L'adolescence de François Maspero est marquée par l'engagement de sa famille dans la Résistance. Son père, Henri Maspero, sinologue et professeur au Collège de France, est partie prenante de l'un des tout premiers réseaux de résistance, celui du « musée de l'Homme ». Il est arrêté en 1944 et meurt au camp de concentration de Buchenwald. Son frère, Jean Maspero, engagé au sein des étudiants Francs-tireurs et partisans (FTP), est tué au combat en 1944, à l'âge de 19 ans. Sa mère, Hélène Maspero-Clerc est déportée au camp de Ravensbrück mais survit. Elle est autrice d'études sur la Révolution française et du livre Un journaliste contre-révolutionnaire : Jean-Gabriel Peltier.
Abandonnant très tôt des études d'ethnologie, François Maspero commence à travailler dans une librairie située rue Monsieur-le-Prince, À l'escalier[3]. Après y avoir rencontré plusieurs militants révolutionnaires africains tels que Mário de Andrade ou Amílcar Cabral[4], il met à profit un héritage de sa grand-mère pour s'installer libraire, en 1955. Il fait d'abord l'acquisition de la librairie parisienne de L'Escalier, située rue Monsieur-le-Prince. Deux ans plus tard, il décide de déménager dans un local plus spacieux, et reprend une librairie dans le Quartier latin qu'il appelle La Joie de lire, 40 rue Saint-Séverin[5],[6].
Mais :
« Après 1968 La Joie de Lire doit faire face à un péril redoutable et inattendu : le “vol révolutionnaire”, pratiqué en particulier par les situationnistes qui accusent François Maspero d’être “un commerçant de la révolution”. Ces vols seront une des causes de la fermeture de la librairie en 1974. Lorsque la FNAC ouvre ses portes en 1974, La Joie de Lire est la plus importante librairie parisienne. Après les vols de certains groupes gauchistes, c’est l’extrême droite, qui attaquera la librairie à sept reprises entre septembre 1969 et mai 1970[7]. »
La librairie finit par fermer en 1974.
Maspero crée en 1959, en pleine guerre d'Algérie, les Éditions Maspero, engagées à gauche. L'équipe de départ est constituée, outre lui-même, par Marie-Thérèse Maugis, puis Jean-Philippe Bernigaud et Fanchita Gonzalez Batlle, rejoints ensuite par Émile Copfermann. Les éditions publient des livres traitant de la torture et des crimes de guerre en Algérie, et se trouvent confrontées à la censure du pouvoir gaulliste[2]. L'historien Jean-Yves Mollier précise que « l'acharnement policier a coûté cher à un éditeur qui fit l'objet de dix-sept condamnations »[6]. En 1960, il est signataire du Manifeste des 121 titré « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ».
Maspero se consacre à l'édition jusqu'au début des années 1980. En 1978, il fonde la revue L'Alternative, qu'il dirigera jusqu'en 1984, pour donner la parole aux « dissidents » des pays du « socialisme réel ».
En 1982, après une nouvelle période difficile, il décide de passer la main à une nouvelle équipe dirigée par François Gèze. Il démissionne sans indemnités et cède ses parts à ce dernier pour un franc symbolique. À cinquante ans, il quitte ses éditions qui prennent le nom de La Découverte. Il n'aura désormais plus aucune relation avec celles-ci.
À partir de 1984, François Maspero se consacre à l'écriture et publie Le Sourire du chat. Ce roman, qui se déroule de l'été 1944 à l'été 1945, s'appuie largement sur une expérience autobiographique. Le suivant, Le Figuier, couvre la période 1960-1967, évoquant l'ambiance de la guerre d'Algérie et l'engagement dans les mouvements de libération nationale d'Amérique latine.
Les personnages de ses livres de fiction se retrouvent tous dans son livre Le Vol de la mésange, traversée d'un demi-siècle et interrogation sur le sens du témoignage. Sa chronique de la conquête de l'Algérie, L'Honneur de Saint-Arnaud, est publiée à Paris et à Alger. Autre chronique historique, L'Ombre d'une photographe, Gerda Taro, fait revivre la compagne de Robert Capa morte à 27 ans devant Madrid en 1937.
Les Abeilles et la guêpe est plus directement autobiographique. À son sujet, l'historien Jean-Pierre Vernant écrit dans La Traversée des frontières :
« Que les historiens se penchent sur ces pages. Ils y verront à l'œuvre un travail exemplaire — modeste, honnête, rigoureux — pour faire surgir des brumes de la mémoire le socle solide des événements d'autrefois. »
Depuis 1990, François Maspero a rapporté, avec Klavdij Sluban, pour Le Monde, des chroniques de Bosnie (« Les murs de Sarajevo » en 1995, « Retour en Bosnie » en 1998), d'Amérique latine (reportages sur Cuba en 1999, sur les Caraïbes en 2000). On retrouve certains de ces textes, ainsi que ceux sur la Palestine, Gaza, les territoires occupés et Israël, dans Transit & Cie.
En , il publie dans Le Monde un texte de témoignage sur la décennie noire en Algérie[8].
À l'occasion du cinquantenaire de la création des Éditions Maspero est organisée une exposition, « François Maspero et les paysages humains », coréalisée par Bruno Guichard (directeur de la Maison des Passages, Lyon) et Alain Léger (librairie À plus d'un titre, Lyon), et présentée au musée de l'imprimerie de Lyon du au , à la médiathèque André-Malraux à Strasbourg du au [14],[15].
Elle fait aussi l'objet d'une publication sous le même intitulé[16], dont les chapitres vont de « L'homme libre, homme livre » à « Une traversée des œuvres de François Maspero »[17].
« De fait, après avoir très mal vécu et encore plus mal supporté l’enseignement de l’ethnologie de l’époque, j’ai eu, dans ma première librairie, rue Monsieur-le-Prince, l’occasion de rencontrer des lecteurs de Présence africaine, des militants des colonies portugaises, dont Mário de Andrade, Amílcar Cabral, et plus généralement anticolonialistes, et des visiteurs aussi divers que Césaire (alors député), Senghor (alors sénateur) et L. G. Damas. »
↑ a et b« Les tentations de la censure entre l'État et le marché » in Jean-Yves Mollier, Où va le livre ? édition 2007-2008, La Dispute, coll. « États des lieux », 2007, p. 117.
↑François Maspero et les paysages humains, ouvrage collectif sous la direction de Bruno Guichard, Julien Hage et Alain Léger, édité par La fosse aux ours et À plus d'un titre, septembre 2009 (ISBN978-2-35707-006-6).
Chris Marker, On vous parle de Paris : Maspero. Les mots ont un sens, 1970
Yves Campagna, Bruno Guichard et Jean-François Raynaud, François Maspero, les chemins de la liberté, Les Films du Zèbre, 2014 (bande annonce)
frontière intérieure- lecture du quartier de la Goutte d’Or à travers l’oeuvre de François Maspero, documentaire de Claire Ananos (63’ - 2005 - atopic)
Bibliographie
François Maspero et les paysages humains, collectif des éditions À plus d'un titre, La Fosse aux Ours, (ISBN978-2-35707-006-6)
François Dosse, « François Maspero. La joie de lire. 1932 - », Les Hommes de l'ombre. Portraits d'éditeurs, Paris, Perrin, 2014, p. 249-277
Julien Lefort-Favreau, « Le Mai 68 littéraire de François Maspero : L’éditeur comme relais intellectuel », Études françaises, vol. 54, n° 1, 2018, p. 37-58 (lire en ligne).
Sophie Martin, « Maspero / La Découverte », inJacques Julliard, Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français. Les personnes, les lieux, les moments, Paris, Éditions du Seuil, 2009, p. 927-928
"François Maspero, le veilleur intranquille", in Revue A littérature-action, n°16-17, Mars-A éditions, 2023. Dossier coordonné par Guichard Bruno et Julien Hage.