Les quartiers juifs n'ont pas toujours été des lieux où les Juifs étaient contraints de vivre : les Juifs eux-mêmes ont pu choisir de se regrouper principalement en raison du quorum de 10 personnes nécessaire à la prière collective juive et donc la proximité de la synagogue.
Le Corpus iuris civilis (droit romain antique) au VIe siècle, impose aussi la ségrégation des Juifs et les oblige à résider dans des quartiers spéciaux, ancêtres des ghettos[3].
« L'idée du ghetto, dans son sens restreint, résulte de la tendance implantée dans le christianisme du IVe siècle au Ve siècle afin d'isoler les Juifs et les humilier »[2]. Cette idée apparait dans les conciles de l’Église du Moyen Age, en particulier lors du troisième concile du Latran (1179), où les Juifs et les chrétiens ne peuvent séjourner ensemble[4]. Dans le programme anti-juif des ordres religieux chrétiens, en particulier en Italie, il est appliqué, par exemple, à Bologne en 1417 et à Turin en 1425[2] ou en 1430. Ce quartier est institué par les statuts de Savoie d'Amédée VIII, duc de Savoie qui restreint, dans le duché de Savoie, les droits des Juifs, révoque leurs privilèges, interdit de construire des synagogues et sépare les habitations des chrétiens et des Juifs, par la création de Judeasymes[5]. Les Statuts de Savoie édictés en 1430 par Amédée VIII de Savoie sont considérés comme un Édit de tolérance même s'ils imposaient aux Juifs un lieu de résidence forcé. Toutefois, il semble que ce dernier point n'ait pas été respecté jusqu'au XVIIIe siècle et la fondation du ghetto de Turin en 1723[6].
Cependant le ghetto, en tant qu'institution permanente, n'apparaît qu'en 1516, créé par la république de Venise, à Venise. Les Juifs qui viennent y chercher refuge, sont acceptés sous condition qu'ils vivent dans le geto nuovo, une île isolée de Venise[2]. C'est en 1541, que le vecchio geto est ajouté et que l'ensemble est appelé « ghetto »[2]. Le mot ne se généralise que tardivement dans les autres cités de la péninsule italienne, comme à Rome où les sources chrétiennes évoquent d’abord un "sérail" (serraglio), un enclos ou une enceinte (recinto, ridotto, claustro degli ebrei).Si du côté juif on parle plutôt de "hasser", le terme ghetto coïncide plutôt avec le mot hébreu "ghet" qui correspond au document par lequel un homme concède le divorce à son épouse. De fait si les juifs ne perçurent pas immédiatement le changement radical qui s’imposait à eux, ils assimilèrent progressivement le ghetto à une sorte de divorce avec la société environnante selon Kenneth Stow.[1]
Le , le papePaul IV publie sa sévère bulle, Cum nimis absurdum : celle-ci impose aux Juifs des États pontificaux des restrictions et interdits religieux et économiques, et créé les ghettos dans les villes où résident les Juifs. Les ghettos vénitien et romain sont établis dans des buts différents : à Venise, il s'agit de résoudre la question de la présence mal acceptée de prêteurs juifs tandis qu'à Rome, l'objectif est la conversion de masse des Juifs[7]. Les ghettos en Italie à l'époque moderne étaient souvent le résultat d'une combinaison de discrimination religieuse, de pressions politiques et de considérations économiques, formant un ensemble complexe de facteurs qui ont influencé la mise en place de ces quartiers séparés, qui ont suscité une grande organisation spatiale et sociale complexe.
Il convient de rappeler que, en particulier en Italie centrale, des communautés juives subsistèrent dans certains petits États ou fiefs plus ou moins autonomes et indépendants, en particulier le long de la frontière entre le grand-duché de Toscane et l’État de l’Église. En effet, si la ghettoïsation s'impose progressivement comme la forme d’administration la plus répandue des populations juives d’Italie mais elle n’est pas la seule : elle coexiste avec d’autres modes de gestion à l’intérieur même de certains États, l’obligeant pas les populations juives à vivre dans des quartiers séparés comme ce fut le cas à Livourne, à Pise ou dans certaines petites "cités de confins" ou "de refuge" offert par quelques seigneurs ; c’est‑à-dire avec d’un côté des populations juives assignées à résidence dans des ghettos et de l’autre des groupes juifs (certes plus restreints) qui continuent à pratiquer le commerce de l’argent et à vivre plus ou moins librement mais en tout cas sans être soumis à une forme explicite et codifiée de ségrégation dans des petites localités que l’historien Ariel Toaff définit comme des "communautés de frontières[8]".
Malgré la tendance du ghetto au XVIe siècle, ils n’ont pas été institués partout et certains ghettos ont d’ailleurs disparu peu de temps après avoir été érigés, en particulier dans les États de l’Église : c’est le cas, par exemple, de ceux d’Ascoli (1555-1569), de Bologne (1566-1593), de Cingoli (1555-1569), ou encore d’Imola (1555-1569[9]).
Ghetto de Turin (1679-1848) : Il s'agit du premier des 19 ghettos dans lesquels sont enfermés environ 5 000 Juifs du duché de Savoie. Pour enfermer les 763 Juifs qui vivaient alors dans la ville, le grand bâtiment de l'Ospedale dei Mendicanti à San Filippo est choisi. L'augmentation rapide de la population juive, qui, en 1794, atteint plus de 1 300 personnes et conduit à étendre la zone du ghetto à la zone contiguë du nouveau ghetto, entre les rues de San Francesco et la Piazza Carlina.
Ghetto de Fossano (1705-1848) : En 1705, le ghetto est mis en place, dans la via IV Novembre, à la limite des quartiers Salice et Romanisi
Ghetto d'Alexandrie (1723-1848) : Situé via Milano et via Migliara, 420 Juifs d'Alexandrie y sont assignés à résidence obligatoire
Ghetto de Casale Monferrato (1723-1848): Le ghetto est délimité par les vias d'Azeglio et Balbo, d'un côté et de l'autre par la via Roma, l'allée Castagna et la grande Piazza San Francesco. Lors du recensement de 1761, il comprend 136 familles, avec un total de 673 personnes[11]
Ghetto de Nizza Monferrato(it) (1723-1848) : 79 Juifs vivent alors à Nizza Monferrato ils sont contraints, en 1723, de déménager de leurs maisons du quartier Ospedale, à l'actuelle via Massimo d'Azeglio, où leurs descendants y restent jusqu'à leur émancipation en 1848.
Ghetto de Trino (1723-1848) : La population juive atteint le maximum de 100 membres en 1880.
Ghetto de Vercelli (1723-1848) : 158 Juifs vivaient dans la ville. En 1740, le ghetto est déplacé dans la zone autour de la présente via Elia Emanuele Foa (anciennement la via degli Orefici)
Ghetto de Chieri (1724-1848) : La présence juive est documentée depuis le XVe siècle, dans le quartier autour de l'église de San Domenico. En 1724 , avec l'institution du ghetto, les 73 Juifs vivant alors à Chieri sont contraints de vivre dans l'immeuble Villa, au 8 via della Pace 8[14].
Ghetto de Coni (1436-1848) : En 1436, le Conseil général de la Ville approuve l'emprisonnement des Juifs dans un angulo (ghetto). Dans la première moitié du XVIIe siècle, la zone de l'Angelo compte environ 400 Juifs. Un ghetto est créé 1724[15].
Ghetto d'Ivrée (1724-1848) : situé via Palma (actuelle via Quattro Martiri), derrière les murs du château. Au recensement de 1761, 7 familles, soit 57 personnes y vivent[16].
Ghetto de Mondovi (1724-1848) : Le ghetto est constitué de quelques maisons dans le quartier de Vico à l'intersection des vicolo Pizzo e Piazza d’Armi.
Ghetto de Saluces (1724-1848) : En 1724, le premier ghetto de Saluces est créé. En 1795, le ghetto est déplacé vers une autre zone à proximité du centre de la ville, via Deportati Ebrei[17].
Ghetto d'Acqui Terme (1731-1848) : En 1731, avec la création du ghetto, les Juifs d'Acqui Terme sont contraints de se concentrer dans deux grands bâtiments qui existent encore, sur la piazza della Fontana Bollente.
Ghetto de Moncalvo (1732-1848) : Le ghetto est créé par la maison de Savoie en 1731. 171 personnes de la communauté juives vont y vivre. Le ghetto était situé dans un court passage, avec des entrées via Montanari et via XX Settembre. Au début du XIXe siècle, la communauté atteint son expansion maximale. En 1836, 233 personnes vivent dans le ghetto.
Ghetto de Cherasco (1740-1848) : Le ghetto est créé par la maison de Savoie en 1740, dans un grand bâtiment, à l'angle de ce qui est maintenant la via Marconi et la via Vittorio Emanuele.
Ghetto de Mantoue(it) (1612-1798) : Le ghetto est créé en 1610 par le duc Vincent Ier de Mantoue, mais n'est opérationnel qu'en 1612 : il est créé en application de la bulle de Paul IV. Sept % de la population de la ville, soit 408 familles, sont contraintes de se concentrer dans les quartiers del Cammello et del Grifone. Le ghetto est aboli par l'arrivée des troupes de Napoléon en 1798. Il est partiellement démoli en 1904.
Ghetto de Venise (1516-1797) : Il est institué par la république de Venise en 1516. Ce ghetto est présenté comme le premier ghetto au monde. Le mot ghetto provient du quartier où il était implanté[21].
Ghetto de Vérone (1600-1797) : Le ghetto est créé en 1600. Contrairement à Venise, les Juifs ne sont pas contraints d'y vivre.
Ghetto de Padoue (1603-1797) : Le ghetto est situé au sud de la Piazza delle Erbe[22].
Ghetto de Gradisca d'Isonzo (1769-1782) : Durant ces années, les Juifs sont placés en résidence surveillée dans le ghetto, qui consiste en une série de maisons situées le long de l'actuelle via Petrarca. Elia Morpurgo milite pour sa suppression.
Ghetto de Bologne(it) (1566-1859) : Le ghetto est créé en application de la bulle papale Cum nimis absurdum. Il est situé dans le centre historique entre les via Zamboni, via Oberdan et via Marsala.
Ghetto de Cento (1638-1831) : Le ghetto est institué en 1627 par Urbain VIII, mais ce n'est qu'en 1638, que le légat apostolique à Bologne, Stefano Durazzo, en fixe les règles[10].
Ghetto de Reggio d'Émilie (1669-1797) : Créé en 1669 par décret de la duchesse Laura Martinozzi d'Este et effectif en 1671. Les Juifs ne peuvent acquérir de biens en dehors du ghetto et doivent porter un signe distinctif rouge. Les portes du ghetto sont détruites à l'arrivée de l'armée de Napoléon, en 1796 et les Juifs sont rétablis dans leurs droits[25].
Ghetto de Sienne (1571-1859) : La présence des Juifs à Sienne est attestée par des documents de 1229. En 1571, il est décrété la résidence forcée des Juifs dans le ghetto vers la Piazza del Campo, où ils resteront jusqu'en 1859
« On chassa les Juifs de la ville entière ; des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, acculés dans un quartier étroit, pareil à une caverne, furent entassés comme de vils troupeaux, dans l'espoir qu'en peu de jours ils ne seraient plus qu'un monceau de cadavres. On comptait qu'ils périraient de faim, faute de provisions dont ils n'avaient pu se munir dans cette attaque imprévue et soudaine, ou bien que resserrés dans un espace étroit et brulant, ils succomberaient à la corruption de l'air environnant et à l'épuisement des principes vitaux que cet air contenait. […]
Quand il leur fut devenu impossible de supporter plus longtemps les souffrances de cet entassement, ils se répandirent dans les solitudes au bord de la mer et jusque dans les tombeaux, cherchant du moins à respirer un air pur et inoffensif. […]
Ceux qui étaient surpris dans les autres quartiers de la ville, ceux qui arrivaient de la campagne, ignorant le malheur de leurs frères, étaient en butte à toutes sortes de mauvais traitements. On les blessait à coups de pierres, de briques ou de fragments de vases ; on les frappait avec des bâtons à la tête et partout où les blessures peuvent être mortelles, jusqu'à ce qu'on les eut tués. La partie oisive de la populace d'Alexandrie s'était postée tout autour de l'étroit quartier dans lequel on avait refoulé les Juifs ; elle les tenait assiégés comme dans les murs d'une ville et veillait à ce qu'aucun ne pût furtivement s'évader. On prévoyait que beaucoup, pressés par la famine, braveraient la mort pour ne pas voir périr d'inanition leur famille, et se résoudraient à sortir. Leurs ennemis leur fermaient rigoureusement toute issue ; ceux qu'on arrêtait s'échappant étaient tués après d'affreux supplices. […]
Il en eut aussi quelques-uns, qu'on prit vivants ; on leur mit aux talons des lanières et des courroies ; ils furent ainsi traînés à travers les places et foulés aux pieds par la plèbe qui ne respecta pas même leurs cadavres. Leurs corps, mis en pièces, comme l'eussent pu faire des bêtes féroces transportées de rage, perdirent toute forme, au point qu'il n'en resta pas même des débris pour la sépulture. »
↑Amédée VIII de Savoie, Recherches historiques sur le département de l'Ain, Volumes 4-5 : Statuts de Savoie, vol. Livre I, t. Chapitre VIII, (lire en ligne), p.210 à 219 : « Les Juifs doivent être séparés des habitations des fidèles et renfermés dans une même enceinte. De peur que les âmes des fidèles ne se corrompent par le voisinage des Juifs, ainsi que les Juifs ne puissent nuire aux chrétiens autant qu'ils le veulent, afin d'éviter tout mélange damnable entre les hommes et femmes de la religion chrétienne et les Juifs, nous ordonnons que dans tous les lieux de notre patrie, où les Juifs auront des habitations, les châtelains, ou les officiers, ou les syndics de ces lieux, séquestreront les hommes juifs et leurs femmes avec tous leurs petits (cum tota prote) dans un lieu sûr et fermé, qui sera appelé Judeasyme, et qui sera loin des chrétiens et des chemins publics. Les Juifs ne pourront en sortir depuis le coucher du soleil jusqu'à son lever, excepté pour cause d'incendie arrivé soit dans le Judeasyme, soit auprès, ou à cause de violences commises sur eux ou pour leurs purifications légales. Il leur est défendu, pendant le même temps, de recevoir aucun chrétien, homme ou femme seul dans le Judeasyme. Ils tiendront, pendant le même temps, leurs portes fermées, sous peine de trois jours de prison, au pain et à l'eau, pour chacun des Juifs qui aura contrevenu à cette défense et pour chaque contravention. ».
↑(en) Hans Erich Bödeker, Clorinda Donato et Peter Reill, Discourses of Tolerance & Intolerance in the European Enlightenment, University of Toronto Press, (lire en ligne)).
↑Michaël Gasperoni, La "communauté familiale" des juifs de la République de Saint-Marin, Editions Publibook, (lire en ligne).
↑Davide Mano, « Les juifs sur la frontière tosco-romaine. Des « terres-refuge » aux ghettos dans une périphérie de l’État moderne (1555-1750) », Dix-septième siècle, vol. 282, no 1, , p. 103–115 (ISSN0012-4273, DOI10.3917/dss.191.0103, lire en ligne, consulté le )
↑Michael Gasperoni, « L’Italie des ghettos : normes, résistances et négociations », Dix-septième siècle, vol. 282, no 1, , p. 3–20 (ISSN0012-4273, DOI10.3917/dss.191.0003, lire en ligne, consulté le )
↑ ab et c(it) « Ghetto di Cento », sur le site du musée de Ferrare (consulté le ).
↑(it) « Les Juifs Casalesi », sur Comunità Ebraica di Casale Monferrato (consulté le ).
(en) Chris Webb, Carmelo Lisciotto, « The destruction of the Jews of Italy » [« La destruction des Juifs d'Italie »], sur www.HolocaustResearchProject.org, (consulté le ).