Les 18 défis
Le Traité de la Roulette comporte 18 propositions regroupées en 6 +1 traités :
- Lettre de Mr Dettonville à Mr Pierre de Carcavi
- Traité des trilignes rectangles et de leurs onglets
- Propriétés des sommes simples
- Traité des sinus du quart de cercle
- Traité des arcs de cercle
- Petit traité des solides circulaires
- Traité général de la Roulette
Les six premiers sont des guides de calculs (non faits par Pascal), qui serviront dans le Traité-7. Les 18 propositions sont celles posées en défi en juin et octobre 1658 :
Soit une demi-arche de roulette d'Arc OS (avec O(0 ; 0) ; S(Pi.a ; 2a)). H le point (Pi.a ; 0), qui forme donc le triligne rectangle.
L'aire OSH a été évaluée par Galilée (1592) (par pesée !) : 3/2 disques générateurs, enfin calculée par Roberval (1634) à l'aide de la fameuse « courbe auxiliaire » (la sinusoïde) ; retrouvée par Torricelli ensuite (l'enquête très soignée a été menée par Jean Itard, du centre Koyré, sur l'antériorité de Roberval).
Pascal coupe la figure d'un trait horizontal, partant du point courant P, coupant le demi-cercle de diamètre SH en M, et le segment SH en Y, l'axe des ordonnées en Y'. Bien sûr, PM = arc MS, ce qui est la propriété caractéristique de la roulette.
Les 9 propositions de juin sont :
- Aire PYS; X & Y du barycentre de cette aire.
Faire tourner la figure autour de PY :
- Volume du solide engendré ; X & Y de son barycentre.
Faire tourner la figure autour de SY
- Volume du solide engendré ; X & Y de son barycentre.
Les 9 problèmes d'octobre concernent une extension due à Wren (août 1658) :
- Rectification de l'arc MS ; X & Y de son barycentre.
Faire tourner l'arc MS autour de PY, d'un demi-tour :
- aire de la surface engendrée ; X & Y de son barycentre.
Faire tourner l'arc MS autour de SY, d'un demi-tour :
- aire de la surface engendrée ; X & Y de son barycentre.
Les Traités T1,2,4 sont novateurs. T3,6 reprennent le théorème de Guldin. T5 explicite T4 via T2. Enfin, T7 articule le tout.
Le Traité T2 est considéré par Émile Picard comme un chef-d'œuvre.
Analyse du Traité, notations
Notation : Elle sera faite selon essentiellement les références ci-dessous :
- C. pour Costabel[2] et
- M. pour Merker[3].
- TR désignera : Traité de la Roulette.
On appellera somme des indivisibles : ß.
Quadrature de la Roulette
Voici la démonstration de la quadrature de la demi-roulette, en six lignes :
- Reprendre la figure précédente.
- Diviser SH en une infinité de parties égales "YY",
- et tracer les indivisibles, les segments YP = YM + MP.
- (Aucune difficulté à) Comprendre, avec Cavalieri, que ß YM = aire du demi-cercle : Pi.a²/2 (:= A1)
- Il reste ß MP = ß SM = ß (Pi.a - SM) = 1/2 ß Pi.a = 1/2 (Pi.a). ß = 1/2 Pi.a .(2a) = 2.A1
- L'aire de Roberval, que Galilée n'a pas su calculer, est donc 3.aire du demi-cercle.
FIN de démonstration.
Problème : doit-on écrire ß YM ou bien comme Torricelli et Pascal ß YM . YY, ce qui dans l'écriture de Leibniz deviendra : ? Nous respecterons ici le TR, en écrivant toujours les divisions égales YY et les segments (les indivisibles) partiront toujours de Y ; ceci afin de rester plus près du texte de Dettonville.
L'art de décompter
Pascal avait l'habitude de combiner jetons et bâtons, cela tout petit, raconte sa sœur.
On connaît le triangle de Pascal. Et la combinatoire appliquée aux ars conjectandi.
Mais des faits plus élémentaires existent depuis longtemps (cf le livre de Conway et Guy).
- la suite de Galilée et somme triangulaire
Soit un carreau carré. L'entourer à droite et par-dessous de 3 carreaux de manière à former un carrelage carré de 4 carreaux. Entourer de 5 carreaux, on obtient un carrelage carré de 9 carreaux. Puis 7 carreaux de plus conduiront à 4^2 carreaux, et 9 à 5^2.
On reconnaît la somme des impairs [de 1 à 2t-1] = t^2 de Galilée, qui se démontre par récurrence : t^2 + gnomon (:= 2t + 1) = (t+1)^2.
Pascal connaissait certainement ce résultat, et celui qui s'en déduit : somme des entiers = n(n+1)/2.
mais il remarque plus : nommons les carrés par des lettres A, le deuxième gnomon B, etc.
La somme devient celle d'un tableau de "Poids" := P = A + 3 B + 5 C + 7 D +…
Il ne faut pas longtemps à Pascal pour découvrir qu'avec ce tableau symétrique, on peut écrire :
"Trace" de la diagonale := ß := (A + B + C + D + E)
Soit le tableau triangulaire supérieur, y compris la diagonale, soit µ ; P = 2µ - ß.
Remarquer : µ = A + 2.B + 3.C + 4.D, c'est-à-dire le moment des poids alignés, par rapport à l'origine (1 est l'abscisse du carreau A) : c'est donc simplement le moment µ du levier d'Archimède.
Et par conséquent, µ/ß donne l'abscisse du « barycentre » :
C'est la fameuse règle "secrète", dont Archimède parle dans sa lettre à Dosithée. (Torricelli, Magiotti et Nardi, élèves de Castelli, ont en beaucoup discuté) :
l'abscisse du barycentre est le barycentre des abscisses.
Pascal appelle cela, faire une somme triangulaire µ. On peut d'ailleurs décaler l'origine.
Pour s'exercer : appliquer au centre de gravité du quart de circonférence : .
Le barycentre du demi-disque s'en déduit : (2/3).{0 ; }.
Vérifier en appliquant le théorème de Guldin à la sphère et à la boule (énoncés de T4,T5 & T6).
On pourra aussi, en regardant la table de Pythagore avec le même gnomon, trouver que (ß n)² = ß n³ : c'est aussi un classique.
Tout enfant, avec des cubes, fait des pyramides ; Dettonville ne s'en est pas privé ! Soit l'axe Z vers le bas :
On place à la cote z= 1 le cube A,
à la cote z=2, 4 cubes B
à la cote z=3, 9 cubes C
On construit ainsi une belle pyramide.
(prendre des couleurs graduées en z produit un joli effet ; ce sont des objets bien connus en architecture, mais j'ai oublié leur nom : Pantènes ?)
Évidemment cette pyramide a comme plan de symétrie le plan x=y. L'ensemble des éléments de ce plan diagonal est cette fois, la somme moment µ (la dessiner pour s'en convaincre, sinon prendre des cubes !). Comme précédemment Dettonville prend la moitié de la pyramide, AVEC le plan de symétrie, et appelle cela la somme pyramidale (þ)
Dettonville obtient donc : 2 .(þ) - (µ) = 1².A + 2².B + 3².C + 4².D +5².E,
Pour comprendre Pascal, « il faut rester à manipuler ces cubes, jusqu'à en être convaincu ».
(Ceci est l'essence de ce qu'a voulu écrire Pascal : Voir & Conclure. D'ailleurs c'est le titre d'un de ses livres : l'esprit de géométrie et l'art de convaincre. Il y a là une "certaine" beauté esthétique, proche du style du "parfait" cathare, beauté sans doute pas étrangère au jansénisme de Pascal).
Application directe : prendre pour chiffre le numéro des lettres. En déduire à nouveau n³.
Les divisions égales, les ordres
On ramasse les myrtilles avec un râteau d'environ 16 dents également espacées.
Soit 16 pailles de diamètre égal à la période spatiale du râteau.
Étaler les seize pailles côte à côte, et éventuellement avec une petite entretoise de guidage, les translater aisément en ratissant.
Cela est un moyen très visuel de calculer des aires, façon Dettonville.
Exemple : Découper un disque en carton. Avec celui-ci, dessiner une demi-arche de cycloïde. Y poser les pailles. Ratisser les pailles à gauche. Introduire le cercle directeur en carton selon SH. Ramener les pailles en ratissant à droite : la preuve expérimentale est faite : Aire = (aire du rectangle - aire du demi-cercle, A1), soit 3 A1. Après l'avoir montré, il FAUT le démontrer ; mais on est déjà convaincu. Quasiment tous les raisonnements de Dettonville se font à l'aide de ce peigne à myrtilles, qui existe déjà, sans le dire, chez Torricelli : les divisions sont égales sur les côtés du triligne rectangle. Mais aussi une exception : comme Torricelli, il se donne le droit de découper des arcs en longueurs égales, ce qui est plus subtil bien sûr, et exclut le peigne à myrtille.
Voilà donc que les indivisibles peuvent se diviser en 32 pailles de demi-diamètre, etc., jusqu'à 1024 (=2^10) minuscules pailles, etc.
Il ne reste plus qu'à conclure, une fois cela VISUALISÉ : à la limite n tendant vers l'infini, pour 2^n pailles, il vient que l'aire sous la courbe A = f(1), B = f(2), C = f(3), c'est la somme ß := A+B+C+…
Mais Dettonville va plus loin :
Dans le calcul exact du Tableau carré de Galilée, il dit que le poids de la diagonale est NÉGLIGEABLE : donc 2µ - ß = 2µ ! le GRAND PAS VIENT d'être franchi : on négligera les termes d'"ordre inférieur" : la somme des entiers quand n est très grand sera ~ n²/2
Dans le calcul exact de la Pyramide, le poids total sera 2þ - µ = 2þ ! Ainsi, la somme des cubes sera ~ n^4/4.
La notion d'infini < infini² < infini³ dans les polynômes vient d'apparaître au grand jour. C'est la notion d'ORDRE de grandeur, bien plus importante que celle dont on philosophe sur les infinis de Pascal (mais très liée à la morale de Pascal). Le temps des paradoxes des indivisibles n'est pas encore terminé (il faudra un Darboux pour clore le débat !), mais les « bonnes » règles font surface.
Bien sûr, Dettonville n'écrira pas pour ses sommes doubles : ßß, et pour ses sommes triples : ßßß, mais il l'a VISUALISÉ. L'aurait-il symbolisé, il eût été le créateur du calculus, d'autant qu'il a compris l'intégration par parties :
Le décompte horizontal ou vertical : l'intégration par parties
Évidemment l'aire d'un triangle curviligne comme celui qui nous intéresse ici (la demi-roulette OSHO), on peut utiliser le principe des pailles aussi bien verticalement qu'horizontalement : l'aire ß PY .YY + ß PY' .Y'Y' = OS.SH,
mais ß PY. YY = ß PX . XX donc ß PX. XX = OS.OH - ß PY'.Y'Y'
Leibniz l'écrira plus tard : d(xy) = y .dx + x.dy.
Pour l'heure, Dettonville ne fera que s'en servir, avec virtuosité.
Donc par rapport à Torricelli qui est le premier à parler en dimensions homogènes en ayant donné une dimension au "dx", Dettonville avance un pas de plus avec ses dx.dx.dx négligeables devant du X.dx.dx, X fini. Et avec ses sommes doubles ou triples et l'intégration par parties.