« Ceci est l'histoire d'un homme marqué par une image d'enfance. » Enfant, le héros se rend souvent avec ses parents à l'aéroport d'Orly. Un jour, il assiste à un évènement dramatique qui va le marquer, mais qu'il ne comprendra que plus tard. Un homme meurt sous les yeux d'une femme dont il gardera en mémoire les traits. Puis la Troisième Guerre mondiale survient qui détruit toute la surface de la Terre. À Paris, les survivants se réfugient dans les sous-sols.
Le héros, prisonnier dans un camp souterrain sous le palais de Chaillot, est alors le cobaye de scientifiques allemands qui cherchent à l'envoyer dans le passé pour établir un corridor temporel afin de permettre aux hommes d'autres époques de transporter des vivres, des médicaments et des sources d'énergie, en d'autres termes, « appeler le passé et l'avenir au secours du présent ». Il a été choisi en raison de sa très bonne mémoire visuelle et de l'image très forte et prégnante du traumatisme qu'il a connu sur la jetée d'Orly. Ce souvenir empêchera que le transport temporel ne le rende fou.
Renvoyé à plusieurs reprises dans le passé, l'homme retrouve, au Muséum national d'histoire naturelle, dans la grande galerie de l'Évolution et le Jardin des plantes, la femme de ses souvenirs. Au fur et à mesure de ses visites temporelles, il entame une liaison avec elle. Une fois le succès du retour vers le passé confirmé, les scientifiques du camp envoient leur cobaye dans le futur, opération plus délicate. Le héros y rencontre des hommes de l'avenir, qui lui confient un générateur d'énergie susceptible de sauver l'époque d'où il vient. À son retour dans le présent, il sait qu'il doit être liquidé, n'ayant été qu'un outil aux mains des scientifiques. Dans sa cellule apparaissent alors les hommes de l'avenir, qui maîtrisent également le voyage dans le temps et qui lui proposent de les rejoindre et donc de s'échapper du camp. L'homme demande alors à retourner définitivement à l'époque qui précédait la guerre. Il est envoyé à Orly, le jour de son souvenir. Il se précipite pour rejoindre la femme, mais est tué par un des hommes du camp qui le retenait prisonnier. Il comprend alors que le souvenir d'enfance qui l'avait marqué n'était autre que celui de sa propre mort.
Enfant, Chris Marker utilisait un Pathéorama, une visionneuse permettant de projeter des images de films. « Chaque image représentait une scène différente, de sorte que le spectacle s'apparentait plus à une lecture de diapositives qu'à du home cinéma, mais ces scènes étaient des plans magnifiquement reproduits, de films célèbres, Chaplin, Ben-Hur, le Napoléon d'Abel Gance…[9] » L'enfant s'amuse alors à joindre à ses images des photos personnelles. Il s'agit peut-être là d'une source d'inspiration pour La Jetée[10].
La Jetée a été inspiré par Sueurs froides (Vertigo) d'Alfred Hitchcock[10],[11]. Plusieurs séquences y font explicitement référence, notamment celle du tronc d'arbre symbolisant le Temps. Terry Gilliam est encore plus démonstratif dans L'Armée des douze singes : la scène originale de Vertigo est projetée lorsque James Cole et le Dr Kathryn Railly se cachent dans un cinéma.
Réalisation
Le film est composé presque uniquement de photographies, à l'exception d'un seul plan, le temps de quelques battements de paupières de l'actrice Hélène Châtelain[12]. Cette séquence filmée, d'une durée de cinq secondes, intervient à la dix-huitième minute. De plus, une unique copie du film, conservée à la Cinémathèque royale de Belgique (dont le conservateur a été jusqu'en 1988 Jacques Ledoux, l'un des acteurs du film), contient un autre plan en mouvement, juste avant le générique[13].
Par ailleurs, certaines images sont si rapprochées dans le temps qu'elles donnent une impression d'un ralenti cinématographique.
La Jetée a été la principale inspiration du film L'Armée des douze singes de Terry Gilliam sorti en 1995, lequel tire les éléments principaux de sa trame scénaristique du moyen-métrage de Chris Marker[15], qui a aussi donné une série, 12 Monkeys.
Un bar à Tokyo a été nommé « La Jetée », en hommage à Chris Marker. On le voit quelques secondes dans Sans soleil, un autre de film de Chris Marker, ainsi que dans le film Tokyo-Ga de Wim Wenders : Chris Marker y est présent, en train de tourner Sans soleil, mais se cache derrière un dessin de chat. Joseph Losey l'a également filmé dans La Truite, une séquence dans laquelle figure Isabelle Huppert.
En 1989, le clip de la chanson Dancerama de Sigue Sigue Sputnik est inspiré de La Jetée[16].
En 1992, Zone Books fait paraître aux États-Unis une version livre du ciné-roman de La Jetée. Cet ouvrage est réimprimé en 2008 et distribué par MIT Press[17]. En 2008 également, les éditions Kargo et L'Éclat font de même en France[18].
En 1993, le clip de la chanson Jump They Say de David Bowie contient une scène où Bowie incarne le héros de La Jetée lors de l'expérience du voyage dans le temps[19].
En 2003, Jean Négroni, narrateur de La Jetée, interprète pour Arte radio une création sonore mélangeant le texte du film avec celui de Je me souviens de Georges Perec[21].
En , le label de musique tchèque Ground Floor Records distribue gratuitement un EP homonyme inspiré du film de Chris Marker réalisé par deux de ses artistes, Son of a Bricklayer et Shitao[22],[23].
En 2009, le groupe Odezenne rend hommage au court-métrage dans son titre Tic tac paru sur l'album Sans chantilly[24].
↑Les premiers mots du générique sont : « Argos film présente, avec la participation du Service de la Recherche de la R. T. F. » Toutefois, de manière imperceptible lors d'une vision normale, le mot « Recherche » est remplacé pendant une fraction de seconde par le mot « Trouvaille » (voir Dubois 2002, p. 15 et Darke 2016, p. 27).
↑Dubois 2002 citant, p. 32 (note 34), Peter Wollen, « Feu et glace », Photographies, no 4, , p. 17–21, et (de) Christa Blumlinger, « La Jetée : Nachhall eines Symptom-Films », CICIM, Institut français de Munich, nos 44–46 « Chris Marker, Filmessayist », , p. 65–72. Dubois souligne toutefois (note 35) que c'est un motif commun, à la fois de la photographie de guerre et des fictions d'action.
↑(en) Bodil Marie Stavning Thomsen, « The Performative Uses of the Surveillance Archive in Manu Luksch's Works », dans Gunhild Borggreen (dir.) et Rune Gade (dir.), Performing Archives/Archives of Performance, Copenhague, Museum Tusculanum Press et Université de Copenhague, coll. « In Between States » (no 1), (ISBN978-87-635-3750-6), p. 257–276 (274).
Carolina Ferrer, « L'évolution de la fin : De “La Jetée” à “12 Monkeys” », Cinémas, vol. 13, no 3 « Imaginaire de la fin », , p. 53–77 (DOI10.7202/008707ar).
Sophie Lecole-Solnychkine et Arnaud Despax, « Excroissances du séquoïa de Vertigo dans La Jetée et L'Armée des 12 singes », Entrelacs, no 6, , p. 59-69 (lire en ligne).
Nicolas Schmidt, « À contretemps... La Jetée (1962) », Éclipses, no 40 « Chris Marker. Voyages en [immémoire] », , p. 68–75 (HALhalshs-01240071).
Michel Chion, Le complexe de Cyrano : La langue parlée dans les films français, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Essais », , 192 p. (ISBN978-2-86642-515-9), chap. XII (« La Jetée, 1962, de Chris Marker »), p. 75–80.
(en) Carol Mavor, chap. 2 « “A” is for Alice, for Amnesia, for Anamnesis: A Fairy Tale (Almost Blue) Called La Jetée », dans Black and Blue : The Bruising Passion of “Camera Lucida”, “La Jetée”, “Sans soleil”, and “Hiroshima mon amour”, Durham/Londres, Duke University Press, , 193 p. (ISBN978-0-8223-5252-5 et 978-0-8223-5271-6, présentation en ligne), p. 53.
Vincent Baticle, « Ceci est l'histoire d'un art marqué par les images d'un film : Itinéraires cinématographiques de La Jetée », L'Avant-scène cinéma, no 606 « Spécial Chris Marker », , p. 18–22.
Bernard Leconte, Approche d'un film mythique : “La Jetée”, Chris Marker, 1963, Paris/Budapest/Torino, L'Harmattan, coll. « De visu », , 114 p. (ISBN2-7475-8465-8, lire en ligne).
(es) Antònia Escandell Tur, Chris Marker y “La jetée” : La fotografía después del cine, Saragosse, Jekyll & Jill, , 187 p. (ISBN978-84-938950-9-9).
(en) Margarida Medeiros (dir.), Teresa Mendes Flores (dir.) et Joana Cunha Leal (dir.), Photography and Cinema : 50 Years of Chris Marker's “La Jetée”, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, , 326 p. (ISBN978-1-4438-7201-0).