Le père de Boualem Sansal, Abdelkader Sansal, est issu d'une famille aisée du Rif ayant fui le Maroc pour l'Algérie, et sa mère Khadjidja Benallouche a reçu une éducation et une instruction « à la française »[1]. Boualem Sansal a une formation d'ingénieur de l'École nationale polytechnique d'Alger ainsi qu'un doctorat d'économie.
Il a été enseignant, consultant, chef d'entreprise et haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie algérien. Il est limogé en 2003 pour ses prises de position critiques contre le pouvoir en place particulièrement contre l'arabisation de l'enseignement[2].
Son ami Rachid Mimouni (1945-1995) l'encourage à écrire. Boualem Sansal, bien que grand lecteur, ne se vouait pas à l'écriture. Il commence pourtant à écrire en 1997, alors que la guerre civile algérienne bat son plein. Il cherche à entrer dans l'esprit de ses compatriotes, pour tenter de comprendre puis d'expliquer ce qui a mené à l'impasse politique, sociale et économique de son pays, et à la montée de l'islamisme[3].
« L'Université […], elle enseigne en arabe, ce qui se conçoit, à des étudiants qui ne pratiquent que leur langue et c'est marre[4] : l'algérien, un sabir fait de tamazight, d'un arabe venu d'ailleurs, d'un turc médiéval, d'un français XIXe et d'un soupçon d'anglais new-age[5]. »
Cet ouvrage connaît un très grand succès de librairie : Boualem Sansal est invité au printemps 2000 au festival du premier roman de Chambéry et, en été, au festival « Les Nuits & les Jours » de Querbes. Depuis, il multiplie les rencontres avec ses lecteurs, en France ou en Allemagne.
Son livre Poste restante, Alger, une lettre ouverte à ses compatriotes, est resté censuré dans son pays. Après la sortie de ce pamphlet, il est menacé et insulté[2], mais il décide de rester en Algérie. Il publie Petit éloge de la mémoire, récit épique de l'aventure berbère.
En 2003, Boualem Sansal est rescapé du séisme meurtrier qui a touché sa région à Boumerdès. Après avoir été porté disparu pendant un certain temps, il est retrouvé grâce à un appel lancé par la télévision algérienne.
Son troisième roman, Dis-moi le paradis, publié en France en 2003, est une description de l'Algérie post-coloniale, à travers les portraits de personnages que rencontre le personnage principal, Tarik, lors de son voyage à travers ce pays. Le ton est très critique envers le pouvoir algérien, se moquant de Boumédiène, critiquant ouvertement la corruption à tous les niveaux de l'industrie et de la politique, l'incapacité à gérer le chaos qui a suivi l'indépendance, et attaquant parfois violemment les islamistes. Ce livre est l'une des raisons qui conduisent le pouvoir à limoger l'auteur de son poste au ministère algérien de l'Industrie.
En 2005, s'inspirant de son histoire personnelle, il écrit Harraga[6] (harraga signifie « brûleur de route », surnom que l'on donne à ceux qui partent d'Algérie, souvent en radeau dans des conditions dramatiques, pour tenter de passer en Espagne). Pour la première fois, les personnages principaux sont deux femmes : Lamia, médecin pédiatre qui vit dans la misère à Alger, et Cherifa qu'elle recueille alors que cette dernière est enceinte de cinq mois[7]. Encore une fois, le ton est très critique envers le pouvoir algérien[8] : l'argent du pétrole coule à flots, mais l'argent étant accaparé par une minorité de dirigeants, le peuple est dans la misère et les jeunes vont tenter leur chance ailleurs, pendant que ceux qui ne peuvent pas partir restent dans la misère et la peur.
Son roman Le Village de l'Allemand, sorti en janvier 2008, est censuré en Algérie, car il fait le parallèle entre islamisme et nazisme. Le livre raconte l'histoire du SSHans Schiller, qui fuit en Égypte après la défaite allemande, et se retrouve ensuite à aider l’Armée de libération algérienne, pour finalement devenir un héros de guerre et se retirer dans un petit village perdu[9]. Le livre s'inspire d'un destin réel, découvert par la presse dans les années 1980.
En mars 2008, il choisit de se rendre au Salon du livre de Paris, malgré la polémique soulevée dans le monde arabe quant au choix d'Israël comme invité d'honneur et l'appel au boycott venant des pays arabes et de certains intellectuels[10]. Il s'en explique par la formule :
« Je fais de la littérature, pas la guerre », ajoutant : « La littérature n'est pas juive, arabe ou américaine, elle raconte des histoires qui s'adressent à tout le monde[10]. »
Ce choix aggrave sa situation en Algérie.
En 2011, il publie un livre très personnel, écrit trois mois après la mort de sa mère[11]. Ce nouveau roman, Rue Darwin, est l'histoire d'une famille prise dans la guerre d'Algérie et dont le personnage de Yaz ressemble beaucoup à Sansal ; la rue Darwin est une rue où l'auteur a vécu dans son enfance, à cent mètres de la maison d'Albert Camus[11].
En février 2012, il fait partie du jury de la Berlinale 2012, sous la présidence de Mike Leigh[12] et, en mai de la même année, participe à la troisième édition du Festival international des écrivains à Jérusalem, suscitant de nombreuses critiques dans le monde arabe[13],[14]. Il fait un récit plein d'humour de son voyage[15].
En 2018, il participe à l'écriture d'un ouvrage commun, Le Nouvel Antisémitisme en France, sous la direction de Philippe Val, dans lequel il écrit que le gouvernement français participe « au plan de conquête de la planète par la soumission de ses habitants à l’islam », ce que lui reproche Nicolas Lebourg[16], chercheur et membre à l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès[17].
Il publie une nouvelle fable futuriste et prophétique, Le Train d'Erlingen ou La Métamorphose de Dieu chez Gallimard, réflexion sur les crises migratoires et la montée en puissance de l'islamisme en Europe. Il déclare :
« Oui, l'Europe a peur de l'islamisme, elle est prête à tout lui céder. […] La réalité en boucle n'a pas d'effet sur les gens, en apparence du moins. On l'a vu en Algérie durant la décennie noire : les gens qui, au début, s'émouvaient pour une victime du terrorisme ont fini après quelques mois de carnage par ne ressentir d'émotion que lorsque le nombre des victimes par jour dépassait la centaine, et encore devaient-elles avoir été tuées d'une manière particulièrement horrible. Terrible résultat : plus les islamistes gagnaient de terrain et redoublaient de cruauté, moins les gens réagissaient. L'info tue l'info, l'habitude est un sédatif puissant et la terreur, un paralysant violent[18]. »
En 2011, Boualem Sansal habite près d'Alger, dans la ville de Boumerdès[11].
En 2007, il reçoit le prix Édouard-Glissant[19], destiné à honorer une œuvre artistique marquante de notre temps selon les valeurs poétiques et politiques du philosophe et écrivain Édouard Glissant.
En 2012, il reçoit le prix du roman arabe pour son livre Rue Darwin, avec l'opposition des ambassadeurs arabes qui financent le prix[21],[22]. Il reçoit aussi le prix du roman-news pour ce même roman.
Il obtient en 2015 le Grand prix du roman de l'Académie française pour son roman 2084 : la fin du monde publié chez Gallimard. Ce roman de science-fiction crée un monde fondé sur l'amnésie et la soumission à un dieu unique. Inspiré par 1984 d'Orwell, le pouvoir religieux extrémiste a lancé une nouvelle langue, l'abilang : « L'abilang n'était pas une langue de communication comme les autres puisque les mots qui connectaient les gens passaient par le module de la religion. »
Le 23 avril 2022, il reçoit le Prix Méditerranée pour son roman Abraham ou La cinquième Alliance, troisième écrivain algérien à le recevoir après Tahar Djaout et Kamel Daoud, trois écrivains engagés contre les excès du pouvoir algérien ou de l'islamisme[25].
Le 4 juin 2023, il reçoit le prix de la Licra (fédération de Paris) et, le 15 juin 2023, il reçoit le prix Constantinople à Paris pour l'ensemble de son oeuvre.
Engagements et prises de position
Du 6 au 8 octobre 2012, Boualem Sansal et l'écrivain israélien David Grossman se retrouvent à Strasbourg, avec le soutien du Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe, et lancent « L’appel de Strasbourg pour la paix » dans le cadre du 1er Forum mondial de la démocratie organisé par le Conseil de l’Europe. Près de 200 écrivains venant de cinq continents ont depuis signé cet appel, et se sont déclarés prêts à s’engager pour faire progresser la paix et la démocratie partout dans le monde.
Sansal est connu pour ses propos critiques envers toute forme de religion, et l'islam en particulier :
« La religion me paraît très dangereuse par son côté brutal, totalitaire. L'islam est devenu une loi terrifiante, qui n'édicte que des interdits, bannit le doute, et dont les zélateurs sont de plus en plus violents. Il faudrait qu'il retrouve sa spiritualité, sa force première. Il faut libérer, décoloniser, socialiser l'islam[11]. »
Il met régulièrement en garde contre la progression de l'islamisme, particulièrement en France. À la fondation Varenne, le 13 décembre 2016, il déclare :
« [Les Algériens sont] inquiets parce qu’ils constatent jour après jour, mois après mois, année après année, que la France ne sait toujours pas se déterminer par rapport à l’islamisme : est-ce du lard, est-ce du mouton, est-ce de la religion, est-ce de l’hérésie ? Nommer ces choses, elle ne sait pas, c’est un souci. Pendant ce temps, le boa constrictor islamiste a largement eu le temps de bien s’entortiller, il va tout bientôt l’étouffer pour de bon[26]. »
Il écrit : « La vérité se tient mieux dans le silence[27] » ; ainsi que : « Dieu appartient à qui s'approprie son message[28]. » Et, dans 2084 : la fin du monde : « La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité. »
Sansal est très critique envers les pouvoirs :
« Bouteflika est un autocrate de la pire espèce […] C'est pourtant lui que les grandes démocraties occidentales soutiennent et à leur tête la France de Sarkozy[10]. » Il ajoute : « Je pense souvent à l'exil mais où, chez Bush, chez Sarkozy ? Remplacer un malheur par un autre n'est pas ce qu'on peut appeler une bonne décision[10]. »
Et, dans Dis-moi le paradis, il s'en prend aussi à « la bêtise souveraine » :
« Vinrent les guerres, toutes les guerres, les mouvements de population, les holocaustes, les famines, les déclarations solennelles, les liesses propices aux mensonges, les longues attentes sur le qui-vive, puis les guerres reprirent, les clivages de fer, les vieilles haines ressuscitées, les exils, les exodes, et encore les mots qui blessent, les mots qui tuent, les mots qui nient. Mais toujours, inchangée dans la guerre ou la paix de l'entre-deux, marchant en tête, discourant à perte de vue, pontifiante et grossière : la bêtise souveraine[29]. »
↑ ab et cOuest-France, « Boualem Sansal, le courage et la colère », 3 juillet 2008.
↑Rencontre avec Boualem Sansal à la bibliothèque de Gap, 28 janvier 2009, dont le contenu est retranscrit sur le site Litera05 sous le titre « Rencontre avec Boualem Sansal ».
↑« C’est marre », sur Expressions Francaises, dictons. Définition signification et origines des expressions Françaises, (consulté le ).
↑Désirée Schyns, « Harraga dans la littérature francophone : Boualem Sansal, Tahar Ben Jelloun, Mathias Enard et Marie Ndiaye », in Romanische Studien 3 (2016), online.
↑Cherifa est arrivée chez Lamia sur le conseil du frère de celle-ci, Sofiane, qui est en route pour entrer en Espagne clandestinement.
↑Ce prix récompense les œuvres développant une réflexion sur le métissage et toutes les formes d’émancipation, celle des imaginaires, des langues et des cultures.
↑LeNouvelObs.fr, BibliObs, « Boualem Sansal : le dissident », par Grégoire Leménager, 13 octobre 2011.
↑Ce prix, doté de 20 000 euros, est destiné à « couronner l’œuvre d’une personne physique francophone qui, dans son pays ou à l’échelle internationale, aura contribué de façon éminente au maintien et à l’illustration de la langue française. »
Grand entretien avec Boualem Sansal (à lire et en vidéo), accompagné d'un dossier sur l'écrivain, en ligne sur BibliObs, le site littéraire du Nouvel Observateur