L’incident sous-marin au large de l'île Kildine fait référence à une collision entre le sous-marin nucléaireUSS Baton Rouge de l’United States Navy et le sous-marin nucléaireK-276 Kostroma de la Marine russe près de la base navale russe de Severomorsk, le . L'incident a eu lieu alors que le USS Baton Rouge était engagé dans une mission secrète, apparemment destinée à intercepter les communications militaires russes. Bien que la majorité des sources affirment que le sous-marin américain avait pris la fuite, il est estimé que ni le Kostroma, ni le Baton Rouge n'étaient en mesure de se localiser l'un et l'autre avant la collision.
Contexte historique
Juste après l'effondrement de l'URSS à l'automne 1991, l'incertitude régnait parmi les services de renseignement américains sur l'attitude des forces de l'ex-URSS, en particulier des forces des missiles stratégiques restées sous commandement russe. Du point de vue de la marine américaine, l'opération avait pour but de garder un œil sur les principales bases de sous-marins nucléaires russes afin de savoir sous le contrôle de qui elles se trouvaient[3]. Au cours de la guerre froide, ce type d'espionnage était connu sous le nom de code opération Holy Stone (Pierre sacrée). Les sous-mariniers surnommaient ces missions opération Pinnacle ou Bollard[4]. L'auteur Jeffrey T. Richelson soutient que les opérations d'espionnage avaient continué malgré la chute de l'URSS et que l'incident de 1992 faisait partie de l'opération[5]. Cette collecte de renseignements visait à mettre sur écoute des câbles de communication sous-marins soviétiques, enregistrer les mouvements des sous-marins soviétiques et observer les manœuvres de la flotte soviétique par crainte d'essais nucléaires balistiques[6].
La mission du USS Baton Rouge aurait été d'acquérir des données sur les dispositifs de surveillance anti sous-marins[6]. La presse américaine de l'époque affirmait que le sous-marin contrôlait le trafic sans-fil entre les bases russes[8], tandis que leurs homologues russes affirmaient que les deux sous-marins s'étaient engagés dans une chasse mutuelle[9],[10], une opinion soutenue également par un certain nombre de sources occidentales[11],[12]. Selon l'analyste naval Eugène Miasnikov, les dispositifs de surveillance anti sous-marine déployés par la Russie le long de ses côtes rendent la première possibilité invraisemblable. Il affirme également que la seconde possibilité est improbable et que la collision ne serait due qu'au hasard. Les vagues qui se brisent et les eaux peu profondes de cette région de la mer de Barents pourraient en effet, en créant trop de « bruit » autour d'eux[13], avoir empêché la détection précoce des deux sous-marins, qui au moment de l'incident utilisaient seulement leurs sonars passifs.
Miasnikov soutient que les sous-marins de la classe Los Angeles sont incapables de détecter des signaux acoustiques provenant de cibles situées à l'intérieur d'un cône de 60 degrés vers l'arrière. Le scénario le plus probable serait ainsi que le Kostroma se serait approché du Baton Rouge par derrière. Le sonar de classe Sierra est également « sourd » aux directions arrières, son schéma habituel de la recherche acoustique se déplaçant le long d'une course en boucle. L'incident, cependant, a laissé supposer que les sous-marins d'attaque russes sont capables d'éviter la détection acoustique passive, du moins sous certaines conditions, telles que par exemple selon l'environnement[6].
Les deux sous-marins ont subi des dommages, mais aucune victime ne fut signalée. Des rapports russes et américains de surveillance aérienne s'accordent en revanche pour dire que la partie avant du Kostroma a été endommagée. Les sources de la Marine russe déclarent avoir trouvé des morceaux de matériau composite des tuiles anti-sonar du Baton Rouge[6],[14]. L’United States Navy affirme que, outre quelques égratignures, des bosses, et deux coupures mineures sur son réservoir[15], le Baton Rouge n'a pas subi de dommages importants, mais précise toutefois que ce type d'incident était dans tous les cas considéré comme grave, toute rupture de la coque de l'USS Baton Rouge compromettant sa résistance à la pression[14]. Le sous-marin sera mis hors service le [16], bien que certaines sources affirment qu'il avait déjà été mis hors service moins d'un an après l'incident[17], en [18]. Selon Gregory Stitz, conservateur de l’Arkansas Inland maritime Museum[1] et certaines sources européennes[19], l'United States Navy n'avait pas souhaité réparer la coque, étant donné le coût prévu. Les officiers de la Marine russe affirment que le sous-marin américain était irréparable après la collision[20]. En ce qui concerne le Kostroma, il est retiré du service le pour effectuer des réparations, terminées le 29 juin dans les chantiers navals de Nerpa à Snejnogorsk. Il est par la suite rebaptisé Krab, avant de reprendre son nom d'origine en . Après une refonte considérable à nouveau, le sous-marin russe retourne en service en 2005[21].
Conséquences politiques
L'incident produit un embarras intense à Washington[13]. La diplomatie russe s'est plainte de la collision, et le Pentagone a rapidement reconnu que cette dernière avait eu lieu (contrairement à la politique officielle menée jusque-là). Une réunion entre le secrétaire d'ÉtatJames Baker et le président russeBoris Eltsine a été organisée immédiatement après l'incident. La Marine russe a accusé les États-Unis de continuer ses opérations de renseignement dans les eaux territorialesrusses, malgré la fin de la guerre froide. Cet enchaînement de réactions force l'United States Navy à arrêter certaines de ses activités sous-marines au large des bases russes, telles que les mises sur écoute des câbles sous-marins ou l'interception des communications sans fil[22]. Cette mesure, cependant, n'a pas empêché un incident plus tard en , lorsque l'USS Grayling est entré en collision avec un sous-marin de classe Delta, le K-407 Novomoskovsk au large de la péninsule de Kola[23].
↑На Костроме я побывал, будучи в Видяево. По случайному стечению обстоятельств она входит в состав той же 7-й дивизии, что и Курск . На боевой рубке Костромы нарисована красная пятиконечная звезда с цифрой 1 в центре. Так в годы Великой Отечественной войны наши подводники вели счет своим победам. Что ж, цифра на рубке нашего атомохода появилась тоже не случайно. На мой вопрос, а не ругается ли начальство на такую символику, командир Костромы Владимир Соколов ответил так: "Сначала, конечно, морщились - мол, американцы нам теперь друзья. Затем вроде попривыкли, ну а после Курска кто и что может мне сказать на этот счет! Разве только то, что цифра уж очень невелика!. Шигин, Владимир: АПРК «Курск». Послесловие к трагедии. Олма-Пресс, 2002, page 401 (ISBN522403308X).
↑(en) Artur Blinov et Nikolay Burbyga, Underwater Incident in the Kola Gulf, Izvestia, 20 février 1992 p. 1.
↑(en) Nikolay Burbyga et Viktor Litovkin, Americans Not Only Helping Us, But Spying on Us. Details of Submarine Collision in Barents Sea, Izvestia, 21 février 1992, p. 2.
↑(en) Stephen I. Schwartz, Atomic audit : the costs and consequences of U.S. nuclear weapons since 1940. Brookings Institution Press, 1998, p. 306, note 89 (ISBN0815777744).
↑(en) Norman Polmar et Kenneth J. Moore, Cold War submarines : the design and construction of U.S. and Soviet submarines, Washington, D.C., Potomac Books, , 407 p. (ISBN978-1-57488-530-9 et 978-1-574-88594-1, OCLC144547931), chap. 17, note 57.
↑(ru) Американцы тогда, правда, сумели доползти до своих берегов, но повреждения были столь впечатляющими, что новейший атомоход восстановлению не подлежал и был немедленно списан на металлолом. Шигин, Владимир: АПРК «Курск». Послесловие к трагедии, Olma-Press, 2002, page 401 (ISBN522403308X).
Sherry Sontag et Christopher Drew (trad. de l'anglais par Pierrick Roullet), Guerre froide sous les mers : l'histoire méconnue des sous-marins espions américains [« Blind Man's Bluff : The Untold Story of American Submarine Espionage »], Rennes, Marines éditions, , 487 p. (ISBN2-915379-15-7 et 978-2-915-37915-0, OCLC469463967).
(en) Robert Stern, The hunter hunted : submarine versus submarine : encounters from World War I to the present, Annapolis, MD, Naval Institute Press, , 248 p. (ISBN978-1-59114-379-6 et 1-59114-379-9, OCLC123127537).