Sans renier son amitié pour ses compagnons de plume, il s'éloigne progressivement du milieu de l'Action française qu'il juge « nationaliste autoritaire » alors que lui se définit comme « traditionaliste » et sensible au « modèle anarchique et royal du XVIe siècle ». Il publie par la suite plusieurs articles dans des journaux dirigés par son ami Pierre Boutang : Paroles françaises et La Nation française.
Difficile reconnaissance du statut d'historien
Après deux échecs successifs à l'oral de l'agrégation d'histoire, il entre à l'Institut des fruits et agrumes coloniaux en 1943. Chef du service de documentation, il s'occupe, selon ses propres mots, « d'importation de fruits tropicaux » et se distingue, dans ce poste qu'il quitte en 1979, en développant des techniques de documentation avec un sens évident de l'innovation technique, notamment en prônant un usage pionnier en France du microfilm (1956) et de l'informatique (1965). Durant cette période, il est également directeur de collection aux éditions Plon.
En parallèle de ces occupations professionnelles, Ariès, que son origine familiale aurait pu pousser à suivre la voie d'un Jacques Bainville ou d'un Pierre Gaxotte et publier des études « grand public », choisit un tout autre chemin. L'inspiration qui sous-tend ses recherches se rattache incontestablement à l'École des Annales, milieu pourtant dominé par la tradition laïque et républicaine.
Dès 1948, dans l'anonymat le plus complet, il publie sa première étude, L'Histoire des populations françaises et leurs attitudes devant la vie depuis le XVIIIe siècle qui marque, en dépit de ses insuffisances statistiques, la naissance des recherches de démographie historique débouchant sur une tentative d'analyse des mentalités des anciennes sociétés.
Son second livre, L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime[5] en 1960, reçoit un accueil tout aussi discret. Cependant, traduit en anglais, l'ouvrage rencontre un très grand succès aux États-Unis – séduits par cette étude novatrice sur la famille – ce qui assure à son auteur une audience internationale paradoxale puisque la France le découvre à peine[4].
Philippe Ariès devra attendre l'âge de soixante-quatre ans pour obtenir une reconnaissance de son statut d'historien par le milieu universitaire français, avec son élection en 1978 à l'EHESS en tant que directeur d'études[4], sans pouvoir enseigner plus d'une année, puisqu'il atteignait l'âge de la retraite.
Il publie la même année son dernier grand livre, L'Homme devant la mort, œuvre longuement mûrie en pleine effervescence d'histoire tératologique. Ariès enjambe les frontières chronologiques pour tenter de saisir les attitudes occidentales devant la mort, de la fin du monde romain au XIXe siècle.
On[Qui ?] reproche à Philippe Ariès la disparité de ses sources. Il répond à ces critiques par la nécessité qui fut la sienne de consacrer à ses recherches ses rares moments de loisirs.
Apport à l'histoire des mentalités
Innovations techniques documentaires
Il innove dans les techniques documentaires à l'Institut des fruits et agrumes coloniaux[4] en 1943 où il travailla comme chef du service de documentation jusque 1979, développant des techniques de documentation innovantes : usage pionnier en France du microfilm (1956) et de l'informatique (1965).
« Historien du dimanche »
Philippe Ariès occupe une position atypique dans le paysage intellectuel français. « Historien du dimanche » comme il aimait à se présenter[4], il se prend d'abord de passion pour la démographie historique, discipline au sein de laquelle il peut mettre à profit ses méthodes novatrices de traitement.
Il se consacre dans un second temps à l'histoire des mentalités dont il devient le principal représentant.
Il contribue également, de manière non négligeable, à donner ses lettres de noblesse à l'usage de l'iconographie en histoire.
La théorie d'Ariès sur l'enfance montre comment la société évolue parce que les mentalités évoluent. Sa thèse repose sur deux idées : l'attachement des parents pour leurs enfants est né réellement avec le contrôle des naissances et la baisse de la fécondité, soit à partir de la fin du XVIIIe siècle ; avant l'enfant n'est qu'un adulte en devenir et la forte mortalité empêche une attention maternelle et paternelle trop importante.
Cette thèse a cependant fait l'objet de nombreuses critiques de la part des historiens. Dans sa préface de 1973, Philippe Ariès avait déjà nuancé son propos en indiquant qu'il avait trop insisté sur l'idée d'une rupture radicale à la fin du siècle des Lumières. Plus généralement, les recherches menées depuis ont permis de conclure que, durant l'époque médiévale, il existait bel et bien une reconnaissance de la spécificité de l'enfance et un grand attachement des parents pour leurs enfants[8]. L'historien médiéviste britannique Nicholas Orme va jusqu'à écrire, dans l'introduction de son ouvrage Medieval Children (2001) : « Les conceptions d'Ariès étaient erronées ; pas simplement dans le détail mais dans leur essence. Il est temps de les enterrer ». Cependant, cette critique radicale a récemment été reconsidérée. L'historien Guillaume Gros propose de réhabiliter Philippe Ariès en soutenant que sa thèse n'est pas si infondée qu'on le dit.
Philippe Ariès étudie ensuite le sentiment de la population face à la mort à travers l'histoire, y voyant un pilier de la construction de la société. L'historien, issu des rangs de l’Action française, qui dénonce le déclin démographique de la France comme source des malheurs, montre comment la mort est passée du lieu commun au tabou entre le Moyen Âge et la période contemporaine. Il distingue, dans L’Homme devant la mort[9], deux types de rapport de l'homme avec la mort : la mort apprivoisée et la mort sauvage.
Publications
Les Traditions sociales dans les pays de France, New-York, Éditions de la Nouvelle France, 1943.
Histoire des populations françaises et de leurs attitudes devant la vie depuis le XVIIIe siècle, Paris, Self, 1948.
Attitudes devant la vie et devant la mort du XVIIe au XIXe siècle, quelques aspects de leurs variations, Paris, INED, 1949.
Sur les origines de la contraception en France, extrait de Population. N ̊ 3, juillet-, p. 465-472.
Le Temps de l'histoire, Monaco, Éditions du Rocher,
2 contributions à l'histoire des pratiques contraceptives, extrait de Population. N ̊ 4, octobre-, p. 683-698
Histoire des populations françaises et de leurs attitudes devant la vie depuis le XVIIIe siècle, réédition corrigée de l'ouvrage paru en 1948, Paris, Seuil, 1979
Un historien du dimanche (en collaboration avec Michel Winock), Paris, Seuil, 1980
Images de l'homme devant la mort, Paris, Seuil, 1983
Histoire de la vie privée, (dir. avec Georges Duby), 5 tomes, Paris, Seuil, 1985-1987
I. De l'Empire romain à l'an mil
II. De l'Europe féodale à la Renaissance
III. De la Renaissance aux Lumières
IV. De la Révolution à la Grande Guerre
V. De la Première Guerre mondiale à nos jours
Essais de mémoire : 1943-1983, Paris, Seuil, 1993
Le Présent quotidien, 1955-1966 (Recueil de textes parus dans La Nation française entre 1955 et 1966), Paris, Seuil, 1997
Histoire de la vie privée, (dir. avec Georges Duby), Paris, le Grand livre du mois, 2001
Guillaume Gros, Philippe Ariès : Un traditionaliste non conformiste : De l'Action française à l'École des hautes études en sciences sociales, 1914-1984, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », Villeneuve-d'Ascq, 2008, 346 p., (ISBN978-2-7574-0041-8). – Ouvrage basé sur le texte, remanié, d'une thèse de doctorat en histoire, soutenue en 2002 devant l'Institut d'études politiques de Paris.
(en) Patrick H. Hutton, « Philippe Ariès (1914-1984) », dans Philip Daileader et Philip Whalen (dir.), French Historians, 1900-2000 : New Historical Writing in Twentieth-Century France, Chichester / Malden (Massachusetts), Wiley-Blackwell, , XXX-610 p. (ISBN978-1-4051-9867-7, présentation en ligne), p. 11-22.
François Lebrun "Philippe Ariès" dans Les historiens, dir. Véronique Sales, Paris, Armand Colin, 2003, (ISBN2-200-26286-8), p. 193-209.
Guillaume Cuchet, « Le phénomène Philippe Ariès », Annales de démographie historique, no 140, , p. 227 à 249 (lire en ligne)
Jean-François Bascans, Regard sur Saman, Revue de Comminges, 1987-1 (dédié à la mémoire de Philippe Ariès).
↑Jacques Bonnet, « Un humaniste en liberté », sur lexpress.fr, (consulté le ) : « Le recueil de textes que voici comporte, notamment, un très bel article sur les origines créoles de l'auteur («Saint-Pierre ou la Douceur de vivre»). La tradition royaliste était, pour les siens, une marque de fidélité à une France lointaine. La famille, en voyage en métropole, avait échappé à la terrible éruption de la montagne Pelée qui, le 18 mai 1902, fit 30 000 morts en quelques minutes à Saint-Pierre. Dans le «légendaire familial», cette catastrophe a fossilisé le passé, transformant la Martinique en paradis perdu. L'événement avait encore renforcé l'attachement à la monarchie, la République étant rendue responsable, par ses négligences, de l'ampleur du désastre. »
↑ Parallèlement à Robert Mandrou , dans les années 60 (cf. son livre chez Albin Michel, 1961), lui-même dans le sillage de Lucien Febvre.
↑Didier Lett, « La mère et l'enfant au Moyen Âge », L'Histoire, no 152, : Dans ce dossier, Jacques Berlioz dresse une liste des arguments qui conduisent à réfuter la démonstration d'Ariès.
↑« Philippe ariès », sur bruegel.pieter.free.fr (consulté le )