Émile DigeonÉmile Digeon
Émile Stanislas Digeon, né le à Limoux (Aude), mort le à Trèbes (Aude) est un journaliste, militant républicain, révolutionnaire, socialiste et anarchiste français. Opposant au Second Empire, il est proscrit en Algérie française, s'évade et se réfugie à Majorque. Revenu en France en 1868, il est un militant républicain radical dans le Midi à partir de 1870 et dirige la Commune de Narbonne, du 24 au . Jugé et acquitté, il est ensuite candidat sans succès à plusieurs élections. Ami de Jules Guesde, Louise Michel, Auguste Blanqui, Louis Blanc et Jules Vallès, il affirme des convictions de plus en plus anarchistes. BiographieOpposant à l'EmpireÉmile Digeon est le fils de Stanislas Digeon, avocat à Limoux puis à Montpellier et militant républicain franc-maçon pendant la Restauration et la monarchie de Juillet. Après la révolution de février 1848, Stanislas Digeon est membre de la commission municipale provisoire de Montpellier[2]. Émile Digeon, après des études de droit, devient journaliste au Suffrage Universel, journal républicain de Montpellier[2]. Avec Armand Barbès, qu'il vénère, il fait partie des fondateurs du parti républicain dans l'Aude[3]. Émile Digeon et son père sont arrêtés après le coup d'État du 2 decembre 1851[4] lors d'une réunion de protestation et emprisonnés à Montpellier. Émile Digeon appelle à l'assassinat de Louis-Napoléon Bonaparte : « Nous n’avons plus de ressources que dans la balle qui nous délivrera de ce monstre. »[2]. Émile Digeon et son père Stanislas sont condamnés à la déportation en Algérie française. Ils s'évadent ensemble et se réfugient à Palma de Majorque[4] le . Le père, Stanislas, quitte les Baléares dès 1855 pour revenir en France, mais son fils Émile y reste jusqu'en 1868 et s'intègre à la bourgeoisie locale, en épousant Hélène Choussat, veuve de Basile Canut, un riche banquier originaire de Montferrand (Aude). Émile Digeon gère la banque au nom de sa femme et des enfants de celle-ci, mineurs. Après la libéralisation politique du Second Empire, Émile Digeon et son épouse reviennent en France en 1868. Résidant surtout à Paris, il écrit dans des journaux républicains[2]. Républicain radical dans le MidiIl retourne dans le Sud à la fin de l'année 1870 et y participe aux mouvements révolutionnaires[4]. Ancien proscrit, il jouit d'une certaine popularité[5]. Il parcourt tout le Midi de la France pour participer à la naissance de divers ligues et comités républicains[2]. Représentant les républicains de Carcassonne, il est à l'origine de la réunion de délégués républicains de 15 départements à Lyon le . Le , il prend la tête d'un nouveau Comité central républicain du département de l'Aude. Avec des républicains délégués de 13 départements, il participe à la création, à Toulouse, de la Ligue du Sud-Ouest les 20 et [3],[6]. Le , il est vice-président du Comité de Salut public formé à Carcassonne[4]. À Narbonne, le , dans un discours prononcé au Club de la Révolution devant 2 000 personnes, il réclame l'armement de la Garde nationale et l'adoption du drapeau rouge[4] :
L'armement de la Garde nationale est une demande réitérée des républicains narbonnais, qui a été systématiquement refusée par les autorités. Émile Digeon dit aux militants socialistes narbonnais exactement ce qu’ils ont besoin d'entendre et donne par là même une structure à leurs revendications[3]. Dirigeant de la Commune de NarbonneLe club révolutionnaire de Narbonne fait appel à Émile Digeon[2] parce que ses membres estiment qu'il faut comme chef de leur futur mouvement insurrectionnel un homme de réseaux, expérimenté et bon orateur et parce qu'ils se rappellent son discours du . Avant d'accepter, Digeon propose à son ami Théophile Marcou, maire de Carcassonne, d'être ce chef que les révolutionnaires narbonnais attendent, mais celui-ci refuse et lui déconseille cette aventure, selon lui vouée à l'échec[3]. Digeon arrive à Narbonne le soir du . Le lendemain soir , un groupe d'environ 250 hommes armés envahit l'hôtel de ville de Narbonne et demande à Digeon de prendre la tête du mouvement[3]. Il proclame la Commune centrale de l'arrondissement de Narbonne (souvent appelée Commune de Narbonne), ainsi que son adhésion au mouvement créé par la Commune de Paris[4]. La Commune de Narbonne commence donc par l'occupation de la mairie[2]. Le lendemain , les autorités tentent de reprendre la mairie avec une compagnie du 52e régiment d'infanterie et des gardes nationaux, mais les militaires se mutinent[5] et environ 250 d'entre eux rejoignent les insurgés[3]. La Commune de Narbonne tient une semaine, essentiellement grâce à l'activité de Digeon[4]. Le , il met sur pied l'occupation de la sous-préfecture par une partie de ses troupes, lui-même restant à l'hôtel de ville[3]. Il fait appel sans succès aux maires des grandes villes voisines[2], Toulouse, Carcassonne, Béziers, Sète et Perpignan[3]. Les dépêches qu'il prépare ne sont, semble-t-il, jamais envoyées. Digeon échoue à étendre la revolte à d'autres villes du Languedoc, alors que c'était son projet [6]. Légaliste en matière financière, Digeon négocie un accord avec le receveur municipal, qui accorde une avance de deux mille francs, à restituer grâce à de futurs impôts, pour approvisionner les troupes. Le au matin, à la tête d'une centaine d'hommes, il entre dans l'arsenal. Ses hommes confisquent les armes et les soldats présents les rejoignent. Le même jour, il tente de faire couper les voies de chemin de fer, mais sans succès, ce qui permettra l'arrivée des troupes envoyées par le pouvoir à Narbonne[3]. Défaite et procèsPour réprimer cette insurrection, les autorités font appel aux tirailleurs algériens, les turcos, qui arrivent le soir du et qui sont renforcés par d'autres troupes[3]. Le , Digeon fait barricader l'hôtel de ville[5] et y organise la défense. Il fait imprimer une affiche, sorte de profession de foi, qui sera la seule grande proclamation de la Commune de Narbonne. Des négociations sont menées pour convaincre les insurgés de se rendre. Elles échouent[3]. Le à 3 heures du matin, une fusillade fait deux morts[2] parmi les insurgés. L'armée, commandée par le général Zentz, prépare des canons pour bombarder l'hôtel de ville. Une dernière mission de négociation semble promettre une amnistie, selon l'interprétation de Digeon tout du moins. Après discussions, les insurgés abandonnent l'hôtel de ville sur ordre de Digeon. Il a l'intention de se faire tuer sur place, mais ses camarades l'entraînent dans une maison particulière où il écrit au procureur pour se faire arrêter[3]. L'armée occupe donc Narbonne sans combat, les insurgés se dispersant[5]. Digeon est appréhendé le [4]. En dépit de la promesse d'amnistie, Digeon est jugé avec 16 autres insurgés par la Cour d'assises de Rodez, les autorités délocalisant le procès par crainte d'une agitation populaire[2]. Digeon et les autres prisonniers sont transférés à Rodez dans la nuit du 22 au et dans la journée du , en train[3]. Après plusieurs reports, le procès a finalement lieu en novembre, devant une foule nombreuse[3]. Jules Guesde, alors journaliste à Montpellier et la femme de Digeon organisent sa défense[2],[4]. Digeon affirme ses positions politiques. Beaucoup de témoins à charge, de façon surprenante pour l'accusation, insistent sur son honnêteté et sa courtoisie. Les témoins à décharge rappellent la promesse d'amnistie[3]. Le samedi , Digeon est finalement acquitté[2],[4],[3], ainsi que les autres accusés[8]. Militant de la gauche socialiste audoiseDans les derniers mois de 1871, Émile Digeon tente de monter une organisation républicaine radicale dans le Midi, mais c'est un échec[3]. En , il retourne à Palma de Majorque. Il y monte un projet de soulèvement du Midi de la France auquel il tente d'associer Émile Eudes, mais sans succès. Il fonde à Palma une entreprise de fabrication de colorants végétaux. En 1876, il revient définitivement en France, à Paris puis à Puteaux, et fréquente assidûment Jules Guesde, revenu d'exil. Sa femme Hélène le quitte en 1878 ou 1879 pour retourner s'installer à Palma de Majorque[2]. Émile Digeon est trois fois candidat aux élections législatives dans la circonscription de Narbonne, successivement sous des étiquettes de plus en plus à l'extrême-gauche[2],[9]. Sa première tentative a lieu à l'occasion d'une élection partielle en 1880. Digeon se présente comme « républicain socialiste », candidat le plus à gauche. Refusant de faire campagne par purisme, il recueille un tiers des voix au premier tour et se désiste pour le second. Il présente de nouveau sa candidature aux élections législatives générales de septembre 1881. Il porte alors l'étiquette de « candidat républicain radical socialiste ». Au premier tour, il arrive deuxième, avec 41% des voix. Au second tour, il est battu par le candidat républicain moins radical que lui, Joseph Malric. Ce dernier démissionne en 1883, ce qui provoque une nouvelle élection. Digeon est moins présent dans la circonscription, parce qu'il est fixé à Paris. Il s'y représente néanmoins, comme « candidat anarchiste ». Le camp socialiste est divisé et Digeon arrive dernier à l'issue du premier tour. Ses défaites électorales participent de son évolution vers l'anarchisme[3]. En plus de son amitié avec Jules Guesde, Digeon entretient des relations étroites avec des figures de la gauche socialiste, Louise Michel, Auguste Blanqui, Louis Blanc et Jules Vallès[2]. Il fait partie des hommes clefs des réseaux socialistes des années 1880[10]. Prônant l'union des révolutionnaires, il écrit dans des journaux socialistes et anarchistes, dont Le Cri du Peuple. Il devient de plus en plus anarchiste, par refus de l'autorité et des compromissions du pouvoir[2]. Avec Paul Narbonne, il dirige de 1880 à 1883 un hebdomadaire narbonnais appelé L’émancipation sociale, qui publie des textes de nombreux militants de la gauche socialiste[3]. AnarchisteLouise Michel se félicite de l'évolution de la pensée politique de Digeon :
Digeon publie plusieurs brochures, mais développe sa pensée politique principalement dans deux d'entre elles, Droits et devoirs dans l’anarchie rationnelle (1882) et Propos révolutionnaires (1884). Il y défend la liberté individuelle, dans la limite de celle d'autrui et admet la nécessité des règles sociales. Il propose que le pouvoir soit exercé à tour de rôle par chaque citoyen. Il défend la justice sociale et le mandat impératif. Selon lui, la solution est ce qu'il appelle « l’anarchie rationnelle ». Il faut :
Au nom de la liberté individuelle, Digeon refuse « le communisme absolu et le collectivisme de production » et propose que les individus s'associent librement pour travailler. Les marchandises seraient échangées selon une échelle fixe de valeur, sans concurrence ni spéculation[3]. Digeon accepte le jeu électoral jusqu'en 1883, année où il se présente pour la dernière fois, comme candidat anarchiste. Mais il change ensuite d'avis et l'année suivante, dans ses Propos Révolutionnaires, il prône l'abstention. Il rédige même une brochure abstentionniste, intitulée Ne Votons pas !, pour les élections municipales de 1884. Ses brochures sont traduites et diffusées dans plusieurs pays[3]. Sa santé se dégradant, alors qu'il manque de ressources financières, Digeon est hébergé en 1886 chez un parent, Oscar Avrial, à Trèbes, dans l'Aude. C'est là qu'il décéde le [2]. L'enterrement a lieu à Trèbes, en présence de socialistes et de francs-maçons. La seule cérémonie est la lecture de son testament politique, une profession de foi athée, anticléricale, sociale et anarchiste. Comme il l'avait demandé, son corps est enterré dans une fosse commune et non dans le caveau familial. Le , l'hebdomadaire du parti socialiste de Narbonne, La République sociale, publie un numéro entouré de noir qui lui est presque entièrement consacré[3]. Entretemps, Le Figaro du lundi a publié une petite nécrologie[11]. Son épouse Hélène meurt à Palma de Majorque deux ans plus tard, le [2]. Œuvres
Références
Voir aussiBibliographie
Articles connexesLiens externes
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