Laure d’Abrantès a rapporté dans ses Mémoires que le jeune Napoléon Bonaparte avait demandé sa mère en mariage après son veuvage. Si l'information semble quelque peu douteuse, il est néanmoins certain qu’il a beaucoup fréquenté sa famille une fois qu’elle s’est, après diverses vicissitudes, installée à Paris après la chute des Jacobins le 9 thermidoran II.
Mariée au général Jean-Andoche Junot, qui deviendra fou et finira par se suicider en 1813, elle commença une carrière littéraire pour pallier ses multiples revers de fortune, et ce grâce à la collaboration d'un jeune écrivain Honoré de Balzac, alors encore méconnu[3].
Vie mondaine à Paris et voyages en Europe
Son mariage se déroule au début du Consulat, période à laquelle elle entre dans l’animation de la vie parisienne où sa beauté, son esprit caustique et son extravagance ne tardent pas à la faire remarquer. Si le premier Consul la surnomme la petite peste, c'est de manière affectueuse car il la traite, ainsi que Junot, avec la plus grande générosité (sa grande sœur qui avait alors douze à treize ans baptisa Napoleon Le Chat botté) un sentiment qui néanmoins ne sera jamais partagé par l'intéressée, la duchesse n'hésitant pas à se répandre en sarcasmes et calomnies à son endroit dans ses Mémoires historiques sur Napoléon Ier. Elle fait montre, durant la mission diplomatique de son mari à Lisbonne, d’une telle prodigalité que celui-ci se retrouve à son retour à Paris, en 1806, surchargé de dettes que ses propres intrigues ne font rien pour arranger. À Paris, elle reçoit les leçons de piano de Daniel Steibelt, qui lui dédie deux œuvres, Le Bouquet, pour sa fête en , et une grande pièce en l'honneur de la paix de Tilsit. Elle rejoint à nouveau son mari à Lisbonne après son entrée victorieuse dans cette ville, fin 1807, mais même les libéralités et le butin acquis à Lisbonne ne satisfont pas ses exigences. Elle accompagne ensuite Junot durant une partie de la guerre d’Espagne.
Opposition à l'empereur Napoléon
De retour en France en , la vivacité de ses remarques et la réception d’invités exécrés de l’Empereur suscitent le mécontentement de Napoléon. Elle devient également la maîtresse du comte de Metternich, ambassadeur d’Autriche en France. L’aggravation des troubles mentaux de Junot la menace ensuite de ruine, ce qui explique peut-être pourquoi elle a trempé dans les intrigues visant à restaurer les Bourbon au trône en 1814. Elle ne se ralliera pas à Napoléon pendant les Cent jours.
Elle possédait au no 34 avenue de Madrid à Neuilly-sur-Seine le château de Saint-James[4].
Liaison sentimentale avec Honoré de Balzac et début du travail d'écrivaine
Après 1815, elle passe la majeure partie de son temps à Rome, dans le monde artistique qu’elle anime par la vivacité de sa conversation. De retour à Paris, sous la Restauration, elle devient monarchiste et traite Napoléon Bonaparte de monstrueux usurpateur, puis tente de combler ses dettes et de retrouver son rang en vendant meubles et bijoux. Mais surtout, elle rêve d’écrire pour ajouter à ses maigres revenus des droits d’auteur[5]. C’est ainsi qu’elle devient la maîtresse du jeune Honoré de Balzac vers 1828, après s’être longtemps refusée à lui. L’auteur de La Comédie humaine lui sert d’abord de conseiller, de correcteur et d’homme à tout faire[6]. C’est lui qui la pousse à rédiger ses Mémoires qu’il corrigera inlassablement et dont, le succès acquis, elle niera impudemment qu’il y eût mis la main[7].
Difficultés financières et littéraires
La Duchesse connaît cependant une triste fin de vie, jalonnée de difficultés financières et littéraires. La publication de ses Mémoires ne suffisant pas à assainir sa situation financière, elle se résigne à vendre l'hôtel d'Abrantès, résidence du couple Junot, ainsi que son mobilier, la cave et une riche bibliothèque[8],[9]. Après quelques années de succès, les échecs se succèdent : Balzac ne travaille plus pour elle, elle le perd comme amant et elle doit louer un rez-de-chaussée rue de La Rochefoucauld où elle tente de reconstituer un salon avec des amis fidèles aux souvenirs de l’Empire. Juliette Récamier, Théophile Gautier (qui la surnommait « la duchesse d’Abracadabrantès »), des acteurs mondains et des douairières sont de ceux-là. Les journaux parlent de la Société des polichinelles au sujet des acteurs mondains. Mais le pire est à venir : le libraire Ladvocat refusant ses manuscrits, la duchesse tombe dans l’indigence, doit vendre son mobilier[10].
Mort
Elle finit sa vie dans un hôpital où, faute d’argent, on la place dans une mansarde[10].
Comme sous-titre à son poème À Laure, duchesse d'A.[11]Victor Hugo notait : « Le conseil municipal de la ville de Paris a refusé de donner six pieds de terre dans le cimetière du Père-Lachaise pour le tombeau de la veuve de Junot, ancien gouverneur de Paris. Le ministre de l’intérieur a également refusé un morceau de marbre pour ce monument. (Journaux de février 1840) »
Laure et Jean-Andoche Junot ont eu deux filles et deux fils :
Joséphine Junot d'Abrantès (Paris, -Paris, ), mariée en à Jacques-Louis Amet (Farnham (Surrey), -)
Constance Junot d'Abrantès (Paris, -Paris, ), mariée en 1829 à Louis Antoine Aubert (1799-1882), d'où descendance.
Louis Napoléon Andoche Junot, 2e duc d'Abrantès (Paris, -Neuilly-sur-Seine, ) mourut célibataire et sans descendance.
Andoche Alfred Michel Junot, 3e duc d'Abrantes (Ciudad Rodrigo-Espagne, - Bataille de Solférino-Italie, ) 1er mariage le à Marie Céline Elise Lepic (-) d'où descendance :
Jeanne Joséphine Marguerite Junot d'Abrantès (Paris, -), mariée à Paris le à Xavier Eugène Maurice Le Ray (Sèvres, -Paris, ), qui fut titré 4e duc d'Abrantès en 1869, d'où descendance et extinction de la branche mâle en 1982. 2e mariage le à Marie Louise Léonie Lepic (-) sœur de sa 1re femme d'où descendance :
Mémoires de Mme la duchesse d'Abrantès, ou Souvenirs historiques sur Napoléon, la Révolution, le Directoire, le Consulat, l'Empire et la Restauration, Paris, Ladvocat, coll. « Mémoires contemporains », 1831-1835, 18 vol. (lire en ligne). — Nombreuses rééditions. Peut être complété par :
Mémoires sur la Restauration, ou Souvenirs historiques sur cette époque, la révolution de Juillet et les premières années du règne de Louis-Philippe Ier, Paris, J. L'Henry, 1835-1836, 6 vol.
Les Femmes célèbres de tous les pays : leurs vies et leurs portraits, Paris, Lachevardière, , 106 p., in-f° (lire en ligne). — En collaboration avec Joseph Straszewicz. Il existe un prospectus.
↑ a et bAndré Maurois, Prométhée ou la vie de Balzac, Paris, Hachette, 1965, p. 116.
↑Devenu plus tard un lycée de jeunes filles. Voir René Sordes, Histoire de Suresnes. Des origines à 1945, édité avec la Société historique de Suresnes, avec le concours de la ville de Suresnes, 1965, p. 332.
Juliette Benzoni, La petite peste et le Chat Botté, Paris, Plon, .
Robert Chantemesse, Le Roman inconnu de la duchesse d’Abrantès, Paris, Plon, .
(es) Francisco Lafarga, « La duquesa de Abrantes, una francesa entre España y Portugal », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, no 10, (lire en ligne)
Auguste de Roosmalen, Derniers momens de la duchesse d'Abrantès, précédés du récit de sa naissance écrit par elle-même, Paris, chez l'auteur et chez Mme Goullet, , 28 p. (lire en ligne).
Henri Rossi, « Abrantès, Laure Permon duchesse d' (1784-1836) », dans Huguette Krief et Valérie André (dir.), Dictionnaire des femmes des Lumières, Paris, Honoré Champion, coll. « Dictionnaires & Références » (no 25), , 1338 p. (ISBN978-2-7453-2487-0 et 978-2-7453-3362-9, DOI10.14375/np.9782745333629, lire en ligne), p. 25-27.
Sylvie Simon, Mon cœur a plus d’amour que vous n’avez d’oubli. Laure, duchesse d’Abrantès, París, Mercure de France, coll. « Histoire romanesque », (BNF34911119).