La mayonnaise est considérée par la cuisine classique comme une sauce mère qui ne se moutarde pas[2]. Selon Yannick Alléno, « l'incorporation de moutarde qui caractérise la mayonnaise contemporaine la convertit en rémoulade, mais suppose dans son acception classique, qu'on y ajoute également câpres, cornichons, persil, cerfeuil, estragon et d'essence d'anchois »[5].
La rémoulade a une longue histoire, elle est associée à la salade céleri rave depuis Jacques Lacombe (1784) et son céleri à la rémoulade[6], devenu cèleri en rémoulade chez Achille Carrière (1840)[7] puis céleri rémoulade depuis mi-XIXe siècle[8].
Les rémoulades prêtes à l'emploi contiennent des herbes[9],[10] ou du raifort râpé[11].
Selon George Guillet de Saint-George (1686), la rémolade ou charge « est un onguent qui a la consistance d'une bouillie épaisse et qu'on applique sur les enflures, mélange de lie de vin et de drogues[13] ». Louis Liger donne une formule de rémolade (onguent) en 1712 faite de jus d'absinthe, jus de plantain, jus de roses, de bourrache et de guimauve, de vinaigre, d'huile d'olive et de farine[14]. En 1721, il en donne une autre composée de suie et de térébenthine qu'on applique sur le sabot[15]. C'est la définition que donne l'Encyclopédie (1715)[16].
Selon le TLFi, le terme provient de l'ancien substantif « remolade » (1740) ou « rémoulade » (1746), dérivés du rouchiremola (« raifort gris », « radis noir ») et ramolos (« raifort »)[17], amoracea, raifort sauvage en latin venu en français à travers l'italien[18].
Selon le Littré[19] et Joseph Favre (1883), qui l’orthographient respectivement « rémolade », « rémoulade » et « remoulade », le terme viendrait du verbe « remoudre » par « remoulu » (moulu deux fois), parce que les ingrédients étaient pilés dans un mortier[20].
Dans les recettes anciennes le cèleri rave était servi en tranche et la rémoulade en saucière
Histoire
La sauce apparaît au début du XVIIIe siècle. Chez Vincent La chapelle (1733 - The Modern Cook, Vol.1) on trouve deux Remoülades chaudes avec des anchois[21]. Menon (1739) sert une rémoulade en saucière avec le poulet à la Sainte-Menehould[22] puis (1748) une « sauce à la rémoulade » sur sa lamproie[23]. En 1740, le cuisinier Gascon accompagne sa poularde à la broche d'une remolade chaude faite de « toutes sortes de fines herbes et beurre, finie de bon goût au jus de citron[24] ». C'est chez Louis Lémery (1755) qu'on lit, au chapitre des salades : « La moutarde, qu'on emploie dans la sauce nommée rémoulade, avec laquelle bien de gens mangent le céleri[25]. » Pour autant, la recette n'est pas fixée. Et la même année chez Menon (1755) l'anchois apparait, il décrit une rémoulade chaude (oignons, vin blanc, bouillon, ail, laurier, thym, basilic, anchois et câpres hachés, moutarde) et la remoulade froide avec «persil, ciboule, échalote, ail, anchois, le tout haché très-fin, délayés avec une cuillerée de moutarde, huile, vinaigre, sel, poivre»[26]. Enfin François Marin (1758) donne sous le nom de sauce rémoulade cette intéressante recette: « Hachez dans une casserole du persil, de la ciboule échalotes, câpres & anchois deux pieds de cellery. Mettez y du sel, du poivre. Délayez avec de l'huile, du vinaigre & de la moutarde, le tout bien remué »[27], cette recette avec du cèleri-rave est reprise par le Nouveau Cuisinier Impérial (1813)[28].
Rémoulade danoise prête à l'emploi, vendue dans un magasin en Allemagne
Les sauces rémoulade se rapprochent de la version actuelle chez Viard (1806) qui donne une rémoulade verte (cerfeuil, pimprenelle, estragon, civette pilés avec moutarde, d'huile, jaunes d'œufs crus et vinaigre, la rémoulade qui deviendra la classique mais avec un peu d'échalote, et enfin la rémoulade indienne qui est une sauce aux œufs durs avec du safran ou du curcuma[29]. À la même époque le Manuel de la cuisine (1811) chez qui la «Remolade ou Remoulade est une sauce de haut gout faite avec de la moutarde» qu'on prépare chaude ou froide donne des recettes proches de Viard[30]. La froide est la classique mais sans œuf et avec de l'ail.
C'est Marie-Antoine Carême qui le premier parle de sauce remoulade en magnonnaise (1815)[31], il en donne plusieurs versions : aux fines herbes, à la ravigote (la classique, il utilise du vinaigre d'estragon), à l'anglaise (pimentée), à l'échalote, à la Russe, à la Mogol (piment et safran)[32]. Puis à la fin du siècle Antoine Gogué (1865) la décrit comme une mayonnaise à la moutarde terminée d'échalote et de persil haché à laquelle on peut ajouter des câpres ou des cornichons[33], mélange d'herbes qui varie selon les auteurs : cerfeuil, pimprenelle, estragon[34]... On trouve encore en 1910 (La Mode illustrée, 30 janvier) une recette de rémoulade chaude au bouillon avec des champignons[35].
Mayonnaise à la moutarde
Le manuel Bac Pro cuisine (2018) écrit « Historiquement, il n'y pas de moutarde dans la sauce mayonnaise [ ] cette pratique est devenue une habitude des cuisiniers pour relever le gout et améliorer la fermeté de l'émulsion»[36]. Hervé This confirme: nommer mayonnaise une mayonnaise à la moutarde est fautif c’est une rémoulade, il ajoute que les deux sauces n'ont ni le même gout ni les mêmes usages[37]. Ce faisant de nos jours le céleri rémoulade est devenu un céleri à la mayonnaise moutardée, éventuellement allongée de vin blanc[38]. Aude de Galard, (2005) nomme rémoulade aux fines herbes une variante qui n'est autre que la rémoulade au sens propre[39].
Parallèlement à la rémoulade qui perd ses herbes pour devenir une simple mayonnaise à la moutarde, la sauce tartare (normalement à l'œuf dur) est devenue une mayonnaise aux herbes sans moutarde[40], confusion qui gagne aussi la sauce ravigote, traditionnellement une vinaigrette aux herbes[41] .
La sauce rémoulade à la provençale est une mayonnaise aux herbes qui contient de l'ail[42]. Joseph Favre écrit que la sauce gribiche est une sorte de rémoulade à base de jaune d'œufs cuits durs et garniture d'herbes[43]. La rémoulade à l'indienne est une rémoulade au curry[44]. On trouve dans la mouvance actuelle (par exemple chez Jean-François Piège[45]) de pimenter systématiquement mets et sauces des rémoulades au piment de Cayenne[46], comme dans la cuisine de La Nouvelle-Orléans où la rémoulade est épicée au chili et à la Worcestershire sauce[47]. La rémoulade Jalapeño se fait elle de piment mexicain[48].
La rémoulade se rencontre à la crème fraiche[39], aux crevettes, Gaston Lenôtre faisait une rémoulade d'écrevisses avec son cèleri aux pommes[49]. Enfin on note la présence de citron épisodiquement.
Usages
Recette de la sauce rémoulade dans le Guide Culinaire d'Auguste Escoffier (1903) source Gallica BNF[50]
Les usages sont multiples, elle accompagne les beignets salés de toute nature[51], les fritures (les tripes frites chez Pellaprat[52]) jusqu'aux pommes de terre frites et la rémoulade cajun[53].
Crustacés et poissons
Elle est utilisée pour les entrées servies froides, le homard[54], la langouste[55], le crabe, les crevettes, le saumon, le cabillaud et tous autres poissons froids, mais aussi les anguilles (dont une présentation anguilles chaudes à la broche rémoulade froide[56]), et au Danemark les croquettes de poisson. On trouve des harengs à la rémoulade en conserve (Rollmops rémoulade). Dans la cuisine provençale elle accompagne les poissons grillés chauds[57].
Céleri rémoulade actuel, la rémoulade est une mayonnaise moutardée
Le fameux céleri rémoulade des entrées de cantines et buffets-restaurants (même si dans ces contextes ce n'est, généralement, que du céleri mayonnaise moutardée) est un classique au même titre que l'œuf mayonnaise ou les sardines au beurre. Il cache d'autres racines à la rémoulades : radis[63], rémoulade de navets[63], de betteraves[64], les carottes râpées, et toutes sortes de salades dans lesquelles elle remplace la mayonnaise[65].
Anthologie
Georges Simenon, Maigret et la vieille dame, Paris, Omnibus[66]
« ils mangèrent des sardines à l'huile et du céleri rémoulade comme hors-d'œuvre. »
Pierre Colau, La Lyre française, choix de chansons. Paris, Delavigne, 1823. p. 143[67]
« Souper mieux que de bons bourgeois,
Vlà c' que c'est qu' la fèt' des Rois.
Manger poulets, dindons, anchois,
La fine salade
A la rémoulade;
De la gaite' suivre les lois ,
Vlà c' que c'est qu' la fèt' des Rois. [ ]
Boire neuf coups au lieu de trois,
Chanter les merveilles,
Du bon jus des treilles,
Sabler surtout le Champenois,
Vlà c' que c'est qu' la fèt' des Rois. »
Notes et références
↑(en) Joseph Carey, Chef on Fire: The Five Techniques for Using Heat Like a Pro, Taylor Trade Publications, (ISBN978-1-58979-306-4, lire en ligne), p 151
↑ a et bAuguste Escoffier, Le guide culinaire : aide-mémoire de cuisine pratique (3e édition) / par A. Escoffier ; avec la collaboration de MM. Philéas Gilbert et Émile Fétu, (lire en ligne), p. 49-50
↑Jacques (1724-1811) Auteur du texte Lacombe, Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques. Tome 2 / , [par Jacques Lacombe], 1782-1791 (lire en ligne)
↑George Guillet de Saint-George, Les arts de l'homme d'épée, ou Le dictionaire du gentilhomme: diviseé en trois parties, dont la premi`ere contient l;art de monter `a cheval, la seconde l'art militaire, et la troisi`eme l'art de la navigation, chez Adrian Moetjens, (lire en ligne), p. 36.
↑Louis Liger, La connoissance parfaite des chevaux contenant la manière de les gouverner nourrir & entretenir en bon corps, & de les conserver santé dans les voyages …, chez Pierre Ribou, (lire en ligne), p. 388.
↑Louis Liger, La Nouvelle Maison rustique ou economie generale de tous les biens de campagne. 3. ed, Prudhomme, (lire en ligne), p. 191.
↑Denis Diderot, Encyclopédie, Ou Dictionnaire Raissoné Des Sciences, Des Arts Et Des Métiers Par Une Société Des Gens De Lettres: REGGI - SEM / par Mr. ***. Tome Quatorzieme, Chez Samuel Faulche, (lire en ligne), p. 96.
↑Myriam Esser-Simons, Balade culinaire à travers les siècles, illustrée de nombreuses recettes, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours - Tome I, Editions Edilivre, (ISBN978-2-414-30045-7, lire en ligne), p 136
↑« Rémolade », sur littre.org, Littré (consulté le ).
↑Joseph Favre, Dictionnaire universel de cuisine. Encyclopédie illustrée d’hygiène alimentaire, Paris, Librairie-imprimerie de la Bourse de commerce, (lire en ligne), p. 1709.
↑(en) Vincent La Chapelle, The Modern Cook, N. Prevost, (lire en ligne), p. 99
↑Nouveau traité de la Cuisine, , 202 p. (lire en ligne).
↑Joseph (1700?-1771) Auteur du texte Menon, La Cuisiniere bourgeoise. Suivie de L'Office a l'usage de tous ceux qui se mêlent de dépenses de maisons. Nouvelle edition corrigée & considerablement augmentée…, (lire en ligne).
↑Louis (1677-1743) Auteur du texte Lémery, Traité des aliments, où l'on trouve… la différence et le choix qu'on doit faire de chacun d'eux en particulier. Tome 1 / … par M. Louis Lémery,… 3e édition, revue, corrigée et augmentée sur la 2e de l'auteur, par M. Jacques-Jean Bruhier,…, (lire en ligne), p. 150.
↑Joseph (1700?-1771) Auteur du texte Menon, Les soupers de la Cour, ou L'art de travailler toutes sortes d'alimens, pour servir les meilleures tables, suivant les quatre saisons. Tome 1, (lire en ligne), p 143
↑François Marin, Les dons de Comus. T. 1 / , ou l'Art de la cuisine, réduit en pratique, nouvelle édition, revue, corrigée & augmentée par l'auteur. Tome premier [-troisieme], (lire en ligne), p 73
↑Le Nouveau cuisinier impérial ou L'art de faire la cuisine, mis à la portée de tout le monde ... par un officier de bouche, (lire en ligne), p 70
↑André (17-1834) Auteur du texte Viard, Le cuisinier impérial, ou L'art de faire la cuisine et la pâtisserie pour toutes les fortunes, avec différentes recettes d'office et de fruits confits et la manière de servir une table depuis vingt jusqu'à soixante couverts / par A. Viard,..., (lire en ligne), p 60 et 61
↑Manuel de la cuisine ou l'art d'irriter la gueule par une société de gens de bouche, (lire en ligne), p 360
↑Marie-Antoine (1784-1833) Auteur du texte Carême, Le pâtissier royal parisien ou Traité élémentaire et pratique de la pâtisserie ancienne et moderne.... Tome II / composé par M. A. Carême..., (lire en ligne), p 353
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↑Angèle Ferreux-Maeght et Emilie Guelpa, 365 recettes & conseils pour bien manger au naturel: 120 recettes pour adopter une alimentation saine tout au long de l année, Marabout, (ISBN978-2-501-17423-7, lire en ligne)