Taslima Nasreen a acquis en Occident l'image d'une combattante pour l'émancipation des femmes et la lutte contre ce qu'elle appelle l'obscurantisme religieux de son pays d'origine, le Bangladesh[1].
Biographie
Troisième enfant[2] d'une famille paysanne très connue, Taslima Nasreen suit les traces de son père médecin et fait des études de médecine spécialisée en gynécologie[3]. Nasreen commence à écrire de la poésie vers l'âge de 13-14 ans[1]. Quand elle est encore au lycée à Mymensingh, elle publie et édite un magazine littéraire, SeNjuti (Lumière dans les ténèbres), de 1978 à 1983.
Après l'obtention de ses diplômes de docteurgynécologue, en 1984[4], elle exerce pendant plusieurs années, tout d'abord dans une clinique de planning familial à Mymensingh, puis à Dhaka à partir de 1990[3],[5].
Elle publie son premier recueil de poèmes en 1986. Son second recueil, Nirbashito Bahire Ontore (Banni à l'intérieur et extérieur) connaît un grand succès. Elle réussit à attirer un plus large public avec ses éditoriaux vers la fin des années 1980, puis avec les romans qu'elle commence à écrire au milieu des années 1990.
Le , une fatwa est prononcée contre elle par des fondamentalistes islamiques. Sa tête est mise à prix pour avoir critiqué l'islam au Bangladesh[6]. Elle s'enfuit de son pays en 1994 à la suite de la parution de son livre Lajja, dénonçant l'oppression musulmane sur une famille hindoue[7]. Elle passe les dix années suivantes dans diverses villes d'Europe ; en , elle choisit d'habiter à Berlin, à Stockholm et enfin à New York (où sa sœur réside).
Elle a tenté d'obtenir la nationalité indienne, qui lui a été refusée[8].
À la suite d'une conférence en Inde en 2007, une prime de 500 000 roupies est offerte par un groupe islamiste pour sa décapitation dès [9].
Fin , elle fuit Calcutta à la suite de violentes manifestations contre sa présence. Dans les jours suivants, elle est exfiltrée de ville en ville à la suite de propos jugés blasphématoires contre l'islam. À la suite de ces évènements, les autorités indiennes ne lui délivrent plus que des visas temporaires[10]. Elle modifie sa biographie Dwikhandito, interdite en Inde sous sa forme originale, pour rendre les autorités indiennes plus compréhensives relativement à ses demandes de séjour dans ce pays[11].
À la mi-, elle obtient la prolongation de son visa indien pour six mois, jurant que l'Inde était devenue sa seconde patrie et refusant de venir à Paris pour recevoir le Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes qui venait de lui être décerné. Cependant le , elle se réfugie définitivement en Europe après avoir été accusée de blasphème par des musulmans radicaux en Inde.
En , on lui attribue la publication d'un article dans le Kannada Daily qui provoque des émeutes et entraîne la mort de deux hommes dans le Karnataka, en Inde[15]. « Anéantie » par cette nouvelle[16], Nasreen nie être l'auteur de la publication qui s'avère être une traduction grossière dans une langue locale (le kannada) d'un texte paru en janvier 2007 dans l’hebdomadaire Outlook India dans lequel elle contestait la thèse selon laquelle le Coran et les hadiths seraient silencieux sur l'obligation pour les femmes du port du voile[16]. Elle y affirmait notamment que les musulmanes devaient « brûler leurs burqas »[16].
Le , elle s'engage auprès de l'Organisation pour la citoyenneté universelle (OCU) pour la libre circulation des femmes et des hommes dans le monde. Elle reçoit un « passeport de citoyenneté universelle » symbolique, au siège de l'UNESCO, à Paris[17].
En 2015, menacée de mort par des extrémistes liés à Al-Qaïda, Taslima Nasreen est aidée le 27 mai par le Center for Inquiry (CFI) pour se rendre aux États-Unis, où elle vit depuis. Le Center for Inquiry fait une déclaration officielle en juin 2015 estimant que sa sécurité « n'est que temporaire si elle ne peut pas rester aux États-Unis. Cependant, le CFI a créé un fonds d'urgence pour aider à la nourriture, au logement et aux moyens pour qu'elle soit installée en toute sécurité »[18].
Le 17 août 2022, à l'occasion de l'agression contre Salman Rushdie, elle publie une tribune dans Le Monde : « L’agression de Salman Rushdie dit aux critiques de l’islam qu’ils ne seront en sécurité nulle part dans le monde »[19].
En septembre 2022, elle adresse son soutien aux manifestations en Iran, consécutives à la mort de Mahsa Amini, jeune femme arrêtée par la police pour n'avoir pas bien mis son hijab et morte peu après[20].
Pensée
L'expérience de violences sexuelles lors de son adolescence et son travail comme gynécologue ont développé chez Taslima Nasreen une vision critique du traitement des femmes dans les pays musulmans. Ses écrits sont caractérisés par deux éléments : son combat pour la laïcité et pour les droits des femmes[N 1],[21],[N 2],[22].
Le , dans un entretien publié par Le Figaro Madame, elle expose trois de ses idées maîtresses[23] :
Elle reproche aux fondamentalistes leur misogynie et leur haine de la liberté d'expression. L'intégrisme est aussi une réaction aux avancées des droits des femmes dans de nombreux pays.
Elle estime que les écrits religieux sont oppressifs envers les femmes car les droits des femmes, au même titre que ceux des hommes sont universels. Les personnes peuvent évoluer, pas les dogmes religieux, car ils s'appuient sur des textes sacrés censés porter la parole de Dieu.
Le conflit idéologique n'est pas entre le christianisme et l'islam, mais entre le fondamentalisme et la laïcité, entre les croyances irrationnelles, aveugles, obscurantistes, et la raison.
Œuvres
Taslima Nasreen a écrit en tout plus de trente livres de poésie, essais, romans, nouvelles et mémoires, et ses œuvres ont été traduites dans plus de 20 langues différentes.
Lajjā : La Honte (selon les éditions), roman. Paris : Stock, coll. « Nouveau cabinet cosmopolite », 1994. 286 p. Traduit du bengali par C. B. Sultan, d'après Lajjā.
Lieux et non-lieux de l'imaginaire, choix de poèmes. Coédition, Arles : Actes Sud, coll. « Babel » 119 ; Paris : Maison des cultures du monde, coll. « Internationale de l'imaginaire. Nouvelle série », no 2, 1994. 131 p.
Femmes, manifestez-vous !. Paris : Des femmes, 1994. 105 p. Traduit du bengali par Shishir Bhattacharja et Thérèse Réveillé, d'après Nirbachito column.
Une autre vie : poèmes. Paris : Stock, coll. « Nouveau cabinet cosmopolite », 1995. 143 p. Traduits du bengali et adaptés par France Bhattacharya et André Velter.
Un retour ; suivi de Scènes de mariage, récits. Paris : le Grand livre du mois, 1995. 341 p. Traduits du bengali par Pralay Dutta Gupta et Paul Ray, d'après Fera.
l'Alternative ; suivi de Un destin de femme : récits. Paris : Stock, coll. « Nouveau cabinet cosmopolite », 1997. 263 p. Traduit du bengali par Philippe Benoît, d'après Aparpaksha et Bhramar kaiyo giya
Enfance, au féminin. Paris : Stock, coll. « Nouveau cabinet cosmopolite », 1998. 457 p. Traduit du bengali par Philippe Benoît, d'après Amar meebela.
Femmes : poèmes d'amour et de combat. Paris : Librio, no 514, 2002. 94 p. Traduits de l'anglais par Pascale Haas, d'après All about women ; avec une préface de Danielle Charest.
Vent en rafales, récit. Paris : P. Rey, 2003. 379 p. trad. du bengali par Philippe Daron, d'après Utal hawa.
À la recherche de l'amant français. Les Éditions Utopia, coll. « Dépasser le patriarcat », 2015, 369p. Traduit de l'anglais par Marion Barailles, d'après Farasi Premik.
Écrites ou traduites en anglais
Meyebela (My Bengali Girlhood - A Memoir of Growing Up Female in a Muslim World)
The Game in Reverse (Poèmes)
French Lover, roman, éditions Penguin, 2002.
Mise en musique
The Cry - Poèmes de Taslima Nasreen ; Steve Lacy (saxophone soprano) ; Irene Aebi (voix) ; Tina Wrase (Saxophone soprano et sopranino, clarinette basse) ; Petia Kaufman (clavecin) ; Cathrin Pfeifer (accordéon) ; Jean-Jacques Avenel (contrebasse) ; Daniel "Topo" Gioia (percussions) (Enregistré le à l'Alhambra de Genève, 2CD Soul-Note 121315-2) (OCLC42404513)
↑« Je suis victime d’un État dont le Premier ministre est une femme. Et parce je suis allée un cran trop loin dans la dénonciation de la religion et de l’oppression des femmes, j’ai dû quitter mon pays. Des femmes se sont opposées à moi quand j’ai parlé des droits humains. Selon elles, Dieu ne reconnaît pas tant de droits aux femmes. Mais j’ai rencontré dans mon pays des hommes qui réfutent ce que disent les textes religieux et qui croient à l’égalité. Cela ne dépend pas du sexe, mais de la conscience de chacun. Bien évidemment, on ne pourra pas compter sur les musulmanes qui sont contentes de porter le voile et de glorifier leur soumission pour améliorer le sort des opprimées. Tant qu’une société sera basée sur la religion, tant que la loi ne reconnaîtra pas l’égalité des sexes, la politique ne pourra pas faire avancer la cause des femmes. »
↑« S’il y avait égalité des hommes et des femmes devant la loi, on pourrait punir les intégristes lorsqu’ils commettent des crimes contre les femmes. Mais aujourd’hui les choses sont compliquées car le droit de la famille est fondé sur la religion, et comme la religion officielle est l’Islam, les intégristes prônent l’application de ce qui est écrit dans le Coran. Le gouvernement ne prend aucune mesure contre eux car cela reviendrait à s’attaquer à l’Islam. Si au lieu d’un droit islamique, on avait un droit séculier avec séparation entre État et religion, il serait plus facile de mettre ces criminels en prison et d’établir en pratique l’égalité entre hommes et femmes. »
↑« Taslima Nasrin Moved to US Following Death Threats in India », VOA News.
↑Taslima Nasreen, « « L’agression de Salman Rushdie dit aux critiques de l’islam qu’ils ne seront en sécurité nulle part dans le monde » », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
(en) Ali Riaz, Voice & silence : contextualizing Taslima Nasreen, Ankur Prakashani, Dhaka, 1995, 87 p. (ISBN984-464019-9)
(en) Dina M. Siddiqi, « Taslima Nasreen and others: the contest over gender in Bangladesh », in Herbert L. Bodman et Nayereh Tohidi (dir.), Women in Muslim societies : diversity within unity, Lynne Rienner Publishers, Boulder, Colo., 1998, 311 p. (ISBN1-555-87578-5)