Né dans une famille d'avocats, de diplomates et de grands propriétaires, Jean-Baptiste est le fils de Jean de La Croix de Chevrières (mort en 1680) et de Marie de Sayve, et l'arrière-petit-fils de Jean de La Croix de Chevrières, évêque de Grenoble de 1607 à 1619. Il est présenté de minorité, à l'âge de 10 ans, le , dans l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem[2] mais attiré par les ordres il entre au séminaire de Saint-Sulpice de Paris, où il obtient sa licence de théologie en 1672, à 19 ans[3].
Quatre ans plus tard, on demande pour lui à son insu[4], même s'il n'est pas encore prêtre, le poste d'aumônier ordinaire de Louis XIV[5]. Toutefois, à la cour, avec la permission du roi[6], c'est la soutane qu'il porte ; de plus le fait qu'il soit un ami du cardinal Le Camus de Grenoble[4],[7] indique aussi qu'il ne prend pas l'état ecclésiastique à la légère. Il visite les hôpitaux et les prisons[8]. Il contribue de sa propre bourse à la fondation d'un hôpital dans la petite ville de Saint-Vallier dans la Drôme[9],[10],[11].
Saint-Vallier est ordonné prêtre en 1681. Il est aumônier du roi durant une dizaine d'années[12]. On lui offre les sièges d'évêque de Tours et de Marseille, qu'il refuse dans les deux cas[13],[14],[15].
Épiscopat
Le deuxième évêque
Premier voyage à Québec
Saint François de Laval, premier évêque de Québec, ne se sent plus à la hauteur de sa tâche, repasse en France et démissionne en 1685. Louis XIV, qui a Laval en haute estime (malgré ses démêlés avec les gouverneurs et les intendants), lui propose de choisir lui-même son successeur. Parmi les personnes consultées se trouvent le père La Chaise, confesseur de Louis XIV, Louis Tronson, supérieur des sulpiciens et le père Valois, confesseur de Saint-Vallier[16]. Saint-Vallier, qui a 31 ans et qui fuit les honneurs, accepte cet apostolat et c'est lui que François de Laval choisit[17],[18].
C'est d'abord en tant que vicaire général que, en 1685, Saint-Vallier se rend en Nouvelle-France ; il fait la visite de son immense diocèse jusqu'en Acadie. Son séjour dure un an et demi[11] et permet déjà d'entrevoir les problèmes qui marqueront son épiscopat. Les supérieurs du séminaire écrivent à Mgr de Laval que ce n'est pas l'homme qu'il faut ; l'évêque les appuie et demande à Saint-Vallier de se retirer. Louis XIV n'est pas d'accord et s'oppose même au retour de Laval au Canada.
Saint-Vallier n'est pas encore évêque ; même si la querelle entre le pape et Louis XIV n'est pas encore réglée (le pape refuse les bulles d'investiture à tous les évêques nommés par le roi[19]), il accède à l'épiscopat le à l'église Saint-Sulpice de Paris. Le nouveau prélat intercède pour Laval, qui prend le premier bateau. Laval (« Mgr l'Ancien ») et Saint-Vallier auront une cohabitation difficile et le premier se réfugiera au cap Tourmente[11].
Deuxième voyage
Saint-Vallier est de retour au Canada le . Soucieux d'enrayer l'ivrognerie, l'indécence, le blasphème, l'immoralité et la cupidité, il interdit aussi les bals et les fêtes[20]. Cela, à soi seul, a dû lui valoir des ennemis. Mais c'est tout le monde, à un moment ou à un autre, qu'il se met à dos. Son caractère est prompt, et, comme il prend rarement conseil, personne ne le modère[21]. Un siècle et quart après sa mort, l'abbé Faillon écrit : « Il aliéna si fort tous les esprits en Canada et en France, par l'usage qu'il fit de son autorité[22], qu'il perdit insensiblement toute créance à la cour, même dans les choses où son bon droit semblait être incontestable[21] ». On finit par savoir que si on veut quelque chose, il ne faut pas y mêler Saint-Vallier. Saint-Vallier lui-même le sait ; en 1710, trop peu sûr de réussir une démarche, il s'en décharge sur Joseph de la Colombière et un de ses collègues, leur suggérant d'écrire directement au ministre, « mais il ne faut pas que vous parliez du tout de moi dans la lettre[23] ».
Il a aussi des démêlés avec le séminaire de Québec[24], car, défaisant le travail de M. de Laval, il veut donner plus de latitude aux curés en supprimant le rattachement des dîmes au séminaire ; sur ce point il a gain de cause en 1692. Le bien-être des séminaristes lui tient à cœur ; lors de son premier voyage il avait remarqué qu'ils ne respiraient pas la bonne santé ; il fait adoucir leur régime, en tout cas celui de ceux nés en France[25].
En 1694, il doit retourner en France et doit notamment s’expliquer sur son interdiction du Tartuffe. Le roi décide d'abord de ne pas le renvoyer au Canada ; il demande les conseils de Fénelon et de Bossuet. Ce dernier le fait changer d'avis : Saint-Vallier peut repartir, muni des conseils du roi sur la paix[26] et l'engagement de ne pas outrepasser ses pouvoirs[20].
Troisième voyage
Saint-Vallier est de retour en Nouvelle-France le [27]. Grâce à Michel Sarrazin, médecin du roi, il a échappé à une grave épidémie qui s'est déclarée sur le bateau[28].
Il repart pour la France le et se rend aussi à Rome. De nouveau, en , il reprend la mer pour aller à Québec[29],[30] ; capturé par un corsaire, il est emprisonné en Angleterre de à 1709[31]. Il est bien reçu par la reine Anne et nommé par le pape vicaire apostolique en Angleterre[32], mais ceux qui pourraient travailler à sa libération font peu pour lui. Il est finalement l'objet d'un échange de prisonniers[33],[34] et quitte l'Angleterre le .
Mais ce n'est pas fini : le roi ne veut pas qu'il retourne en Nouvelle-France[35]. Il se choisit un coadjuteur, Louis-François Duplessis de Mornay, qui sera consacré évêque en 1714 ; le coadjuteur lui succédera mais ne le remplacera pas avant sa mort.
Quatrième voyage
Saint-Vallier réussit à revenir à Québec en , après une absence de 13 ans[36] ; il abandonne alors le palais épiscopal[37] et réside à l'Hôpital général de Québec, où il meurt le . À ce poste difficile, alourdi par les confrontations, lui succède Duplessis de Mornay, troisième évêque de Québec, qui n'ira jamais à Québec[36].
En 1690, il avait porté le nombre de paroisses de son diocèse à 41, et, en 1721, à 82. Il avait ordonné 90 prêtres. Il avait dépensé, de son propre patrimoine, 200 000 livres en bonnes œuvres[38]. Il a convoqué quatre synodes : en 1690, 1694, 1698 et 1700[39] et ensuite des conférences ecclésiastiques[40]. Il est à l'origine en 1697 de la fondation des ursulines de Trois-Rivières[41], à laquelle il a aussi participé de son propre argent[42].
Les tensions
« Mgr l'Ancien » et Mgr de Saint-Vallier. Mgr de Laval est très vite déçu du choix qu'il a fait de son successeur. En 1696[44] il l'invite, tout comme le fait Louis XIV[11], à démissionner : « il vous serait glorieux devant Dieu et devant les hommes d'imiter le grand saint Grégoire de Nazianze et plusieurs autres grands prélats, qui se sont démis du gouvernement de leurs Églises, pour y rétablir la paix et l'union ». Les divergences tournent autour du séminaire de Québec, fondé par François de Laval, auquel il avait donné un rôle original et central que veut lui retirer Saint-Vallier[45].
Le séminaire de Québec. Des prêtres, comme les y autorise la loi d'alors, font appel au Conseil souverain d'une décision de Saint-Vallier. Au sommet de la querelle, Charles de Glandelet[46], Louis Ango de Maizerets et Henri de Bernières sont frappés d'interdit ; Glandelet, qui est professeur, ne peut même plus confesser ses élèves[47]. Les choses s'aplaniront néanmoins.
Le chapitre de Québec. « Les points litigieux concernaient la compétence du chapitre, ses propres statuts, la nomination et le rang des chanoines, leurs charges relatives à la cure de Québec, le choix des chantres, etc.[11],[48] »
Les récollets. L'« affaire des prie-Dieu » se passe à Montréal en 1694 : les récollets ont cru donner à l'évêque la place d'honneur dans leur église et, au gouverneur de Callière, la seconde. Mais Saint-Vallier estime que le prie-Dieu du gouverneur est en position plus honorable que le sien. Le 13 mai, au plus fort de la crise, l'évêque jette l'interdit sur l'église des récollets[49] (on ne pouvait plus par exemple y célébrer la messe).
En 1692, Saint-Vallier demande aux Hospitalières de l'hôtel-Dieu de s'occuper de l'Hôpital général. La mère Juchereau refuse, mais se soumet ensuite, à la demande de Versailles.
« En 1699, Mgr de Saint-Vallier demande l’aide de 12 sœurs hospitalières pour l’Hôpital général, ainsi qu’une rente annuelle de 1 200 livres pour leur entretien. La mère Juchereau s’insurge une fois de plus[50]. »
Le fossé se creuse entre la communauté de l'hôtel-Dieu et celle de l'Hôpital général. La séparation est prononcée en 1699, mais Jeanne-Françoise Juchereau jouera le rôle de médiatrice.
Sainte Marguerite Bourgeoys et sa congrégation. Saint-Vallier est « impressionné par la qualité des initiatives de Marguerite Bourgeoys et de la congrégation de Notre-Dame mais maintient une opinion divergente de celles de la communauté concernant le projet de ses règles, créant ainsi de fortes tensions[51],[52] ».
Vaudreuil. Les accrochages avec le gouverneur Vaudreuil sont nombreux : la place des capitaines de milice dans les processions[53] ; les honneurs rendus aux représentants du roi, y compris dans le sanctuaire[54],[55] ; la présentation de l'eau bénite par aspersion ou par présentation du goupillon[55] etc.
Mandement contre les « faux frères ». Toujours retenu en France en 1713[56], Saint-Vallier se résout à pointer du doigt des « faux frères » restés au Canada. Il a recours aux « remèdes extrêmes » en suspendant les pouvoirs de ses grands vicaires, qui assuraient autant que possible les tâches d'évêque en son absence. Son calcul est que, en paralysant le diocèse, il amènera les opposants à accepter son retour[57].
Funérailles. Mort le , Saint-Vallier n'est inhumé que durant la nuit du , conséquence d'une querelle entre le chapitre et l'intendant Dupuy. Des chahuteurs, dont des chanoines, viennent perturber la cérémonie[58],[59].
(fr + la) Rituel du diocèse de Québec, publié par l'ordre de Monseigneur de Saint Valier [sic], évêque de Québec — Précédé de notes biographiques[62],[63]
(fr + la) « Monseigneur de Saint-Vallier », dans Henri Têtu et Charles-Octave Gagnon, Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec, vol. 1, Québec, Imprimerie générale A. Côté, 1887, p. 163–514
Mandements, avis, règlements, lettres, ordonnances, statuts de synodes, lettres pastorales etc. Précédé (p. 163) d'une notice biographique.
Ollivier Hubert, Sur la terre comme au ciel : la gestion des rites par l'Église catholique du Québec : fin XVIIe–mi-XIXe siècle, coll. « Religions, cultures et sociétés », Presses de l'université Laval, 2000, 341 p. — Extraits, sur Google Livres
Alfred Rambaud, « La vie orageuse et douloureuse de Mgr de Saint-Vallier, deuxième évêque de Québec (1653–1727) », dans Revue de l'université Laval, vol. IX, no 2 (oct. 1954), p. 90–108
↑Helena O'Reilly (en religion, Sister Saint Félix), Monseigneur de Saint-Vallier et l'Hôpital géńéral de Québec : histoire du Monastère de Notre-Dame des anges, 1882, p. 705
↑Selon sœur Saint-Félix (p. 705), Saint-Vallier est « député du clergé de France aux états généraux de 1675 ».
↑Abel Vincent, parlant de cet hôpital, écrit : « institution due en partie aux bienfaits et à la pieuse initiative de messire Jean Baptiste de la Croix de Chevrières, d'abord aumônier du roi, prieur commendataire de Saint-Vallier, puis évêque de Québec » : Notice historique sur Saint-Vallier (Drôme), 1857, p. 56.
↑Pas de traces de conflit dans cette partie de la vie de Saint-Vallier, excepté entre lui et son frère aîné, nettement moins dévot. Il est vrai que notre source pour ces années-là est la sœur Saint-Félix, très portée au panégyrique.
↑« À la cour, mais pas courtisan » (« In ipsa aula non aulicus »), écrit en 1685 à Innocent XI un François de Laval plein d'espoir. Gosselin 1902, p. 61, n. 1.
↑La sœur Juchereau, historienne de l'hôtel-Dieu, en donne la raison suivante : « On crut à Rome que c'était sans conséquence pour les affaires du temps d'accorder les bulles à un évêque d'un pays étranger ; et, par la même raison, le roi permit à M. de Saint-Vallier de les recevoir » : Histoire de l'hôtel-Dieu de Québec, Montauban, 1751, p. 301 (accès gratuit après inscription).
↑Saint-Vallier s'était fait construire ce palais (qui demeura inachevé), en 1692, en même temps que Frontenac faisait construire le sien. Claude Charles Le Roy Bacqueville de la Potherie écrit : « Il y aurait peu de palais épiscopaux en France qui puissent l’égaler en beauté s’il était fini. » Cité d'après Serge Courville et Robert Garon, Québec : ville et capitale, p. 98.
↑« Il consacrait au nouveau monastère tous ses bénéfices et ses épargnes, et comme l'argent était alors
chose fort rare dans la colonie, les sacrifices pécuniaires que le digne évêque s'imposait ont assurément un double prix, et méritent une reconnaissance éternelle. »H. ursulines, t. 1, p. 76.
↑Archives de la ville de Montréal, référence : P1901-2.
↑Le mot de « rituel » ne doit pas faire croire qu'il ne s'agit que d'un ensemble de rites et de formules. On doit plutôt penser qu'à travers ces rites, c'est la vie quotidienne qui est décrite ; on apprend par exemple (p. 653 de l'Édition 671) que les femmes de la paroisse s'assemblaient pour élire la sage-femme.