Les parents de Marina, Alexandre Scriabine et Tatiana Fedorovna Schlötser[N 1] (1883-1922), s'installent à Moscou à l'été 1908 à la suite de la rencontre d'Alexandre Scriabine avec le chef d'orchestre, compositeur et mécène Serge Koussevitzky[1].
En janvier 1909, le couple, déjà parent de deux enfants : Ariadna, trois ans, et Julian, un an, décide de les confier aux tantes de Tatiana, Henriette et Alina Boti, à Amsterdam[1].
Puis ils rejoignent Moscou où ils séjournent au manoir de Serge Koussevitzky sur Glazovski Pereoulok, avant de revenir à Amsterdam deux mois après. C'est un an plus tard, le , que toute la famille retourne enfin à Moscou, tout d'abord à l'hôtel Kniaji Dvor sur Volkhonka, avant d’emménager à la mi-septembre dans la maison de l'architecte Vyatcheslav Oltarjevsky (1880-1966)[1] à Tolstovski Pereoulok.
C'est dans cette spacieuse demeure que Marina Alexandrovna Skriabina voit le jour le [1]. À cette période, c'est la mère de Tatiana, Maria Alexandrovna, qui est le véritable chef de famille, régnant sur un vaste appartement de six pièces déjà trop juste pour le nombre de gouvernantes et de domestiques qui s'y emploient[1]. Une année passera seulement avant que la maisonnée ne déménage à nouveau au domicile du professeur A.A. Grouchka, non loin du Théâtre Bolchoï.
Éducation
La maison des Scriabine ressemble de plus en plus à celle d'un bourgeois ordinaire et de moins en moins à celle d'un compositeur. Le couple, très francophile, a pris l'habitude de vivre au-dessus de ses moyens, ce qui induit de régulières difficultés financières. Les enfants ne forment plus alors que « l'arrière-plan » de la maison, leurs parents les laissant à la garde de tuteurs et gouvernantes[2].
Tatiana Fedorovna, alors bonne pianiste, éveille ses enfants à la musique, notamment Ariadna et Julian. Ceux-ci iront bientôt étudier au cours préparatoire supérieur avec Maria Fabianovna Gnessina. Julian, passant déjà 2 à 3 heures par jour au piano, s’avérera posséder les mêmes dons musicaux que son père. En témoignent quatre préludes composés à un très jeune âge. Marina se consacre à la peinture.
Mais la guerre advenant, la vie devient plus difficile encore. Les problèmes d'argent s'aggravant, les récitals de piano de Scriabine restent quasiment la seule source de fonds pour subvenir aux besoins. Par ailleurs, l'isolement se fait d'autant plus ressentir du fait que de nombreux proches de Tatiana vivent du côté de la mère, en Europe de l'Ouest. En effet, les parents belges de Tatiana souffrent de la « trahison allemande » tandis qu'un « enthousiasme patriotique terrible règne dans la famille Scriabine ». Le compositeur lui-même, accueillant la guerre comme un accélérateur de « la fin de l'histoire du monde », longtemps attendu[3].
Avec la mort d'Alexandre, la famille se retrouve sans moyens[1]. Toutes les économies ayant servi à couvrir les frais médicaux, même les dépenses les plus urgentes et les plus élémentaires sont devenues impossibles à payer. La situation vire à la catastrophe à partir du moment où les meubles et les objets de valeur sont vendus en urgence afin de renouveler le contrat de logement[1].
Grâce aux efforts d'amis de la famille, la femme légitime de Scriabine, Vera, accepte de prendre en charge les trois enfants d'Alexandre Scriabine, alors autorisés par testament à porter son nom[1].
La révolution de 1917 et la famine survenant à Moscou dès 1918 convainc la mère des trois enfants de déménager à Irpen, non loin de Kiev, en Ukraine[1].
Par ailleurs, le nouveau gouvernement soviétique décide d'ouvrir un musée Scriabine dans sa maison de Moscou, et Tatiana est priée d'aider à sa réalisation. C'est pendant son absence que Julian, le frère cadet mourra, quatre ans après son père, en se noyant dans le Dniepr en 1919, à l'âge de 11 ans[1]. C'est une amère tragédie pour Tatiana Fedorovna qui avait concentré ses derniers espoirs dans l'éducation de Julian, qu'elle pressentait comme le successeur d'Alexandre[1].
Après ce drame, elle se résout à devenir la gardienne de l'héritage de son défunt mari. De retour à Moscou, elle se lance dans la fondation de la maison-musée moscovite du compositeur sur l'Arbat. Parallèlement elle se lie d'amitié avec la poétesse Marina Tsvetaïeva, ce dont profitent visiblement Ariadne et Marina qui commencent à écrire des vers toutes les deux sous le commun pseudonyme de Mirra. Mais la maladie (la fièvre typhoïde s'abat sur toute la famille en 1921) et plus encore une profonde dépression creuse encore le dégoût de vivre de Tatiana Schlozer-Scriabine qui décède peu avant l'ouverture du musée aux visiteurs en mars 1922. Elle est enterrée au cimetière de Novodievitchi, près de son mari.
Émigration et carrière en France
En 1922, la mort de sa mère conduit Marina à se rapprocher de sa grand-mère maternelle, Maria Alexandrovna Boti, et à s'établir en Belgique. En 1927, elle rejoint son oncle Boris de Schlœzer et sa sœur Ariadna à Paris et étudie à l'École nationale supérieure des arts décoratifs, concevant des affiches d'art. Parallèlement, elle étudie la théorie musicale auprès de René Leibowitz[4].
Ses activités durant l'occupation et ses relations avec sa sœur Ariadne entrée en résistance et capturée par la milice à l'été 1944 ne sont pas connues[5]. Après la Libération, elle tient une chronique de livres pour les éphémères Cahiers de l'art sacré[6]. Ses publications suivantes dévoilent déjà un intérêt pour la musique sacrée, l’œuvre de Bach. Elle signe également sa première composition en 1947 (un ballet) tout en continuant d'écrire pour une revue littéraire Empédocle[7].
En 1950, elle entre à la radiodiffusion française, étudie les techniques électroniques et devient chercheuse au CNRS[8]. Elle compose une Suite radiophonique (1951), un ballet Bayalett (1952), de la musique de chambre et compose pour la scène (Les Coréens, 1957) ou la radio (L'aubade à la folie, 1959).
Ses connaissances accumulées ajoutées à une sensibilité profonde et pas seulement héritée pour la vision symbolique du compositeur l'amènent à rédiger l'article sur Alexandre Scriabine pour l’Encyclopédie de la musique (1961).
Une intellectuelle discrète mais insatiable
Au fil des ans, depuis le temps du giron familial jusqu'à son arrivée à Paris, Marina Scriabine n'aura de cesse d'accroître la sphère de ses intérêts où la musique et ses symboliques la porteront relativement assez loin des bornes de la critique musicale conventionnelle.
Ainsi entreprend-elle une longue relation de coécriture avec son oncle, le traducteur et théoricien de la musique Boris de Schlœzer (Problèmes de la musique moderne, 1959)[10].
À l'été 1959, elle apparaît au sein des rencontres et conférences organisées par le centre culturel de Cerisy. Sa première contribution tiendra sur « le Sacré et le Profane »[11].
Cette suite de colloques et rencontres effectuées sur plus de 20 ans où elle côtoiera un vaste éventail d'intellectuels, d'artistes et d'écrivains permet de mesurer l'étendue de la curiosité et de l'érudition d'une femme dont le savoir et la perspicacité n'eurent d'égal que sa grande discrétion.
À l'été 1964 elle participe à deux colloques (que les organisateurs appellent des décades).
Le premier a pour thème la question du temps[12]. Pour l'occasion elle débat sur la valeur du temps à la suite de Gabriel Marcel, sur sa dimension avec Jeanne Hersch, de ses divers aspects dans le roman contemporain avec Jean Ricardou, du temps du poète avec Jean Follain et de celui du théâtre avec Georges Charaire. Elle en profite également pour présenter son sujet de thèse en tant que conférencière, Représentation du temps et de l'intemporalité dans les arts plastiques, soutenu en 1967.
Chroniques de livres, in Points de vue actuels sur l'art ancien, de Pie-Raymond Régamey, Les Cahiers de "L'Art Sacré", numéro 8, Octobre 1946.
Musique religieuse et musique profane, in Problèmes de musique sacrée, Paris, Éditions du Cerf, 1946.
"L’œuvre d'orgue de Bach", in "Le zèle de la maison de Dieu", Revue mensuelle, Nouvelle série, numéro 3, Mars 1947.
Pour un ballet, 1947.
"Son et cinéma", in "Empédocle", Revue Littéraire Mensuelle, no 4, août 1949.
"Anniversaire musicaux", in "Empédocle", Revue Littéraire Mensuelle, no 5, janvier 1950.
"La musique", in "Empédocle", Revue Littéraire Mensuelle, no 9, mars-avril 1950.
"Les coréens", de Michel Vinaver, mise en scène Jean-Marie Serreau, composition sonore de Marina Scriabine, 1957.
Problèmes de la musique moderne (avec 4 articles de Boris de Schlœzer), Les éditions de Minuit, Paris, 1959. Réédité en 2016 avec une postface de Iannis Xenakis de 1977.
L'aubade à la folie, drame radiophonique, de Noël Devaulx (1905-1995), Réalisation de Jean-Jacques Vierne, adaptation de Marina Scriabine, 1959.
Le Langage musical, Les éditions de Minuit, Paris, 1963.
Entretien sur le temps, Actes du colloque de Cerisy-la-Salle s'étant tenu du 14 au , dirigé par Jeanne Hersch et René Poirier, Éditions Mouton & Co, 1967.
Entretien sur l'homme et le diable, Actes du colloque de Cerisy-la-Salle s'étant tenu du 25 juillet au , dirigé par Max Milner, Éditions Mouton & Co, 1965.
Entretien sur la Renaissance du XIIe siècle, dirigé par Maurice de Gandillac et Edouard Jeauneau, Actes du colloque de Cerisy-la-Salle s'étant tenu du 21 au , Éditions Mouton & Co, 1968.
Entretiens sur le surréalisme, dirigé par Ferdinand Alquié, Actes du colloque de Cerisy-la-Salle s'étant tenu du 10 au , Éditions Mouton & Co, 1968.
Le Miroir du temps, Paris, 1973. Publication grand public de sa thèse "La représentation du temps et de l'intemporalité dans les arts plastiques figuratifs", 1967.
La Parole dans le récit de la Genèse, conférence du , Paris.
Alexandre Scriabine, de Boris de Schlœzer, introduction de Marina Scriabine, éd. Librairie des cinq continents, Paris, 1975.
Esthétique et Signification de l'Art Égyptien, Institut d'herméneutique, année inconnue.
Écriture, mythe et création dans l'Égypte pharaonique, in Revue Internationale des Sciences Humaines, numéro 93, Éditions Gallimard, 1976.
Notes et réflexions de Alexandre Scriabine avec Marina Scriabine comme Éditeur scientifique, éd. Klincksieck, Paris, 1979.
Notes et références
Notes
↑Issue de la branche russe d'une famille noble allemande par son père Fiodor Ioulievitch Schlozer (1842-1906) et d'une pianiste d'origine juive alsacienne établie en Belgique, Maria Alexandrovna Boti (1847-1937).
↑Jean-Jacques Velly, Le dessous des notes, voies vers l'esosthétique, Paris, Presse de l'Université Paris Sorbonne, , 439 p. (ISBN2-84050209-7, lire en ligne), P.252.
↑Boris de Schloezer et Marine Scriabine, Problèmes de la musique moderne : Édition établie et présentée par Bernard Sève, Presses universitaires de Rennes, coll. « Æsthetica », (ISBN978-2-7535-9014-4, lire en ligne)
↑Marina Scriabine, « Décade de Cérisy-la-Salle : Le sacré et le profane », Archives de Sciences Sociales des Religions, vol. 9, no 1, , p. 95–99 (lire en ligne, consulté le )