La morgue est une installation spécialisée dans la réception, le stockage et l'examen des corps post-mortem. Elle offre un environnement contrôlé, souvent équipé de dispositifs de réfrigération, pour préserver les corps et faciliter les autopsies. Ce lieu joue un rôle crucial dans l'investigation des causes de décès et dans la gestion des procédures légales liées aux décès.
Étymologie
En ancien français, le mot signifie « mine », « attitude », « comportement ». Il dériverait d'un mot occitan signifiant faire la moue, venant lui-même de murr : « museau » ou « groin »[1]. Avoir de la morgue, est synonyme d’être hautain, orgueilleux. Morguer c'est traiter quelqu'un avec arrogance. Ce terme apparaît avec un autre sens dans les dictionnaires au XVIIe siècle : « Endroit à l'entrée d'une prison où l'on tient quelque temps ceux qu'on écroue, afin que le guichetier puisse les regarder fixement et les reconnaître »[2]. Le guichetier (gardien) qui tient le guichet de la morgue porte le nom de « morgueur ».
Enfin, il existe un troisième sens découlant du précédent : « On appelle aussi morgue un endroit au Châtelet, où les corps qu'on trouve morts [ou dont se saisit la justice] sont exposés au public afin qu'on puisse les reconnaître. »[3]
Typologie
Il existe deux types de morgues : celle à température positive +2 °C/+4 °C où le corps peut être conservé quelques semaines (mais la décomposition se poursuit), et celle à température négative (congélation) pour une conservation plus longue (la décomposition est arrêtée). La législation de la majorité des pays exige un enterrement sous 48 ou 72 heures. Mais dans de nombreux pays, notamment en Afrique noire, les corps demeurent parfois plusieurs semaines, mois[4], voire des années avant que la famille vienne retirer le corps de la morgue pour effectuer l'enterrement[réf. nécessaire]. La nécessité de regrouper les membres de la famille et le coût parfois « extravagant » des funérailles demande du temps pour réunir les sommes nécessaires à des funérailles dignes.
Des hôpitaux disposent de capacités importantes (200 voire plus) ainsi que les instituts de médecine légale.
Morgue de Paris
Au Moyen Âge, les cadavres trouvés dans les rues de Paris ou repêchés dans la Seine étaient recueillis par les religieuses de l’hôpital Sainte-Catherine[5], surnommées « les catherinettes » par les Parisiens, comme l'imposaient les statuts de leur établissement : « Plus, elles sont tenues de recueillir en ladite maison tous les corps morts, en prisons, dans la rivière et par la ville et aussi ceux qui ont été tués par ladite ville. Lesquels le plus souvent on apporte tout nuds, et néanmoins elles les ensevelissent et fournissent du linge et suaires à leurs dépens, payent le fossoyeur et les font enterrer au cimetière des Saints Innocents. Lesquels quelques fois sont en si grande quantité, qu'il se trouve par acte signé des greffiers de justice, avoir été portés en ladite maison en moins de quatre mois, quatre-vingts et dix-huit corps morts[6]. »
L’hôpital était situé rue Saint-Denis à environ 300 mètres du cimetière des Innocents dans lequel les sœurs détenaient un droit permanent de faire ensevelir les corps. À la suite d'une contestation de ce droit survenue entre les marguilliers des Saints-Innocents, le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois et la communauté de Sainte-Catherine, un arrêt du parlement de Paris en date du , confirmant une sentence de Hugues Aubriot, Prévôt de Paris, du écrivant que « c'est aux sœurs qu'il revient de pourvoir à l’ensevelissement des corps provenant de l'hôtel-Dieu de Sainte-Catherine, soit qu'iceux corps soient apportées du Chastelet de Paris ou dudit Hôtel-Dieu ». C'est la première mention faisant état du Grand Châtelet comme lieu de dépôt de cadavres[7].
Une autre sentence de prévôt du , associe la basse geôle du Châtelet à l'identification des cadavres[8]. Ultérieurement lesdites cellules ayant été transférées dans une autre partie du Châtelet, la « morgue » fut affectée, au XVIIIe siècle et jusque vers 1807, à l'exposition des corps trouvés sur la voie publique ou noyés dans la Seine. Une ouverture pratiquée dans la porte permettait de les reconnaître « en se pinçant le nez[9]. »[10]
Cette morgue sera transférée à la pointe de l'île en 1864, quai de l’Archevêché (à l'emplacement de l'actuel square de l’Île-de-France), ce qui provoque la désapprobation du milieu intellectuel et artistique. Le Baron Haussmann y fera construire en 1868, un bâtiment ayant l'allure d'un petit temple grec par lequel on entre par trois portes ; la salle d’exposition se trouvant au milieu est flanquée de chaque côté par les dépendances, le greffe, la salle d’arrivée, le cabinet des magistrats, l’amphithéâtre et la glacière[11]. L'endroit constitua d'ailleurs l'une des sorties les plus en vogue de la capitale : les cadavres à identifier (notamment des victimes de noyades), étendus sur douze tables inclinées de marbre noir, y étaient exposés pendant trois jours, dans une salle séparée du public par une vitre, un filet d'eau fraîche coulant sur la table pour les conserver[12],[8]. Le , le préfet Lépine signe un décret par lequel il fait fermer la morgue au public par mesure d’« hygiénisme moral », l’entrée sera désormais interdite aux personnes non munis d’une autorisation spéciale[10].
↑[PDF] Anciennement hôpital des Pauvres-de-Sainte-Opportune, il devint Hôpital Sainte-Catherine probablement en 1222. Il était tenu par des sœurs augustines. Voir : Jean Cheymol, L'hôpital Sainte-Catherine à Paris (1181-1794), (1982) Lire en ligne
↑Jacques Du Breul, Le théâtre des antiquitez de Paris, C. de La Tour, Paris, 1612 p. 955 Lire en ligne
↑Adolphe Guillot, Paris qui souffre : la basse geôle du Grand-Châtelet et les morgues modernes, P. Rouquette, Paris, 1887 p.| Lire en ligne
↑ a et bProfesseur Dominique Lecomte, directeur de l’Institut médico-légal de Paris, « La médecine légale », émission Avec ou sans rendez-vous par Olivier Lyon-Caen sur France Culture 20 mars 2012.
↑Jean-Louis Chardans, Le Châtelet, 1980, Pygmallion, p.40.
Firmin Maillard, Recherches historiques et critiques sur la morgue, Paris, A. Delahays, 1860, [lire en ligne].
Adolphe Guillot, Paris qui souffre : la basse geôle du Grand-Châtelet et les morgues modernes, P. Rouquette, Paris, 1887, [lire en ligne].
Allan Mitchell, « The Paris Morgue as a Social Institution in the Nineteenth Century », in Francia, no 4, 1976, [lire en ligne].
Bruno Bertherat, La Morgue de Paris au XIXe siècle (1804-1907) : les origines de l'institut médico-légal ou les métamorphoses de la machine, thèse sous la direction d'Alain Corbin, 2002, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Bruno Bertherat, « Les visiteurs de la Morgue », in L'Histoire, no 180, , p. 16-21.
Bruno Bertherat, « Autour de l'œuvre d'Andrés Serrano : l'exposition du cadavre. Le cas de la Morgue de Paris au XIXe siècle », in Chantal Charbonneau (éd.), L'Image de la mort. Aux limites de la fiction : l'exposition du cadavre. Actes du colloque tenu au Musée d'art contemporain de Montréal le , Montréal, Musée d'art contemporain de Montréal, coll. « Conférences et colloques », 1995, p. 23-36.
Bruno Bertherat, « La Morgue de Paris », in Sociétés & Représentations, « Violences », no 6, , p. 273-293.
Bruno Bertherat, « La Morgue de Paris au XIXe siècle : un laboratoire du progrès médico-légal », in Équinoxe. Revue de sciences humaines, « Homo criminalis. Pratiques et doctrines médico-légales (XVIe – XXe siècles) », no 22, automne 1999, p. 79-93.
Bruno Bertherat, « Le miasme sans la jonquille : l'odeur du cadavre à la Morgue à Paris au XIXe siècle », in Anne-Emmanuelle Demartini et Dominique Kalifa (dir.), Imaginaire et sensibilités au XIXe siècle. Études pour Alain Corbin, Paris, Créaphis, 2005, p. 235-244.
Bruno Bertherat, « La mort en vitrine à la Morgue à Paris au XIXe siècle (1804-1907) », in Régis Bertrand, Anne Carol et Jean-Noël Pelen (dir.), Les Narrations de la mort, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence (PUP), coll. « Le Temps de l'histoire », 2005, p. 181-196.
Bruno Bertherat, « L'élection à la chaire de médecine légale à Paris en 1879. Acteurs, réseaux et enjeux dans le monde universitaire », in Revue historique, no 644, , p. 823-856, [lire en ligne].
Bruno Bertherat, « Les mots du médecin légiste, de la salle d'autopsie aux Assises : l'affaire Billoir (1876-1877) », in Revue d'Histoire des Sciences Humaines, « La médecine légale entre doctrines et pratiques », no 22, , p. 117-144.
Bruno Bertherat, « L'identification sans Bertillon ? Le cas de la Morgue de Paris », in Pierre Piazza (dir.), Aux origines de la police scientifique. Alphonse Bertillon, précurseur de la science du crime, Paris, Karthala, 2011, p. 210-229.
Bruno Bertherat, « Le médecin légiste face au cadavre (France, XIXe siècle). Contribution à une histoire des sensibilités », in Hervé Guy et alii (dir.), Rencontre autour du cadavre. Actes du colloque de Marseille, BMVR, 15, 16, , Marseille, GAAF, 2012, p. 51-61.
Bruno Bertherat, « La dame au chapeau. La photographie des femmes mortes en France à l'époque de Bertillon », in Corps, « Quelle conscience de son corps ? », no 11, 2013, p. 97-106.