L'inéligibilité en droit français est une peine prononcée par un tribunal interdisant un droit civique, à savoir la possibilité d'être élu.
En dehors des condamnations, il existe d'autres cas prévus par le code électoral (par exemple un préfet ne peut se présenter dans son ressort territorial).
Historique
La peine d'inéligibilité est apparue en droit français en 1992[1].
Jusqu'en 2010, l'article L.7 du code électoral entraînait automatiquement la suppression des listes électorales de personnes condamnées à certains délits ou crimes, conduisant de facto à l'inéligibilité ; elle était alors prononcée pour cinq ans.
Dans son programme pour l'élection présidentielle française de 2012, que remportera l'intéressé, François Hollande (PS) a pour 49e engagement : « Je porterai la durée d'inéligibilité des élus condamnés pour faits de corruption à dix ans[5]. » Une mesure que réclame notamment la section française de l'ONG Transparency International[6]. Le projet de loi relative à la transparence de la vie publique présenté par le gouvernement évoque même une peine d’inéligibilité définitive « en cas d’infraction portant atteinte à la moralité publique, comme la corruption ou le trafic d’influence, la fraude électorale ou la fraude fiscale »[7],[8]. Cette dernière proposition n'est finalement pas retenue dans la loi relative à la transparence de la vie publique, qui porte la peine d'inéligibilité maximale à dix ans[9],[10].
En 2017, les lois pour la confiance dans la vie politique créent des peines complémentaires d'inéligibilité en cas de crime ou de manquement à la probité[9],[11]. Dans un premier temps, l'obligation de détenir un casier judiciaire vierge a été envisagée, puis écartée au raison de risque d'inconstitutionnalité[12]. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel rejette les cas d'apologie ou négation de certains crimes, mais juge que le grief de la méconnaissance du principe d'individualisation des peines est cette fois écarté[13].
En 2024, le sujet de l'inéligibilité a beaucoup occupé l'actualité lorsque, dans le cadre du procès de l'affaire des assistants parlementaires du Front national au Parlement européen, le procureur a requis une peine de 5 ans d'inéligibilité contre Marine Le Pen[14]. En particulier, le fait qu'il soit requis une exécution provisoire — ce qui priverait probablement Marine Le Pen de la capacité de se présenter lors des élections présidentielles de 2027 — a fortement agité les mondes politique, judiciaire, médiatique, universitaire, certains parlant de « procès politique », d'autres de « gouvernement des juges ».
Dans une autre affaire, un élu condamné à une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire tente de faire valoir devant le Conseil constitutionnel au travers d'une question prioritaire de constitutionnalité que l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité est contraire au principe constitutionnel de droit d'éligibilité alors que la sanction n'est pas encore devenue définitive. Le Conseil d'Etat a accepté de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel le [15].
Des élus sont régulièrement condamnés à des peines d'inéligibilité[16],[17]. On peut citer :
Henri Emmanuelli, en 1996, 2 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour recel de trafic d'influence dans l'affaire Urba des financements occultes du Parti socialiste ; Henri Emmanuelli a été réélu député dans les Landes en 2000[18].
Alain Carignon, en 1996, 5 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour corruption dans l'affaire du Dauphiné Libéré[19].
Jean-Marie Le Pen, à plusieurs reprises : en 1997, trois ans d'inéligibilité lors d'une condamnation pour négationnisme[20] ; en 1998, un an d'inéligibilité pour avoir bousculé une conseillère régionale d'Île-de-France[18] ; en 2011, dix ans d'inéligibilité pour propos incitant à la haine raciale envers les musulmans ; certaines de ces peines ont été atténuées ou annulées en appel[20].
Catherine Mégret, en , 2 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour avoir été co-auteure de la délibération réservant l'octroi d'une allocation de naissance aux familles dont l'un des parents était français ou ressortissant de l'Union européenne[21].
Alain Juppé, en 2004, un an d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation en appel pour prise illégale d'intérêts dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris ; Alain Juppé a été réélu maire de Bordeaux en 2006[18].
Michel Gillibert, en , 5 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation par la Cour de justice de la République pour escroquerie[22].
Charles Pasqua, en , 2 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation dans l'affaire de la fondation Hamon[23] ; ce jugement n'a jamais été définitif, Charles Pasqua étant décédé avant que la décision en appel ne soit rendue.
Jean Tiberi, en 2013, 3 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation en appel pour fraude électorale ; peine confirmée en cassation en 2015[18].
Yamina Benguigui, en 2016, un an d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation en appel pour déclaration de patrimoine incomplète à trois reprises[18].
Sylvie Andrieux, en 2017, 5 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour détournement de fonds publics ; le jugement d'appel n'a pas allégé cette partie de la condamnation[20].
Serge Dassault, en 2017, 5 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour blanchiment[18].
Thomas Thévenoud, en 2017, 3 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation en appel pour ne pas avoir déclaré ses revenus ; l'accusé avait plaidé la phobie administrative[18].
Jérôme Cahuzac, en 2018, dans le cadre de sa condamnation pour fraude fiscale et blanchiment d'argent dans l'affaire de son compte bancaire caché à l'étranger ; les effets de la peine ont pris fin en 2023[20].
Léon Bertrand, en 2018, 3 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation en cassation pour corruption passive et favoritisme[18].
Bernard Tapie, à plusieurs reprises : en 1995, 3 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour complicité de corruption et subornation de témoins dans le cadre de l'affaire du match de football truqué OM-Valenciennes[19] ; en 2020, 5 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation dans l'affaire de l'arbitrage Crédit Lyonnais[20].
Patrick Balkany, en 2019, 10 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour fraude fiscale[19]. Patrick Balkany a toutefois annoncé le vouloir demander aux juges de « relever sa peine d'inéligibilité »[25].
Isabelle Balkany, 10 ans d'inéligibilité dans le même cadre de son mari[19] ; la peine a été allégée en 2021[20].
François Fillon, en 2020, 10 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour détournement de fonds publics dans l'affaire des emplois fictifs de son épouse et de ses enfants ; le jugement d'appel n'a pas allégé cette partie de la condamnation[20] ; cette sanction pourra néanmoins être revue lors d'une nouvelle audience en [26].
Penelope Fillon, en 2020, 2 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour détournement de fonds publics dans l'affaire des emplois fictifs la concernant ; cette sanction pourra néanmoins être revue lors d'une nouvelle audience en [26].
Georges Tron, en , 6 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation en appel pour viol et agressions sexuelles ; le pourvoi en cassation a été rejeté[27].
Philippe Martin, en , 3 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation dans une affaire d'emploi fictif[28].
Alfred Marie-Jeanne, en , 2 ans d'inéligibilité (sans exécution provisoire) dans le cadre de sa condamnation pour avoir omis de déclarer une partie de son patrimoine[29].
Alain Griset, en , 3 ans d'inéligibilité avec sursis dans le cadre de sa condamnation en appel pour déclaration incomplète ou mensongère de son patrimoine[30].
Pierre Ménès, en , un an d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour agression sexuelle ; Pierre Ménès s'est réservé la possibilité de faire appel[31].
Michel Mercier, en , 2 ans d'inéligibilité avec sursis dans le cadre de sa condamnation pour détournement de fonds publics dans le cadre de l'affaire des assistants d'eurodéputés du Modem[32].
Jean-Noël Guérini, en , 5 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation en cassation pour abus de confiance, trafic d'influence passif et blanchiment dans le cadre d'une affaire de marchés truqués ; la cour de cassation confirme la peine prononcée en appel en [33].
Xavier Darcos, en , 3 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour prise illégale d'intérêts ; Xavier Darcos reste néanmoins président de l'Institut de France[34].
Gaston Flosse, en , 5 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation en appel pour inscription indue sur une liste électorale par déclaration frauduleuse dans le cadre de l'affaire du faux bail ; sa compagne Pascale Haiti écope dans la même affaire de trois ans d'inéligibilité ; l'appel a confirmé la peine d'inéligibilité prononcée en première instance en 2022 ; un pourvoi en cassation est annoncé[35].
Hubert Falco, en , 5 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation en appel pour manquement à sa probité d'élu[36] ; la demande de pourvoi en cassation formulée par Hubert Falco l'a amené à être débouté[37].
Stéphane Ravier, en , un an d'inéligibilité (sans exécution immédiate) dans le cadre de sa condamnation pour avoir embauché son fils à la mairie de Marseille ; Stéphane Ravier a prévu de faire appel[38].
Jean-Paul Huchon, en : un an d'inéligibilité dans le cadre d'une autre condamnation pour prise illégale d'intérêts[39] ; en , le jugement d'appel avait supprimé la peine complémentaire d'inéligibilité[40] mais confirme les autres condamnations prononcées en dans le cadre de sa condamnation pour prise illégale d'intérêts[41].
Annick Girardin, en , déclarée inéligible pendant un an par le Conseil constitutionnel pour manquement dans ses comptes de campagne[42].
Jean-Christophe Cambadélis, en , 5 ans d'inéligibilité dans le cadre de sa condamnation pour détournement de frais de mandat ; son avocat se réserve la possibilité de faire appel[43].
L'inéligibilité peut être prononcée comme peine complémentaire pour une durée de dix ans au plus à l'encontre d'une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits pour des manquements au devoir de probité, corruption active, trafic d'influence[45].
Le prononcé de la peine complémentaire d'inéligibilité est obligatoire à l'encontre de toute personne coupable d'un crime ou de certains délits :
Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine prévue par le présent article, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur[46].
En cas de fraude électorale, peut être prononcée une peine d'inéligibilité pouvant aller jusqu'à trois ans[47],[3].
↑Graziella Riou Harchaoui, Philippe Pascot, Délits d'élus : 400 politiques aux prises avec la justice, tome 1, Max Milo Éditions, février 2014 (ISBN9782315005444)