint Valérien, vitrail en tympan semi-circulaire (nef, mur ouest), 1936[26] ;
Église Saint-Pierre, La Bonneville-sur-Iton, 5 vitraux, 1959-1964 : Jeanne d'Arc, 1961[30] ; Procession d'enfants vers l'église de La Bonneville-sur-Iton, 1962[31], L'adoration des mages, Sainte Geneviève ravitaillant Paris assiégé, Saint Louis recevant Étienne Boileau et les corporations[3] ;
Église Saint-Hilaire, Muids, Vie de Saint Hilaire de Poitiers, Vie de Saint Hubert, La pêche miraculeuse et trois paraboles : Le bon pasteur, Le bon grain et l'ivraie, Le fils prodigue, en tout 8 vitraux (travées ouest de la nef) et La Sulamite, favorite de roi Salomon, 1 vitrail (centre du chœur) 1949-1955[42] ;
Église Saint-Maximin de Nagel-Séez-Mesnil, Crucifixion[43] et La pêche miraculeuse et la mission des apôtres[44], 2 vitraux, 1962, 1964 ;
Église Saint-Aubin, Pacy-sur-Eure, L'Ascension du Christ et l'Assomption de la Vierge, 1 viytail, Figures symboliques extraites des litanies de la Vierge, 2 vitraux, soit 3 vitraux en tout[3], 1951 ;
Église Saint-Denis, Saint-Denis-d'Augerons, Le bon Samaritain, La guérison du paralytique, Saint Denis prêchant en Gaule, La Cène, La Vierge de Lourdes, 5 vitraux, 1946-1947[46] ;
Église Saint-Étienne, Saint-Étienne-l'Allier, Vierge à l'Enfant, Litanies de la Vierge[47], Saint Benoît et Sain Expédit, Saint Maurice et Saint Emma, Petite rose chantant "Marie, reine du ciel et reine de France", 5 vitraux, 1939[3] ;
Église Saint-Pierre, Saint-Pierre-de-Cormeilles, Scènes de la vie de la Vierge (4 vitraux), Rencontre du Christ et de Saint Barthélémy (1 vitrail), Guillaume Fitz Osbern remet aux moines la charte de la fondation de l'abbaye (1 vitrail), Martyre de Saint Laurent (1 vitrail) soit 7 viytaux, 1953[50].
Hôtel de ville de Vernon, Saint Louis goûtant le cresson à la fontaine de Tilly en 1255, vitrail[67].Le maître-verrier Étienne Leperlier, petit-fils de l'artiste, y est représenté en porte-étendard au-dessus de Saint Louis[3].
Ouvrage collectif sous la direction de la Société des artistes français et de la Société nationale des beaux-arts, L'art décoratif aux expositions des beaux-arts de Paris, 2 volumes, éditions Armand Guérinet, Paris, 1903.
Giuseppe Cappa, L'Europe de l'art verrier, Pierre Mardaga éditeur, Liège, 1991.
Patrick-F. Barrer, L'Histoire du Salon d'automne de 1903 à nos jours, Arts et Images du Monde, 1992.
Ouvrage collectif, L'Art sacré au XXe siècle en France, éditions de l'Albatros - Société Présence du Livre, Thponon-les-Bains, 1993.
Service régional de l'inventaire de Haute-Normandie, Eure - François Décorchemont, maître-verrier, Connaissance du patrimoine de Haute-Normandie, Rouen, 1993.
Véronique Ayroles, « Un artiste-décorateur et sa galerie au XXe siècle : François Décorchemont et la maison Rouard », Revue de l'art, no 118, 1997, pp. 56-68(lire en ligne).
Giuseppe Cappa, Le Génie verrier de l'Europe - Témoignages de l'historicisme à la modernité (1840-1998), Pierre Maedaga éditeur, Sprimont, 1998.
Emmanuel Bénézit, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, vol.4, Gründ, Paris, 1999.
André Roussard, Dictionnaire des peintres à Montmartre, éditions André Roussard, 1999.
Jean Marchal, Les vitraux de François Décorchemont, éditions Lethielleux, 2001.
Véronique Ayroles, François Décorchemont, maître de la pâte de verre, Paris, Norma, , 384 p. (ISBN978-2-9155-4202-8).
Alastair Duncan, Art Déco - Encyclopédie des arts décoratifs des années vingt et trente, Citadelle et Mazenod, 2010.
Yves Delaborde, Le verre, art et design - XIXe – XXe siècles, ACR édition, 2011.
Judith Miller et Nicholas M. Davis, L'Art Déco, collection « L'Œil du chineur », Gründ, Paris, 2012.
Éric Louet, François Décorchemont : Paysages et cours d'eau, Conches, Musée du Verre de Conches / HB Impressions, Louviers, , 48 p. (ISBN978-2-9545361-0-1).
Ouvrage collectif sous la direction d'Angela Wilkes, Arts et design de 1850 à nos jours - Une histoire visuelle, éditions de la Martinière, 2016.
Marie-Noëlle Médaille, « François Décorchemont, maître verrier - La quête de la lumière », dans : ouvrage collectif sous la direction de Nicolas Coutant et Claire Maingon, Modernité sacrée - Aspects du renouveau de l'art sacré en Normandie (1920-1960), Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2017.
Virginie Michelland, « Le verre à Conches : un savoir-faire qui perdure », Patrimoine normand, vol.103, 9 octobre 2017.
Marie-Noëlle Médaille, François Décorchemont : maître verrier, Riotord, Éditions Lieux-Dits, , 75 p. (ISBN978-2-9506014-6-9).