La zone d'oïl, domaine du poitevin-saintongeais, est elle-même partagée entre une grande zone linguistiquement saintongeaise et une petite zone linguistiquement poitevine[N 2].
Le saintongeais concerne la zone ouest et sud, bien plus étendue (qui comprend Chalais, Barbezieux, Angoulême, Jarnac, Cognac). Le patois charentais est une appellation à laquelle certains sont attachés, pour désigner le saintongeais. Il donne lieu à une importante production littéraire et artistique, les derniers en date étant les Binuchards et leur rock charentais.
Le poitevin qui concerne la petite zone nord-ouest, (qui comprend la majeure partie du Ruffécois[N 3] : cantons de Villefagnan[N 4], Ruffec, ouest de celui de Mansle, nord de celui d'Aigre; plus le petit secteur d'oïl de la bordure ouest du Confolentais : Le Bouchage, et Pleuville[N 5] - en partie -).
Le patois charentais est une appellation à laquelle certains sont attachés pour désigner, ici aussi, le poitevin de ce secteur.
La limite avec le saintongeais est assez graduelle, mais on considère qu'elle se situe à la forêt de la Boixe, puis au sud d'Aigre (ancienne forêt d'Argenson), pour se diriger vers l'ouest au nord de Matha[1].
On parle parfois de Charente périgourdine et de Charente limousine (Charanta Lemosina) ou plus exactement de Charente occitane (Charanta Occitana). En fait la Charente occitane inclut la Charente limousine, située plus au nord-est du département autour de Confolens, ainsi que la bordure Est de l'Angoumois et une frange sud-est du département en limite de la Dordogne. Cette zone se situe donc à la frontière nord-ouest de l'Occitanie.
Même si la limite dialectale est à 10 km à l'est, la commune de Saint-Eutrope, à l'ouest de Montmoreau, a été signalée comme avoir la particularité d'être une petite enclave occitane en langue d'oïl[4],[5].
La limite détaillée par l'abbé Michon ci-dessus a été réétudiée plus finement quelques années plus tard, en 1873, par Charles de Tourtoulon et Olivier Bringuier, diligentés par la Société pour l'étude des langues romanes dépendant du ministère de l'instruction publique, des cultes et des beaux-arts[2].
La limite linguistique s'est avérée à peu près la même, mais a été nuancée dans la partie nord. En effet, cette nouvelle étude a tenu compte d'une zone intermédiaire, croissant linguistique entre les langues d'oc et d'oil, appelée le domaine du marchois, dont la pointe sud-ouest se situe près de La Rochefoucauld et va en s'élargissant vers le nord vers Saint-Claud et Champagne-Mouton, plus précisément entre les zones du poitevin et du limousin.
D'autre part, l'abbé Michon était passé à côté d'une excroissance de ce parler marchois qui allait à l'ouest jusqu'à Nanclars et Saint-Sulpice-de-Ruffec, nez qui formait un cap entre les parlers saintongeais ou sud-ouest et poitevin au nord[6].
La carte de Tourtoulon et Bringuier distingue plusieurs zones dans le croissant marchois, en particulier oil à dominantes oc (zone B, avec variantes B1 et B2), et oc à dominantes oil (zone A, avec variantes A1,A2,A3). Ce parler marchois est un véritable parler hybride, comme le nord-occitan mais à une échelle plus petite.
La limite oc-oil n'est donc pas tranchée au nord de La Rochefoucauld du fait de ce croissant, mais on peut admettre qu'elle se situe entre les zones A et B du marchois. Cette limite passe donc, au nord-ouest de La Rochefoucauld, entre Jauldes (oil, saintongeais) et La Rochette (A), entoure Sainte-Colombe, Saint-Angeau, Saint-Amant-de-Bonnieure, Valence et Ventouse (B) pour former une pointe concernant Coulgens, Nanclars, Saint-Ciers (le Châtelard), Puyréaux (en partie), Mouton (en partie), Couture (en partie), oc à dominantes oil (A). En allant vers le nord, cette limite sépare dorénavant le poitevin du marchois. Elle passe à l'est d'Artenac, passe à La Tâche, entre Ventouse et Cellefrouin, à Beaulieu, entre Chassiecq (zone mixte) et Parzac, à Turgon, Champagne-Mouton en partie, Saint-Coutant, Épenède. Pleuville, Benest sont en zone marchoise, mais à grande dominante d'oil (B).
D'après des études du XXe siècle, ce promontoire aurait été plus pointu vers l'ouest et englobait encore Villejoubert et Saint-Amant-de-Boixe en 1913[7]. Mais il se serait complètement résorbé au fil du XXe siècle et Coulgens serait maintenant en zone d'oil, ainsi que Nanclars, Villejoubert, Aussac, Saint-Ciers, etc. (La Rochette reste dans le domaine marchois)[8].
À noter aussi que le parler occitan du Sud Charente est en fait un parler hybride, comme le marchois, et les douze communes concernées (Les Essards, Pillac, Montignac-le-Coq, Bonnes, Saint-Martial, Saint-Séverin, Aubeterre, Nabinaud, Laprade, Saint-Romain), et deux communes en Dordogne (Chenaud et Puymangou) appelaient leur langue l'angoumoisin, « et le distinguent du saintongeois en usage à l'ouest de cette région, aussi bien que du périgourdin, ou comme on dit dans le pays, du périgord parlé à l'est. ». Plus au nord, Palluaud et Salles-Lavalette sont dans le dialecte limousin. La commune de Juillaguet forme aussi une petite enclave de ce parler mixte[9].
Il est possible que ce qu'on appelle marchois au nord d'Angoulême à Coulgens et l'angoumoisin au sud soient le même dialecte, vestige du parler local avant l'avancée de la langue d'oil, langage qu'a évoqué Corlieu[N 6],[10] et dont l'abbé Michon a trouvé des traces dans les archives d'Angoulême[11]. On est en effet géographiquement loin de la Marche historique qui débute à Confolens.
L'étude de la toponymie et l'histoire montrent que la limite oil-oc a fluctué.
La totalité du département de la Charente était occitane avant le XIIe siècle et encore dans une grande partie avant le XVe siècle. La guerre de Cent Ans a ravagé l'Angoumois qui était en possession des Anglais, comme toute la Guyenne. Les repeuplements principalement pour la remise en valeur de ces terres agricoles par des colons venus du nord de la France (Angevins, Poitevins, Bretons) jusqu'à Blaye et Coutras a créé une avancée de la langue d'oil dans ces contrées, sur une façade ouest plus facilement accessible.
↑Paul Dyvorne - écrivain saintongeais né à Cozes : « Dans le Confolentais, c’est le patois limousin que parlent les paysans; à l’est d’Angoulême, c’est celui du Périgord; à Ruffec, celui du Poitou. Dans l’Angoumois du sud, vers Cognac et Barbezieux, l’idiome saintongeais est seul en faveur » (Paul Dyvorne, Folklore saintongeais, 1935, p. 44). + La linguiste Brigitte Horiot en 1995, qui rattache implicitement le Ruffécois au domaine poitevin lorsqu’elle remarque que la description lexicale du domaine de l’ALO (Atlas Linguistique de l’Ouest : Poitou, Aunis, Saintonge, Angoumois) montre qu’« il est possible de retrouver une situation déjà observée au cours de l’étude phonétique : le département des Deux-Sèvres (mis à part le nord), le sud-est de la Vendée, le sud-ouest de la Vienne et le nord-ouest de la Charente [Ruffécois] ont tendance à former une aire originale dans l’ensemble de l’ALO ». (Brigitte Horiot, Les parlers du Sud-Ouest, dans : Français de France et Français du Canada : Les parlers de l’Ouest de la France, du Québec et de l’Acadie, Centre d’Études Linguistiques Jacques Goudet, Université Lyon III, 1995). + Cette bi-partition de la zone d'oïl se retrouve d'ailleurs dans d'autres cadres que strictement linguistiques comme nous le dit Léo Ganachaud (d'Ambérac) : « La région de Ruffec a plutôt les coutumes poitevines que charentaises, et là, pas de bons repas sans qu’au dessert arrive le tourteau fromageou. » (Léo Ganachaud, Lée Bitons chérentais : Ambérac, mon pays !, 1949).
↑Jean Baptiste 1/2 (cité comme « Ruffécois » par Raymond Doussinet (Raymond Doussinet, Grammaire saintongeaise, 1971, p. 426), Une rigolade : conte en patois poitevin, 1897. La mention "patois poitevin" du titre est explicite quant au caractère linguistiquement poitevin de cette œuvre ruffécoise de Jean Baptiste 1/2.
↑Marius Gagnère (originaire de la Magdeleine dans le canton de Villefagnan en Ruffécois), Avant que le temps ne l’emporte… récits en patois poitevin, 1987.
↑Jean-François Migaud (originaire de Pleuville, commune de la bordure d'oïl du Confolentais), dont les écrits sont présentés, dans le journal Le Subiet dans les années 1980, comme étant en "poitevin méridional". On retrouve cette mention "poitevin méridional" par exemple dans ces deux œuvres de Jean-François Migaud : Que l’bon Dieu nous eûy’de !!! (dans Le Subiet de novembre-décembre 1985) ; Saint-Piarre et la Chabre (dans Le Subiet de novembre-décembre 1989).
↑« C'est la derniere des contrées de la France, du costé de la Guiene ou l'on parle françois, ayans les nations plus lointaines chacune son idiome particulier, combien que le vieil langage engomoisin ne fust pas pur françois, mais eust retenu beaucoup de termes des langues voisines, principalement du Lymosin. »
↑La langue occitane, Pierre Bec, coll. « Que sais-je ? », p. 11 : « Le village de St-Eutrope enfin (départ. Charente, entre Ribérac et Angoulême) forme une enclave limousine en domaine français. »
↑Une colonie limousine en Saintonge, Saint-Eutrope, par Anatole Boucherie (éd. Maisonneuve, 1876)
Adolphe-Louis Terracher, Les aires morphologiques dans les parlers du nord-ouest de l'Angoumois, Université de Paris, Thèse pour le doctorat ès lettres,
Jacques Faury, Le parler Charentocien, ou Le limousin de la Charente, Romorantin, CPE, , 160 p. (ISBN978-2-84503-985-8)