Les systèmes familiaux désignent dans l’œuvre d’Emmanuel Todd les différentes formes de familles qu'il a identifiées dans le cadre de ses recherches en sciences humaines et sociales, selon la filiation intellectuelle de Frédéric Le Play, reprise à partir des années 1960 par certains historiens de la famille en Europe. Emmanuel Todd étudie l'influence des systèmes familiaux sur les grands mouvements de société en Europe et dans le monde : idéologies, systèmes politiques et économiques[1],[2], religions. Le terme de « système familial », employé également en thérapie familiale systémique ainsi que par d'autres historiens de la famille (G. Augustins par exemple), n'est pas fixé dans l'œuvre de Todd, qui emploie également selon les ouvrages les termes suivants : « types », « formes », « structures » ou encore « modèles » familiaux.
le caractère intégré ou non de la famille, qui s'observe dans les rapports parents-enfants, et se manifeste en particulier par la cohabitation ou non de plus de deux générations.
le caractère symétrique ou non de la famille, qui s'observe dans les rapports entre frères (et sœurs) et en particulier dans les coutumes successorales.
et un critère secondaire : le caractère exo- ou endogamique du mariage, c’est-à-dire l'existence de normes plus ou moins fortes concernant le choix du conjoint, qui peut se faire à l'extérieur ou à l'intérieur du groupe familial[3][source insuffisante]. Ces critères lui permettent de cartographier les systèmes familiaux.
Emmanuel Todd complexifiera par la suite considérablement sa classification des systèmes familiaux dans son ouvrage L'Origine des systèmes familiaux, en introduisant les notions de patri/matri/bilocalité, de corésidence temporaire, de famille intégrée, de famille avec proximité, et de cycle alpha de développement de la famille. Cela le conduira à définir 15 systèmes familiaux différents concernant l'Eurasie.
Critères principaux des systèmes familiaux
Analyse du rapport entre parents et enfants
Ce rapport peut être de nature autoritaire ou libérale[4][source insuffisante] : Il mesure la force du lien attachant l'individu au groupe familial.
« Dans un contexte paysan traditionnel, un lien fort se manifestait par une fréquence élevée du nombre des ménages, associant sous un même toit trois générations : parents, enfants et petits-enfants. Un tel système doit être qualifié d'autoritaire parce qu'il présuppose, à certains stades du développement du groupe domestique, l'existence d'enfants adultes, mariés, ayant déjà procréé et restant néanmoins soumis à une autorité parentale. »
« Un lien faible entre parents et enfants, un attachement modéré de l'individu au groupe familial, entraînait à l'inverse un départ précoce des enfants, souvent antérieur au mariage. L'installation dans une vie conjugale impliquait la fondation d'un ménage autonome, associant au plus les parents et leurs enfants, en un noyau minimal. Ce type familial nucléaire peut donc être qualifié de libéral[5]. »
Analyse du rapport entre frères (et/ou sœurs)
Ces rapports peuvent être de nature égalitaire ou non-égalitaire[5]. Les coutumes d'héritage indiquent la nature du rapport entre frères (et/ou sœurs).
« L'existence d'une règle de partage strictement symétrique révèle un système égalitaire. [...] À l'opposé, avec le principe de l'héritier unique, obligeant les enfants non choisis à l'émigration familiale, on peut parler d'un système inégalitaire. [...] Si les parents disposent librement de leurs biens, distribués par testament sans que la coutume impose des parts spécifiques, le système peut être qualifié de « non-égalitaire ». Il est proche de l'inégalité mais évoque aussi une certaine indéfinition de la relation entre frères (et/ou sœurs). »
Typologie des systèmes familiaux
Les systèmes familiaux exogames
L'application des deux principes d'autorité et d'égalité, pouvant chacun prendre deux valeurs opposées, engendre une typologie comptant quatre catégories[6],[7] :
Néanmoins, dans son essai sur les systèmes familiaux d'Europe occidentale (pays hors du bloc communiste et appartenant aux sphères catholiques et protestantes)[8][source insuffisante], Emmanuel Todd a identifié une cinquième catégorie, recensée aux zones frontières entre famille nucléaire égalitaire et famille souche : la famille souche incomplète (autoritaire et partiellement égalitaire), qu'il abandonnera par la suite, la remplaçant par la famille souche à corésidence temporaire[9][source insuffisante].
Les quatre principaux types familiaux exogames représentent quatre façons différentes d’aborder la réalité, qui contribueront à l'apparition d'idéologies variées qui en seront le reflet. Le communisme s’implantera prioritairement là où la famille communautaire exogame est largement dominante, celle-ci étant réfractaire au libéralisme, comme en Russie. Le libéralisme politique et économique de type anglo-saxon se développera sur une structure de type familiale nucléaire absolue qui, de son côté, sera réfractaire au communisme, comme aux États-Unis. La notion de droits de l'homme naîtra dans une région de structure familiale nucléaire égalitaire, dans le bassin parisien. L’identité européenne représente une imbrication des différentes structures familiales exogames, ouvrant ainsi la quête de l’élément coordinateur qui intègre dans une structure unitaire quatre représentations différentes du monde. La France a la particularité d'être le seul pays au monde à connaître six systèmes familiaux différents dont deux dominants et opposés : la famille nucléaire égalitaire (au nord) et la famille souche (au sud)[10].
Les systèmes familiaux endogames
Lorsque la famille communautaire est associée à des pratiques endogamiques, elle donne deux nouvelles catégories possibles (deux variantes) :
La famille souche tolère un certain degré d'endogamie, sans remise en cause de son principe, tandis que les deux catégories de familles nucléaires, lorsqu'elles sont associées à des pratiques endogamiques, évoluent toutes deux vers une seule et dernière catégorie : la famille anomique, catégorie qu'Emmanuel Todd abandonnera par la suite[9][source insuffisante].
Les systèmes familiaux africains
Les systèmes familiaux africains regroupent un ensemble très riche de types familiaux. Ces derniers sont souvent prédéterminés par des critères religieux ou culturels.
Effets des systèmes familiaux
Les systèmes familiaux sont des "mécanismes de transmission culturelle" qui influencent les "attitudes à l’égard de la vie, les choix politiques et religieux[11]." Les différences de valeurs entre systèmes familiaux expliquent de nombreuses disparités, le tableau suivant traite principalement de l'exemple de l'Europe occidentale[8][source insuffisante].
forte conscience de classe ouvrière sans volonté de domination
égalité ouvriers-bourgeois sans domination
classe ouvrière dominante, acceptation des autres classes
ouvriers égaux à tous, mais volonté de domination
Parti religieux réactionnel
aucun
républicanisme chrétien
démocratie-chrétienne
aucun
Nationalisme
libéral-isolationisme
libéral-militarisme
ethno-centrisme
fascisme
Vote extrême droite
faible
fort
moyen à fort
moyen
Écologie
développée (sauf régions de grande exploitation)
développée
Centralisation
faible
forte
moyenne
très forte
Langues régionales
acceptées
rejetées
favorisées
rejetées
Immigration
droit à la différence, égalité, ghettos
assimilation, égalité
rejet, classe inférieure
assimilation forcée
Criminalité
moyenne (urbain) ;
faible (rural)
// forte aux États-Unis
moyenne (urbain) ;
faible (rural)
faible
faible
Dans sa recension de L'invention de l'Europe (1990), le démographe Jean-Claude Chesnais s'interroge sur les limites explicatives du modèle : « peut-on comprendre le mouvement à partir d'une histoire immobile ?[12] ». La sociologue Claire Autant-Dorier affirme quant à elle que rien ne permet de vérifier que les schémas familiaux décrit par Emmanuel Todd sont toujours actifs dans les familles contemporaines[13].
Notes et références
↑Emmanuel Todd, L'illusion économique (ou essai sur la stagnation des économies développées), Gallimard, 1998.
↑« "L'Origine des systèmes familiaux. Tome I : l'Eurasie", d'Emmanuel Todd : la famille nucléaire, cet archaïsme », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
↑Emmanuel Todd, La troisième planète, 1983, Seuil.
↑Emmanuel Todd, L'illusion économique, Gallimard, 1998, p. 32.
↑J. Dupaquier, « Emmanuel TODD. La troisième planète. Structures familiales et systèmes idéologiques. Paris, éditions du seuil, 1983 », Annales de démographie historique, , p. 290-291 (lire en ligne)
↑Fernand Braudel, L'identité de la France. Tome 1 : espace et histoire, Paris, Flammarion, , 367 p. (ISBN9782700304114)
↑André Burguière, « Les historiens de la France saisis par l'anthropologie », Ethnologie française, vol. 37, , pp.99-102 (lire en ligne)
↑Jean-Claude Chenais, « Compte-rendu: Emmanuel Todd, L'invention de l'Europe », Population, vol. 6, no 45, , pp.1112-1113 (lire en ligne)
↑Claire Autant-Dorier, « Saisir les identités en mouvement : parenté et histoires de familles turques en migration », Revue européenne des migrations internationales, vol. 25, no 3, , pp.113-151 (lire en ligne)
Pour approfondir
Bibliographie
Favier, Yann, « L’origine des systèmes familiaux. Tome 1 : L’Eurasie », Recherches familiales 10, nᵒ 1, , p. 193 (lire en ligne)
Livres d’Emmanuel Todd
L'Illusion économique (Essai sur la stagnation des économies développées), par Emmanuel Todd, Gallimard 1998.