À la suite de la publication, en , d'un papyrus d'Oxyrhynque, la création des Suppliantes est désormais située entre et [1], bien que certaines sources mentionnent une date plus ancienne telle que 490 av. J-C[2].
Les Suppliantes est la première pièce d'une tétralogie comprenant les Égyptiens, les Danaïdes et le drame satyriqueAmymoné[3]. Il n'est pas exclu qu'il s'agisse de la reprise d'une pièce plus ancienne[1].
Le texte des Suppliantes ne nous a été transmis que par un unique manuscrit daté du Xe siècle et aujourd'hui conservé à la bibliothèque Laurentienne : le Laurentianus 32, 9, dit le Mediceus et noté M[5]. Cinq autres manuscrits contiennent les Suppliantes : datés du XIVe au XVIe siècle, ils semblent n'être que des copies — directes ou indirectes — du manuscrit M dont ils permettent de corriger certaines erreurs[6].
Controverses autour de la pièce au XXIe siècle
Cette pièce devait être représentée dans l'amphithéâtre Richelieu, à la Sorbonne, le lundi 25 mars 2019, dans une mise en scène de Philippe Brunet, professeur de grec ancien à l'université de Rouen et directeur de la compagnie de théâtre Démodocos. Sa représentation a été empêchée par des associations étudiantes[7],[8]. L’accès des spectateurs à la salle a été bloqué. Le motif en était que les acteurs avaient été vus grimés en noir dans une précédente représentation[9], faisant ainsi valoir une accusation de blackface de la part d'associations, parmi lesquelles la Ligue de défense noire africaine (LDNA), la Brigade anti-négrophobie, et le Conseil représentatif des associations noires (CRAN).
La présidence de l'université a dénoncé cette censure, déclarant : « Empêcher, par la force et l'injure, la représentation d'une pièce de théâtre est une atteinte très grave et totalement injustifiée, à la liberté de création... Les accusations de racisme ou de racialisme sont révélatrices d'une incompréhension totale ». Par ailleurs Philippe Brunet s'est expliqué sur sa page Facebook : « Désolé d'avoir heurté ou blessé quelqu'un si je l'ai fait. (…) En mettant en scène la pièce des Suppliantes d'Eschyle, avec son texte, et rien que son texte, je dois mettre en place une opposition entre des Grecs d'Argos, supposés plus ou moins blancs, et les Danaïdes, venues d'Égypte, à la peau noire et au costume bariolé. ». Cette censure a suscité un vif émoi dans la presse[10].
La pièce s'est jouée deux mois plus tard avec des masques symbolisant les personnages[11], conformément à la grande tradition du théâtre antique. Ici des masques argentés pour signifier les Argiens (des Grecs) et des masques dorés pour signifier les filles de Danaos (les Danaïdes de la légende, venues d'Égypte).
Les trois personnages sont Danaos, Pélasgos et un héraut[13]. Deux acteurs suffisent pour interpréter ces trois rôles[13].
Le roi d'Argos se présente d'abord comme le fils de Palaichtôn[14] (Παλαίχθων)[15],[N 2]. Lui-même se nomme ensuite Pélasgos[14] (Πελασγός)[15] avant de préciser qu'il est l'éponyme[15] des Pélasges. Il se donne le titre d'archégète (ἀρχηγέτης)[15].
L'ouverture de la tragédie par la parodos chorale au lieu d'un prologue dialogué n'est plus une trace d'archaïsme ; elle correspond à une intention dramatique délibérée. Dans Les Perses, l'introduction chorale crée l'atmosphère. Dans Les Suppliantes le chœur est le personnage principal : il est formé des Danaïdes, héroïnes légendaires dont l'image s'est modifiée au cours des siècles et des œuvres, et recouvre sans doute des symboles fort divers : nymphes hydrophores ou guerrières intrépides ; bienfaisantes, puis épouses criminelles. Ce caractère composite se trahit peut-être dans la tragédie où elles font tantôt figure d'Amazones farouches, tantôt de « colombes timides poursuivies par un épervier cruel ».
La légende telle que l'a mise en scène Eschyle se rattache à celle d'Io, reprise dans le Prométhée du même auteur : Danaos est le descendant à la troisième génération d'Épaphos, fils d'Io, né en Égypte après que sa mère a repris forme humaine. Danaos, selon la tradition, régnait en Libye, son frère Égyptos sur l'Égypte. Égyptos avait cinquante fils qui devaient épouser les filles de Danaos mais celles-ci, redoutant ce mariage, s'enfuirent avec leur père. Au moment où s'ouvre la tragédie des Suppliantes, elles abordent au pays d'Argos, berceau de leur race, et demandent l'hospitalité et la protection du roi du pays, qu'Eschyle nomme Pélasge, contre les Égyptiades qui les poursuivent. Le roi, après avoir consulté son peuple, y consent et repousse la demande d'extradition brutalement présentée par un héraut égyptien. La tragédie s'achève sur l'hymne de reconnaissance des Danaïdes, malgré la menace de guerre qui plane sur le pays.
L'histoire se poursuit dans Les Égyptiens, Les Danaïdes puis le drame satyrique d'Amymone.
Adaptations et mises en scène notables
En 2019 en France, la troupe de Théâtre Le Tiroir de Laval (Mayenne), dirigée par Jean-Luc Bansard met en scène la pièce avec des acteurs professionnels et des migrants bénévoles[22].
↑Leur nombre est déduit du qualificatif d'Egyptos « père de cinquante enfants »[12].
↑Le grec ancien παλαίχθων est un adjectif[16]. Sa plus ancienne occurrence connue se trouve chez Eschyle lui-même qui, dans les Sept contre Thèbes, l'emploie comme épithète d'Arès[16],[17]. Les deux autres occurrences connues de l'adjectif sont une inscription citée par Eschine dans son Contre Ctésiphon[18],[19] et une épigramme à Héraclès Sôter[20]. Dans les Suppliantes, Eschyle donne le seul emploi connu de Παλαίχθων comme nom propre[16].
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
[Alaux 2001] Jean Alaux, « La caresse divine et le rapt masculin : représentations du féminin dans les Suppliantes d'Eschyle », L'Information littéraire, vol. 53, no 2, , p. 10-20 (OCLC210087218, lire en ligne).
[Bonnard 2004] Jean-Baptiste Bonnard, Le complexe de Zeus : représentations de la paternité en Grèce ancienne (texte remanié de la thèse de doctorat en histoire, préparée sous la direction de Christian Le Roy, soutenue en à l'université Paris-I – Panthéon-Sorbonne, sous le titre La représentation du père dans la cité : contribution à l'étude de l'imaginaire en Grèce archaïque), Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Histoire ancienne et médiévale » (no 76), , 1re éd., 1 vol., 254, ill., 16 × 24 cm (ISBN2-85944-508-0, EAN9782859445089, OCLC470448624, BNF39264663, DOI10.4000/books.psorbonne.13278, SUDOC082337047, présentation en ligne, lire en ligne).