Marie Louise Nicole de La Rochefoucauld, duchesse d'Enville, est une salonnière française née le 22 septembre 1716 et morte à Paris, le 31 mai 1797.
Biographie
Origines
Marie Louise Nicole de La Rochefoucauld est la fille d'Alexandre Ier de La Rochefoucauld (1690-1762) et d'Élisabeth de Bermond du Caylar (1691-1752). Ce couple aura 5 enfants.
Marie-Louise-Nicole-Élisabeth de La Rochefoucauld (1716-1797), dont il est question ici ;
La mort des deux garçons en bas âge (en 1718 et 1721) interrompait la lignée mâle directe de la branche des premiers ducs de La Rochefoucauld. À titre exceptionnel, et en accord avec une dispense pontificale, Louis XV autorise la transmission du titre ducal par les femmes, si celles-ci épousent un La Rochefoucauld.
Pour assurer la lignée, un mariage est donc arrangé, dès 1731, entre Marie de La Rochefoucauld et Guy de La Rochefoucauld (1698-1731), mais celui-ci décède dans l'année.
Elle est alors mariée à son cousin Jean-Baptiste de La Rochefoucauld de Roye (1709-1746), duc d'Enville, le - elle a alors 15 ans. Ce second mari meurt en 1746 et la duchesse d'Enville se retrouve à trente ans, deux fois veuve et mère de trois enfants.
Elle hérite du château familial de La Roche-Guyon en 1762 à la mort de son père. Aînée de sa fratrie et chargée de transmettre le titre de duc, elle prend désormais en charge l’administration du patrimoine familial.
Salonnière cultivée
Madame d’Enville prend des leçons de mathématiques avec Adrien-Marie Legendre en 1763 et constitue une collection de minéraux.
Madame d'Enville est une grande lectrice, propriétaire d'une bibliothèque de 15 000 ouvrages). À La Roche-Guyon et à Paris (rue de Seine), elle tient un salon où se réunissent les philosophes, hommes de lettres, savants et penseurs politiques les plus en vue de son temps : Turgot, Condorcet[2], D'Alembert, Mably, André Morellet,... et fréquente Malesherbes, Julie de Lespinasse,...
Elle s'appuie sur ses relations scientifiques pour parfaire l’éducation de son fils - qui sera élu en 1781 à l’Académie des Sciences et en sera président en 1784.
Elle poursuit la décoration du château qui devient un des plus riches et modernes de son temps. Deux pavillons neufs sont ajoutés au château de La Roche-Guyon, sur les plans de l'architecte Louis Devilliars. La devise C'est mon plaisir ou C'est pour plaisir (sous-entendu « c'est pour plaisir de servir le roi ») est apposée dans le château témoignage de l'action de la duchesse pour effacer la disgrâce de son père. En , une salle de théâtre de 50 places environ comprenant machineries et décors à l’instar des grands théâtres parisiens est inaugurée sous le Grand Salon du château.
Libérale et proche des physiocrates, elle transforme le domaine de la La Roche-Guyon en un véritable champ d’expériences agronomiques. Elle y introduit notamment prairies artificielles, trèfles, luzernes, sainfoin, y fait fabriquer du « pain économique » et cultiver la pomme de terre afin de lutter contre les crises frumentaires. Malesherbes lui fournit, jusqu’à la Révolution, de nombreuses graines et arbres exotiques, contribuant ainsi, comme le peintre Hubert Robert, l'agronome Arthur Young ou le paysagiste Jean-Marie Morel, à l’aménagement du parc de La Roche-Guyon.
Son domicile parisien, hôtel de La Rochefoucauld-Liancourt, bâti dans la première moitié du XVIIe siècle, se situait à l'emplacement des n° 14 à 18 de la rue de Seine et fut détruit en 1825, pour faire place à la rue des Beaux-Arts. Son jardin dessiné, selon une tradition orale, par Hubert Robert passait pour être l'un des plus beaux et des plus pittoresques de Paris[3].
Politique
Dès le début des années 1760, elle prend cause pour les protestants dans les affaires Calas et Sirven.
En 1774, elle soutient Turgot auprès de son parent Maurepas et œuvre en faveur de son entrée au ministère, un parti pris qui lui vaut d’être l’une des cibles du pamphlet Les Trois Maries[réf. nécessaire].
La Révolution lui imposa un repli sur la sphère familial. Certains invités du salon sont morts, comme Turgot et D'Alembert, d'autres emportés par la Révolution : elle assiste à l’assassinat de son fils Louis-Alexandre, en 1792, tué d’un coup de pierre par un sans-culotte, verra disparaître Condorcet et guillotiner Malesherbes.
Le , en pleine Terreur, le conseil général de Seine-et-Oise ordonne la destruction du donjon du château afin d'éviter qu'il ne tombe aux mains des contre-révolutionnaires. Le donjon est ainsi arasé d’un tiers, pour ne plus mesurer que vingt mètres de nos jours. La duchesse et son père, mécènes éclairés, étaient en effet plutôt bien vus de la population locale empêchant ainsi pillage et destruction du château.
Elle meurt à son domicile parisien, rue de Seine le .
Références
Michèle Crogiez Labarthe, La duchesse d’Enville, lectrice de Saint-Simon en 1786, Cahiers Saint-Simon, 2018, n° 46, p. 105-106, en ligne.
Correspondance de la duchesse d'Enville, édition établie par Michèle Crogiez Labarthe, Montreuil, Éditions de l'Oeil, impr. 2016 (ISBN ISBN 978-2-35137-199-2) (BNF45224891).
Ruwet, Joseph (dir.), Lettres de Turgot à la duchesse d'Enville, 1764-74 et 1777-80 : édition critique préparée par les étudiants en histoire de l'Université catholique de Louvain, Bibliothèque de l'Université de Louvain, 1976 (https://lib.ugent.be/catalog/rug01:002326345).
Daniel Vaugelade, Le salon physiocratique des La Rochefoucauld animé par Louise Élisabeth de La Rochefoucauld, duchesse d'enville (1716-1797), (ISBN9782748314649).
Emile Rousse, La Roche-Guyon : chatelains, château et bourg, Paris, Hachette, 1892. En particulier les chapitres XVI à XIX (p. 294-347) exposent la vie et les relation de madame d'Enville.
Généalogie de la famille de La Rochefoucauld. In : Père Anselme, Pol Louis Potier de Courcy, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, 1868, p. 387-430, en ligne.
Daniel Vaugelade, Tricentenaire de la naissance de la duchesse d'Enville, 1716-1797, [actes] de la Journée d'études organisée au château de la roche-guyon le 24 septembre 2016, Éditions de l’œil, 2020, (ISBN9782351372852).
↑Georges Martin, Histoire et généalogie de la Maison de La Rochefoucauld, tome 1, Lyon, l'auteur, , 244 p. (ISBN978-2-901990-12-3), p. 82-87
↑On conserve de madame d'Enville une lettre adressée à Condorcet : La Rochefoucauld d'Enville, duchesse de à Condorcet - 22 juillet [1774] (Paris, Bibliothèque de l’Institut de France / Ms 867, f. 10), Inventaire Condorcet, IDC 2313, en ligne.
↑Tableau historique et pittoresque de Paris, depuis le Gaulois jusqu'à nos jours, tome 1, vol. 3, Paris, H. Nicolle, p. 824 et 825 (lire en ligne).« Paris, rue de Seine (hôtel de Rochefoucauld) », sur inventaire-condorcet.com (consulté en ) ; Nicolas Courtin, « Hôtel de La Rochefoucauld-Liancourt », dans Corpus des hôtels parisiens du XVIIe siècle. Inventaires après décès (publication annexe à l'ouvrage de N. Courtin, L'Art d'habiter à Paris au XVIIe siècle. L'ameublement des hôtels particuliers), Dijon, centre André-Chastel / Faton, (lire en ligne [PDF] sur centrechastel.paris-sorbonne.fr). Nouveaux documents sur l’hôtel de Bouillon, de Liancourt puis de La Rochefoucauld, Documents d’histoire parisienne (Institut d'histoire de Paris), n° 18, p. 43-60. Gravure en ligne ; Emplacement de l'hôtel sur un plan de Paris.