La viscosité (du latinviscum, « gui » ou « glu ») peut être définie comme l'ensemble des phénomènes de résistance au mouvement d'un fluide pour un écoulement avec ou sans turbulence. La viscosité diminue la liberté d'écoulement du fluide et dissipe son énergie.
Contrairement à celle d'un gaz, la viscosité d'un liquide diminue lorsque la température augmente. On pourrait croire que la viscosité d'un fluide s'accroît avec sa densité, mais ce n'est pas nécessairement le cas : par exemple, l'huile de colza (de densité 0,92 à 20 °C) est nettement plus visqueuse que l'eau (7,78 × 10−2 Pa s contre 1,01 × 10−3 Pa s).
La notion de viscosité intervient dans un grand nombre de domaines. Dans le domaine technologique, on classe les huiles à usages mécaniques selon leur viscosité, en fonction des besoins de lubrification d'un moteur ou d'une machine, et des températures auxquelles l'huile sera soumise lors du fonctionnement (indice de viscosité).
Définitions
Définition élémentaire de la viscosité dynamique
Dans le cas unidimensionnel, par exemple un écoulement de Couette de fluide incompressible, la viscosité dynamique peut être définie en considérant deux couches d'un fluide notées abcd et a’b’c’d’, la couche abcd étant animée d'une vitesse relative à a’b’c’d’ notée et dirigée suivant . Une force de frottement s'exerce sur la couche a’b’c’d’ séparée de dz. La viscosité dynamique (le symbole est également utilisé) intervient dans la relation entre la norme de cette force et le taux de cisaillement, étant la surface de chaque couche
On trouve encore parfois l'ancienne unité[3] du système CGS, la poise (Po) : 1 Pa s = 10 Po.
De cette grandeur dérivent deux autres, équivalentes :
la fluidité qui est l'inverse de la viscosité dynamique ;
la viscosité cinématique qui s'obtient en divisant la viscosité dynamique par la masse volumique soit :
Elle s'exprime en mètre carré par seconde (m2/s)[2]. Dans le système CGS, la viscosité cinématique est exprimée en stokes (St) ou en centistokes (cSt).
La conversion est immédiate, puisque 1 St = 1 cm2/s = 10−4 m2/s et 1 cSt = 1 mm2/s = 10–6 m2/s.
Le terme de viscosité élongationnelle est utilisé en rhéologie pour caractériser l'écoulement d'un corps incompressible soumis à une contrainte uniaxiale. La viscosité élongationnelle vaut (loi de Trouton).
La viscosité turbulente désigne une quantité utilisée pour décrire la dissipation turbulente. Elle est l'analogue de la viscosité dynamique pour la relation contraintes-déformations dans le milieu mais n'est pas une caractéristique de ce milieu et son expression doit être adaptée à chaque situation physique.
Viscosité des gaz
La viscosité des gaz purs et des mélanges peut être calculée à partir de la méthode de Chapman-Enskog en utilisant un potentiel d'interaction molécule-molécule tel que le potentiel Lennard-Jones. Cette propriété de transport macroscopique (domaine continu) est l'image des transferts de quantité de mouvement à l'échelle moléculaire qui croissent avec la force des collisions, donc avec la température et qui s'opposent à l'advection de la quantité de mouvement dans le milieu.
Corps purs
La viscosité dynamique d'un corps pur est donnée par l'expression suivante (les indices sont pour la collision de l'espèce i avec elle-même)
Ce type d'approximation est également utilisé pour donner une expression numérique [5].
Mélanges gazeux
La viscosité dynamique d'un mélange gazeux de corps est solution d'un système algébrique linéaire d'ordre et de rang[4],[6]. Elle s'exprime donc sous la forme où est la fraction massique de l'espèce dans le mélange. Il existe nombre d'approximations précises dans un domaine plus ou moins large (voir figure ci-contre) :
certaines, un peu complexes mais justifiées théoriquement, comme celle comme celle de Buddenberg et Wilke[7],[8] donnent d'excellents résultats ;
une simple loi de mélange donne des résultats acceptables dans un domaine de température réduit. Une telle loi empirique s'écrit :
on utilise couramment la loi de Sutherland qui est une adaptation numérique d'un modèle théorique utilisant un potentiel d'interaction particulier[4].
Données numériques
Des données nombreuses et fiables sont contenues dans la compilation faite par Yeram Sarkis Touloukian[7]. On donne dans le tableau ci-dessous quelques valeurs à température normale de cette base de données.
Pour les liquides il n'existe pas de théorie que l'on puisse qualifier d'exacte à l'instar de la méthode de Chapman-Enskog. La généralisation de cette méthode par David Enskog ne donne que des résultats qualitatifs[4]. La difficulté tient au fait qu'une molécule possède de nombreuses voisines avec laquelle elle interagit. Son mouvement est lié à la présence d'un site libre dans son voisinage. La mobilité augmentant avec la température, le phénomène de migration est facilité d'autant, ce qui explique la diminution de la viscosité. Les seuls calculs exacts sont ceux de dynamique moléculaire qui simulent le milieu à l'échelle moléculaire. Toutefois cette notion de site libre a permis à Henry Eyring de proposer une théorie où l'énergie d'agitation thermique permet à une molécule de vaincre la barrière de potentiel la séparant de ce site dans l'esprit de l'équation d'Eyring[4],[7]. La fréquence de sauter la distance séparant la molécule d'un site libre adjacent est :
où est l'énergie libre d'activation permettant d'échapper à la « cage » où se trouve la molécule.
Corps purs
En pratique on utilise diverses méthodes physiques approchées (liste non exhaustive)[7],[9] :
l'approximation de la « viscosité résiduelle » , différence entre la valeur pour le liquide et celle calculée pour un hypothétique gaz à la même température, sous la forme est la masse volumique et sa valeur au point critique où la viscosité est (voir figure ci-contre)[10].
la méthode des états correspondants où l'on montre par l'analyse dimensionnelle que les viscosités des corps ne dépendent que d'un nombre limité de paramètres[4]. On se contente en général de deux pour écrire la loi sous la forme « universelle » suivante :
où et sont des valeurs normalisés par une quantité supposée pertinente, variable d'un auteur à un autre. On utilise cette méthode pour obtenir la viscosité d'un corps à partir de celle d'un corps réputé voisin.
Par ailleurs on peut trouver de nombreuses valeurs typiques pour des fluides newtoniens qui ne sont pas nécessairement parfaitement définis[12],[13],[14].
Certains corps comme les verres passent continument de l'état solide à l'état liquide. La viscosité du dioxyde de silicium a été mesurée à 1 × 106 Pa s à 1 200 K et à 80 Pa s à 2 600 K[8].
On trouve parfois des valeurs de viscosités pour des corps rhéofluidifiants et thixotropes comme le sang ou fortement non-newtoniens comme la glace polycristalline[15]. Il convient de considérer ces valeurs avec circonspection.
La viscosité de volume est généralement négligée en mécanique des fluides, le terme dû au cisaillement étant prépondérant. Cependant il existe des contre-exemples, par exemple la propagation du son dans les gaz.
Cette quantité résulte des collisions inélastiques pour lesquelles l'énergie interne (liée à la vibration et la rotation) des espèces en interaction est modifiée par la collision[4],[22]. Elle est donc négligeable dans le cas des gaz nobles.
L'expression la plus simple est obtenue pour un gaz parfait dans la limite des ondes de faibles fréquences et faibles amplitudes[23] :
On donne ci-dessous quelques valeurs caractéristiques à 293K et à pression normale[23]. On remarque que certains corps comme l'hydrogène ou la vapeur d'eau ont une viscosité élevée comparée à la viscosité dynamique.
À l'aide du calcul tensoriel on peut calculer la dissipation irréversible, en énergie thermique, de l'énergie cinétique, où désigne l'énergie cinétique par unité de volume. Dans le cas incompressible elle prend la forme :
L’expression de la dissipation visqueuse totale peut prendre plusieurs formes. Ainsi dans le cas d'un fluide incompressible et dont la vitesse est nulle sur le bord du domaine on a :
En effet avec les hypothèses ci dessus on a :
De manière générale, on préfère la forme faisant intervenir la partie symétrique du tenseur
car il est connu que sa partie antisymétrique ne produit pas de dissipation.
(en) Carl L. Yaws, Transport Properties of Chemicals and Hydrocarbons, Amsterdam/Boston, Gulf Professional Publishing, , 715 p. (ISBN978-0-323-28658-9)
(en) E. W. Washburn Edt, International Critical Tables of Numerical Data, Physics, Chemistry and Technology, vol. 5, Knovel, (ISBN978-1-59124-491-2)
Notes et références
Notes
↑On trouve également des approximations faisant intervenir des termes en .
↑(en) Carl L. Yaws, Transport Properties of Chemicals and Hydrocarbons, Amsterdam/Boston, Gulf Professional Publishing, , 715 p. (ISBN978-0-323-28658-9)
↑(en) Gilberto Medeiros Kremer, « The Methods of Chapman-Enskog and Grad and Applications », RTO-EN-AVT 194, 2011 [1]
↑(en) J. Lohrenz et B. G. Bray, « Calculating Viscosities of Reservoir Fluids from Their Compositions », Journal of Petroleum Technology, vol. 16, no 10, , p. 1171–1176 (DOI10.2118/915-PA)
↑(en) S. Yanniotis, S. Skaltsi et S. Karaburnioti, « Effect of moisture content on the viscosity of honey at different temperatures », Journal of Food Engineering, vol. 72, no 4, , p. 372–377 (DOI10.1016/j.jfoodeng.2004.12.017)
↑(en) R. Edgeworth, B. J. Dalton et T. Parnell, « The pitch drop experiment », European Journal of Physics, vol. 5, no 4, , p. 198–200 (DOI10.1088/0143-0807/5/4/003)
↑Desliens, L., & Desliens, R. (1959). Viscosimétrie sanguine chez les animaux. Deuxième note.—Valeur et variations de la viscosité sanguine à l'état normal. Bulletin de l'Académie Vétérinaire de France.
↑Desliens, L., & Desliens, R. (1964). Viscosité sanguine chez les animaux (Suite). Maladies diverses. Vue d'ensemble des applications de la viscosimétrie sanguine. Bulletin de l'Académie Vétérinaire de France.
↑Lacombe, C., Mouthon, J. M., Bucherer, C., Lelievre, J. C., & Bletry, O. (1992). Phénomène de Raynaud et viscosité sanguine. Journal des maladies vasculaires]. Supplément B, 17, 132-135.
↑Raymond Brun, Introduction à la dynamique des gaz réactifs, Toulouse, Cépaduès, , 364 p. (ISBN2-85428-705-3)
↑ a et b(en) M. S. Cramer, « Numerical estimates for the bulk viscosity of ideal gases », Physics of Fluids, vol. 24, (lire en ligne)
↑(en) A. Salih, « Conservation Equations of Fluid Dynamics », Department of Aerospace Engineering Indian Institute of Space Science and Technology, Thiruvananthapuram, (lire en ligne).