Il est membre de la famille Bainville, maison d’origine lorraine anoblie en 1618[1].
Né à Vincennes dans une famille attachée aux valeurs républicaines[2], Jacques Pierre Bainville est élève du lycée Henri-IV puis pendant une année de la faculté de droit de Paris[3]. Il est le neveu de l’écrivain du XIXe siècle Camille Bainville[4]. Il commence son œuvre en 1900, à l'âge de 20 ans, avec Louis II de Bavière[2].
En 1900, à l’issue de son séjour en Bavière et après avoir été « dreyfusard »[5], Jacques Bainville devient monarchiste[2]. C’est par réflexion et comparaison, que ce fils de famille républicaine, libre penseur et voltairien, peu sensible à tout sentiment nostalgique, s’est tourné vers le royalisme. Face au rayonnement d’une Allemagne unifiée par Bismarck, en pleine expansion économique et démographique, au pouvoir stable et fort, il juge que la République – « la fille de Bismarck », écrit-il dans son Bismarck et la France – est un régime malthusien, essoufflé, livré à des gens médiocres et aux querelles intestines, incapable de faire face à cette Allemagne qui le fascine autant qu’elle l’inquiète[2].
Carrière d’écrivain, journaliste et historien
« En , il rencontre Charles Maurras au Café de Flore qui le séduit autant par la qualité de sa critique littéraire que par la cohérence de sa doctrine, son empirisme et son absence de préjugé religieux. Convaincu de la supériorité du modèle politique allemand, Bainville est déjà gagné aux idées monarchistes. Il est l'un des premiers à répondre dans la Gazette de France à l'Enquête sur la monarchie. Avec Maurras, il collabore à la revue traditionaliste Minerva, fondée en 1902 par René-Marc Ferry, et enseigne les relations internationales à l’institut d'Action française, tout en assurant nombre de chroniques dans le journal du mouvement : vie parlementaire, diplomatie, économie, bourse et même vie théâtrale, rien n'échappe à sa plume[6]. »
— Agnès Callu et Patricia Gillet, Lettres à Charles Maurras : amitiés politiques, lettres autographes : 1898-1952
Il y décrit le nationalisme français comme l'inspirateur du nationalisme allemand, donc la cause profonde des catastrophes de 1870 et de 1914-1918. Il l’explique en 1915 dans son Histoire de deux peuples puis en 1918 dans son Histoire de trois générations, où il martèle cette idée que la plus grande erreur de la France, qui a abouti à la Première Guerre mondiale, est d’avoir contribué à l’unification allemande :
« Au nom de la gloire et des nationalités, au nom de l’émancipation des races et des principes de la Révolution, Napoléon III mettait sur le pied de guerre une armée française pour sauver la Prusse et permettre aux héritiers de Frédéric de jeter un jour sur la France des millions d’Allemands unis sous le même drapeau. »
Bainville publie en 1920 un ouvrage commentant le traité de Versailles, Les Conséquences politiques de la paix[12], en contrepoint au livre à succès de KeynesLes Conséquences économiques de la paix[13]. Jacques Bainville y critique le « laisser aller » pacifiste de Clemenceau et d'autres sur la question allemande. Selon lui, le pacifisme a conduit la France à ne pas demander de lourdes sanctions à l'Allemagne ne respectant pas le traité de Versailles, à ne pas la démanteler et faire venir les troupes françaises en Allemagne pour montrer la victoire française[réf. nécessaire]. Il écrit notamment : « il s'agit d'une paix trop douce pour ce qu'elle a de dur, et trop dure pour ce qu'elle a de doux »[14].
Déplorant surtout que l'Allemagne ait pu garder son unité politique, il affirme que rien ne sera réglé tant que celle-ci « conservera cette puissance politique qui engendre toute autre puissance et qui lui rendra tôt ou tard sa puissance militaire », rendue indispensable par sa situation géographique. « Il ne manquera que l'occasion et l'homme qui mettront ce militarisme en mouvement », écrit-il même dans cet ouvrage. Il voit également que la Petite Entente ne sera pas assez solide pour contenir l'expansionnisme germanique, en Autriche et dans la région des Sudètes, où vivent trois millions d'Allemands (« Une guerre avec l'Allemagne serait le suicide de la Tchécoslovaquie »), et que la Pologne ne dispose pas d'un État assez fort pour résister à ces deux puissants voisins. « Le traité de Versailles a noué l'alliance de l'Allemagne et de la Russie », ce qui impose, selon lui, que la France s'allie à la Pologne comme elle est venue à son secours en 1920, pour le cas où la Pologne serait un jour « attaquée par les Allemands, la Russie étant prête à profiter de son désastre et à la poignarder par-derrière ».
Bainville affiche des sympathies envers le fascisme et plusieurs dictatures. Dans l'avant-propos qu'il rédige pour l'édition française d'un ouvrage de Pietro Gorgolini sur le fascisme, il rédige un éloge de Benito Mussolini et épanche son admiration pour les Chemises noires[15]. Il tient des propos élogieux sur le dictateur portugais Salazar, qualifiant son régime de « dictature la plus honnête, la plus sage et la plus mesurée d'Europe »[16].
Vie personnelle, incident lors de ses funérailles
En 1912, à Marigny, Bainville épouse Jeanne Niobey[17] (1889-1970) avec laquelle il aura un fils, Hervé (1921-2014)[18].
Lors de ses funérailles, le , le cortège funéraire provoque un embouteillage dû à la vitesse peu élevée à laquelle il avançait[21]. Malgré lui, Léon Blum, dans une voiture à cocarde, se trouve à proximité du cortège funéraire. Reconnu par des militants d'extrême droite, Blum — alors âgé de 63 ans — est violemment frappé par nombre d'entre eux : d'anciens camelots, séparés officiellement de l'Action française[22], cassent la vitre arrière de la voiture de Blum, ce qui le blesse au cou et à la tempe d'où une effusion importante de sang[23]. L'intervention d'ouvriers travaillant sur un chantier voisin évite que le chef socialiste ne soit lynché[24]. L'enquête montre ensuite que « la plupart des agresseurs portaient des brassards et insignes d’Action française », et le chapeau de Blum est ensuite retrouvé dans ses locaux[25]. Cette violente agression suscite une importante émotion. En signe de protestation, une manifestation se déroule du Panthéon à la Bastille[26].
Postérité
Dans Apologie pour l'histoire ou Métier d'historien, l'historien Marc Bloch cite Bainville parmi les exemples d'« une histoire prétendue, dont l’absence de sérieux, le pittoresque de pacotille, les parti pris politiques pensent se racheter par une immodeste assurance »[27].
François Mauriac, louant les talents d'analyste de Bainville, écrit en 1956 : « D'une science conjecturale, Bainville a fait une science exacte[28]. »
En 1977, un « cercle Jacques-Bainville » (CJB), regroupe les étudiants de l'Action française à l'université d'Assas. Tombé progressivement en désuétude, il est reformé à la rentrée 2010 par des étudiants d'extrême droite.
Pour le 70e anniversaire de sa mort, une « journée Jacques Bainville » est organisée le à Paris, avec diverses conférences (« Jacques Bainville et l'Europe » par Christophe Dickès, docteur en histoire, journaliste à Canal Académie, radio des cinq Académies (Institut de France), « Jacques Bainville, un modèle pour comprendre l'avenir » par Pierre Hillard, militant antisémite[29], « Jacques Bainville et l'Action française » par Pierre Pujo, directeur du journal Action française 2000.)
Des artères ont été nommées en son honneur dans quelques villes de France comme à Paris (place Jacques-Bainville dans le 7e arrondissement), Marseille (avenue Jacques-Bainville dans le 9e arrondissement), Marigny (rue Jacques-Bainville), Vincennes et Tourcoing (allée Jacques-Bainville).
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↑Michel Leymarie, « Introduction », dans Michel Leymarie et Jacques Prévotat (dir.), L'Action française : culture, société, politique, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », , 434 p. (ISBN978-2-7574-0043-2), p. 17-18.
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Christophe Dickès, Jacques Bainville, Les lois de la politique étrangère, Bernard Giovanangeli, 2008, rééd. 2021
Thèse de doctorat soutenue à l'université Paris IV-Sorbonne en janvier 2004 sous le titre Jacques Bainville et les relations internationales 1908-1936.
Actes du colloque organisé les 13 et 14 mai 2009 à l'Université Paul Verlaine de Metz.
Guillaume Bourgeade, « Les idées historiques de M. Jacques Bainville », Études sur les doctrines de l'Action française, Paris, no 3,
Aristide Leucate, « Les conséquences politiques de la paix », dans Pierre Pujo (dir.), Le Trésor de l'Action française, Paris-Lausanne, éditions L'Âge d'homme, (ISBN2-8251-3712-X)
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Christophe Dickès, Bainville, la monarchie des Lettres, Robert Laffont, coll. « Bouquins »,
Anthologie des grands textes de Bainville : Histoire de Trois générations, Histoire de deux peuples, Les conséquences politiques de la paix. Des récits de voyages, un choix de correspondances mais aussi une centaine d'article de presse tirés de La Revue universelle, La Liberté, L'Action française, Candide, Le Capital. Introductions et notes de C. Dickès.
Jean de Ribes, « Napoléon et Bainville : Entre admiration personnelle et réprobation géopolitique », Revue des Deux Mondes, , p. 83–100 (ISSN0750-9278, lire en ligne, consulté le )
Jean Georgelin, « Jacques Bainville, « La Guerre et l'Italie » (1915) » », Études maurrassiennes, Aix-en-Provence, vol. 4, , p. 61-66
William Keylor, « Clio et le Roi : Jacques Bainville et la doctrine historique de l'Action française », Études maurrassiennes, Aix-en-Provence, vol. 3, , p. 97-106