Le fort Saint-Nicolas est un fort surplombant le Vieux port de Marseille. Il a été édifié de 1660 à 1664 par le chevalier de Clerville sur ordre de Louis XIV afin de mater l’esprit d’indépendance de la ville de Marseille.
À cet emplacement se trouvait dès le Moyen Âge une petite chapelle fondée entre 1150 et 1218[2], placée sous le vocable de Saint-Nicolas et dépendant de l’abbaye Saint-Victor. Au pied de cette chapelle, au niveau de l’ouverture la plus étroite entre les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas, le sénéchal de Provence ordonna en 1322 l’aménagement d’une palissade en bois à l’extrémité de laquelle était fixée une chaîne barrant la passe du port. Cette palissade est progressivement renforcée pour former en 1381 deux véritables piles de pont. À cette date la chapelle Saint-Nicolas fit l’objet d’importants travaux avec édification d’un chemin de ronde et d’une muraille allant jusqu’à la chaîne du port[3].
Ce système de défense s’avéra inefficace lors de l’attaque de la ville par le roi Alphonse V d’Aragon le . Débarqués dans une anse voisine, les Aragonais prirent à revers la chapelle et les galères catalanes purent pénétrer dans le port. La ville fut pillée pendant trois jours et les Aragonais emportèrent comme trophée la chaîne du port qui se trouve toujours exposée dans la cathédrale de Valence (Espagne).
En 1591 quatre particuliers Louis Naudet, Gabriel Delassus, Jean Beolan et Antoine Mascaron firent rebâtir la chapelle Saint-Nicolas[4]. Antoine Mascaron était un ami de Charles de Casaulx et fut directeur de la monnaie en 1593. Son fils, Pierre Mascaron fut le premier imprimeur à Marseille en 1596 en éditant le livre de Bellaud de la Bellaudière : « Obros et rimos provenssalos ».
Marseille rebelle
Afin de reprendre en main la gestion de la ville de Marseille, le duc de Mercœur, gouverneur de la Provence, fait nommer consul Lazare de Vento seigneur de la Baume par lettres patentes d’octobre 1657. Les deux autres consuls étaient Boniface Pascal et Joseph Fabre. Sous prétexte de défendre la ville contre les pirates mais surtout pour être agréables à Mercœur, les consuls décident d’armer aux frais de la ville la galère du chevalier de Vendôme, fils du duc de Mercœur. Cette décision provoque une vive opposition à la tête de laquelle figurait Gaspard de Glandevès de Niozelles. Des émeutes agitent la ville ; Niozelles et ses partisans s’emparent de l’hôtel de ville qui est repris par les troupes du gouverneur entrées dans la ville dans la nuit du 18 au . En octobre 1658 les partisans de Niozelles remportent les élections qui sont cassées par le roi. Louis XIV ordonne aux chefs de l’opposition de venir le trouver. L’entrevue a lieu à Paris le , mais ensuite les incidents se multiplient. Henri de Forbin-Maynier, baron d’Oppède, président du parlement de Provence estime que seule une intervention personnelle du roi est indispensable pour soumettre Marseille et propose cette solution à Mazarin. L’occasion est fournie par un grave incident. Gouvernelle, lieutenant des gardes de Mercœur, fut chargé de porter à Niozelles une nouvelle convocation à la Cour. Ce document portant la signature du roi lui est arraché et lacéré. L’intervention du roi devenait inévitable devant une telle rébellion. De la côte basque où il venait de signer le traité des Pyrénées, Louis XIV, accompagné de Mazarin, de la reine mère et de la Cour, se rend à Toulouse, Beaucaire, Tarascon ; il est à Arles le et à Aix-en-Provence le .
La décision de construction d’une citadelle
Le , le roi Louis XIV adressait une lettre au duc de Mercœur, gouverneur de Provence, précisant sa décision d’envoyer des troupes sur Marseille afin d’empêcher la continuation des désordres. Cette lettre était accompagnée d’une instruction qui prescrivait à Mercœur plusieurs obligations dont la construction d’une citadelle « en l’endroit de ladite ville qui sera jugé le plus propre »[5]. Ce projet avait été suggéré à Mazarin par le duc de Mercœur et Henri de Forbin-Maynier, baron d’Oppède. Mazarin envoya à Marseille le célèbre ingénieur militaire, le chevalier Louis Nicolas de Clerville, qu’il avait fait venir exprès de Nancy. Clerville procéda en premier lieu au choix de l’implantation qui devait permettre à la fois la surveillance de la ville mais également sa protection contre une attaque en provenance de la mer. Clerville écarta la colline Saint-Charles car trop éloignée du rivage pour permettre un ravitaillement par mer. Il retint donc l’emplacement actuel, derrière l’abbaye de Saint Victor et dont l’étendue était suffisante « pour y maintenir pour jamais l’autorité du roi » »[6]. Cet emplacement était de plus doté d’une fontaine d’eau douce qui figure sur les anciennes cartes.
Mazarin ne se rangea pas immédiatement à cet avis et envoya à Marseille le maréchal du Plessis-Praslin pour avoir une autre opinion. Celui-ci aurait préféré une implantation à l’endroit où se trouve actuellement le palais du Pharo, mais se rangea ensuite à l’avis du chevalier de Clerville[réf. souhaitée].
Les travaux
Clerville qui était allé à Aix-en-Provence pour faire approuver ses plans par Mazarin, fit commencer les travaux immédiatement en utilisant les matériaux de démolition de la Porte Royale et des murailles avoisinantes constituant les anciens remparts de Marseille. Les pierres du cap Couronne furent également utilisées. Le duc de Mercœur posa la première pierre le sur laquelle on grava « de peur que la fidèle Marseille, trop souvent en proie aux criminelles agitations de quelques séditieux ne perdît enfin la ville et le royaume ou par la fougue des plus hardis ou par une trop grande passion de la liberté et que le roi des Français voulait pourvoir par cette citadelle à la sûreté des grands et du peuple. »[7]. Trois médailles commémoratives furent frappées pour rappeler cet évènement. Le à l’entrée de Louis XIV dans Marseille, le chantier battait son plein.
La construction fut réalisée en un temps record pour un édifice de cette importance. En effet, le haut fort était terminé par le maître maçon Jean Étienne Chieuse en 1663. Les travaux du bas fort, partie située au nord du boulevard Charles Livon et comprise entre le quai Marcel Pagnol et le port de la Réserve, furent interrompus à la mort de Mazarin le ; Le Guette décida de les reprendre le en passant un marché avec sept maçons dont Pierre Puget, cousin germain et homonyme de Pierre Puget sculpteur. Les travaux furent achevés en 1664.
Vauban qui n’a pas été mêlé à la construction de la citadelle, visita le fort et écrivit le une lettre très critique : « J’ai visité la citadelle de Marseille qui est un assemblage fort magnifique de tout ce qui a jamais passé d’extravagant et de ridicule par la tête des plus méchants ingénieurs du monde »[8]. En 1701, Vauban propose des modifications qui ne seront pas réalisées.
Le gouverneur de cette nouvelle citadelle fut contrarié de la proximité du Lazaret qui s’étendait du pied du nouveau fort jusqu’à l’anse des Vieilles Infirmeries, actuellement plage des Catalans. Il demanda le transfert du Lazaret qui fut implanté par la ville près de Saint-Martin d’Arenc. Après la peste de 1720, quelques pêcheurs catalans vinrent exercer dans les environs et s’installèrent dans les locaux désaffectés de l’infirmerie d’où le nom donné au quartier[10].
Les amputations
Durant la Révolution, la présence des forts Saint-Jean et Saint-Nicolas inquiéta la population car certains pensaient que leurs commandants y accumulaient des munitions. Le le conseil général de la commune (équivalent du conseil municipal) se présenta à la porte de la citadelle Saint-Nicolas. Le major de la Roque, commandant du fort, pensant que sa petite troupe, ex-régiment du Vexin allait faire défection, signa un compromis aux termes duquel il laisserait entrer chaque jour autant de gardes nationaux qu’il y avait de soldats de son service.
À la suite de divers incidents, la foule commença le la destruction de la partie Est de ce monument symbole du despotisme, mais l’Assemblée nationale soucieuse de conserver un ouvrage utile à la défense de la ville, ordonna d’arrêter la démolition de la forteresse par décret du . En 1833, le préfet Thomas fait rétablir les parties démolies mais cette restauration a été faite avec des pierres grisâtres de qualité médiocre tranchant nettement avec les parties non détruites faites en pierres roses du cap Couronne.
Afin de relier le Vieux Port au palais du Pharo qui n’était accessible que par le boulevard de la Corderie et l’avenue de la Résidence actuellement avenue Pasteur, la commission municipale vota le l’ouverture d’une voie, actuellement boulevard Charles Livon[11]. Les murs de soutènement de la tranchée réalisée pour le passage de cette nouvelle voie sont en calcaire urgonien blanc tranchant nettement les pierres roses du cap Couronne utilisées pour la construction du fort. La citadelle se trouva ainsi coupée en deux parties indépendantes.
La prison
Le fort reçut, en 1823, à la suite de l’expédition du duc d’Angoulême en Espagne, 569 prisonniers dont le soldat Valdès qui avait été un des organisateurs de la guérilla contre les troupes napoléoniennes après 1808. Le , il servit également de lieu de détention pour les marins du bateau qui avait débarqué le la duchesse de Berry près de Carry-le-Rouet et qui avait été arraisonné par le vapeur « Le Sphinx » près de l’île verte à La Ciotat.
Le fort Saint-Nicolas resta une prison jusqu’à la fin de la dernière guerre.
Parmi les prisonniers célèbres on peut citer :
l’écrivain Jean Giono qui avait été arrêté à Digne le à cause de ses publications pacifistes antérieures, fut emprisonné au fort Saint-Nicolas. Il est libéré à la mi-novembre après la prononciation d’un non-lieu. Dans son roman Noé, l’écrivain rappelle cet épisode de sa vie : « …haut sur l’horizon et murant entièrement tout le fond de la Canebière, le magnifique corps en forme de couronne du fort Saint-Nicolas. Le grand mur du fort qui me fait face se termine vers la gauche par une belle arrête de proue. C’est exactement dans cette proue que j’avais ma cellule en 1939. »[12] ;
La partie située entre le boulevard Charles Livon et la mer est le bas fort qui a pris le nom de fort Ganteaume en hommage à un ancien vice-amiral, préfet maritime, Ganteaume. Il abrite le cercle militaire avec le mess des officiers.
L’autre partie au sud du boulevard est le haut fort qui est également appelé fort d’Entrecasteaux du nom d’un amiral parent du bailli de Suffren, Entrecasteaux. Il est composé de deux enceintes imbriquées. Le haut fort est restauré depuis 2003 par l'association ACTA VISTA sous l'impulsion de son fondateur Arnaud CASTAGNEDE, dans le cadre de chantiers de formation aux métiers du patrimoine. ACTA VISTA y a aménagé en 2005 son siège d'activité. En 2009 ACTA VISTA crée son pôle de formation et d'apprentissage aux métiers du patrimoine bâti ancien et de l'éco-construction, soutenu par l'Union Européenne, ce pôle de formation permet d'embaucher et de former chaque année plus de 350 personnes. Grâce à ses nombreux mécènes, l'association ACTA VISTA a permis la restauration des remparts Est, Nord, et Ouest, (600 ml), de la Demi-lune de Villeroy (Poudriere), de la Demi-lune Dauphine et du Bastion de Beringhen, différents espaces du fort d'Entrecasteaux dédiés à l'apprentissage, la formation, l'insertion professionnelle et la culture des métiers d'art.
L’ancien moulin à vent est devenu depuis 1954 un monument commémoratif des morts de guerre. L’accès s’effectue par une porte située à l’Est.
Depuis le 8 décembre 2021, La Citadelle de Marseille, association Loi 1901 à but non lucratif, membre du Groupe SOS, porte un BEA de 40 ans sur le Fort d’Entrecasteaux, partie haute du Fort Saint-Nicolas, avec deux missions : restaurer le site et l’ouvrir au public[13].
La Citadelle de Marseille a pour ambition de restaurer et transformer ce fort militaire défensif en un lieu de vie, de création et de culture; un tiers-lieu patrimonial de créations et d’innovations : visites guidées, expositions, résidences d'artistes, explorations, spectacles, concerts...
L'association a à cœur de reconnecter les citoyens à leur histoire et leur patrimoine, de les impliquer au côté d’artistes et chercheurs dans cette mise en mouvement, et s'engage à chaque étape dans une démarche durable et inclusive pour réinventer en collectif les usages du patrimoine.
En mai 2024, la citadelle ouvre pour la première fois ses portes au public[14],[15].
↑Marc Bouiron, « Histoire et topographie des monuments de Marseille médiévale », dans Marseille, trames et paysages urbains de Gyptis au roi René, Études massaliètes, Éditions Édisud, 2001 (ISBN2-7449-0250-0), p 265
↑Antoinette Hesnard, Philippe Bernardi et Christian Maurel, « La topographie du port de Marseille de la fondation de la cité à la fin du Moyen Âge », dans Marseille, trames et paysages urbains de Gyptis au roi René, Études massaliètes, Éditions Édisud, 2001 (ISBN2-7449-0250-0), p 170-171
↑Antoine de Ruffi, Histoire de la ville de Marseille, Henri Martel imprimeur libraire, Marseille, 1696, 2 volumes, tome 2, page 178
↑Adolphe Crémieux, Marseille et la royauté pendant la minorité de Louis XIV (1643-1660), Librairie Hachette, Paris 1917, 2 volumes, tome 2 page 802
↑Adolphe Crémieux, Marseille et la royauté pendant la minorité de Louis XIV (1643-1660), Librairie Hachette, Paris 1917, 2 volumes, tome 2 p 810
↑Augustin Fabre, Les rues de Marseille, édition Camoin, Marseille, 1867, 5 volumes, tome 2 p 442
↑Joseph Billoud,Le Fort Saint-Nicolas, revue Marseille, No 30 page 11
Marc Bouiron, Henri Tréziny, Bruno Bizot, Armelle Guilcher, Jean Guyon et Mireille Pagni, Marseille, trames et paysages urbains de Gyptis au roi René : Actes du colloque international d’archéologie: 3-5 novembre 1999, Aix-en-Provence, Édisud, coll. « Études massaliètes, no 7 », , 459 p. (ISBN2-7449-0250-0, BNF38857817)
Georges Reynaud, Pour une étude des Méolan, maîtres-maçons marseillais : les prix faits du fort Saint-Nicolas (1660) et du baignoir (1672), p. 191-208, dans Provence historique, tome 53, fascicule 208, 2002 (lire en ligne)
Nicolas Fauchère, Marseille, 3 forts, 6 rois, p. 56-65, dans Forts du littoral, catalogue d'exposition du Musée des Plans-reliefs, Paris, 1989, repris dans la revue Marseille, no 164, 1992
Henri Ribière, La route des fortifications en Méditerranée., Paris, les Éd. du Huitième jour, coll. « les étoiles de Vauban », , 182 p. (ISBN978-2-914119-69-6, BNF40984317), p. 114-115.