La Sentinelle des Rangiers, surnommée le Fritz, était une sculpture réalisée par Charles L'Eplattenier et érigée le à quelques centaines de mètres en contrebas du col des Rangiers[1]. Elle avait pour dessein de commémorer le dixième anniversaire de la mobilisation de l'armée suisse durant la Première Guerre mondiale. Entre le et le , elle fut la cible d'attaques répétées par les séparatistes jurassiens, qui aboutirent finalement à sa démolition.
La statue doit son nom au fait qu'elle représentait la garde frontalière de l'armée suisse pendant la Première Guerre mondiale, figurée par un fantassin tenant son fusil baïonnette au canon, positionné en face des belligérants[2].
Selon une autre interprétation, ce nom pourrait plus vraisemblablement être associé au jeune Fritz Kempf, supposé avoir été le modèle de la sculpture[3].
Histoire
Première guerre mondiale
De l'automne 1914 jusqu'au , le front s'était stabilisé depuis la mer du Nord jusqu'à Bonfol. La Confédération suisse, dans un souci de préserver sa neutralité et d'empêcher toute tentative des belligérants de contourner le front en passant par l'Ajoie, y stationna des troupes pendant plus de quatre ans. Ces troupes érigèrent des fortifications temporaires pour cette mission défensive
Monument national
Le , la Société jurassienne de Développement prit la décision d'ériger un monument en l'honneur de ces soldats mobilisés au col des Rangiers[4]. La commande de ce monument fut confiée à Charles L'Eplattenier, sculpteur et peintre neuchâtelois. Celui-ci présente une première maquette de l'œuvre le puis une deuxième de grandeur nature le [4].
Pour son financement, la Société jurassienne de Développement lance un appel de souscription nationale au peuple suisse mais celui-ci ne rend pas[4].
Le monument fut sculpté dans un bloc erratique, généreusement offert par Jean Gabus et provenant des forêts de Cudret à Corcelles-Cormondrèche (NE). Au début de l'année 1922, la proposition de céder ce bloc erratique suscita quelques réticences au sein de la Commission cantonale des monuments historiques. Cependant, celle-ci finit par se rallier à l'avis favorable du géologue Émile Argand[5],[6].
La statue est transportée par train depuis La Chaux-de-Fonds (NE) jusqu'à son emplacement final, où elle est érigée le .
La statue est dévoilée lors de son inauguration le , dans le but de commémorer le dixième anniversaire de la mobilisation de l'armée suisse durant la Première Guerre mondiale, en présence du général suisse Ulrich Wille[5].
Dans les années qui suivent, sa notoriété attire un grand nombre de visiteurs, faisant d'elle une figure emblématique nationale notamment pendant la mobilisation de l'Armée suisse durant la Seconde Guerre mondiale.
Le , le monument est vandalisé une première fois par le Front de libération jurassien. Celui-ci y peint un écusson jurassien ainsi que le sigle « FLJ »[7]. Le , lors de la commémoration des 25 ans de la mobilisation de l'armée suisse lors de la seconde Guerre mondiale et des 50 ans de la première Guerre mondiale, environ 7 000 séparatistes jurassiens interrompent la cérémonie[8]. Le conseiller fédéral Paul Chaudet, ministre de l’armée, et Virgile Moine, membre du gouvernement bernois, furent malmenés par la foule, et la cérémonie tourna court.
Plusieurs barbouillages ont lieu sur la statue, notamment en 1971.
Dans la nuit du au , la Sentinelle est renversée et incendiée par le Groupe Bélier[4]. Le Groupe Bélier revendique alors, à la place de la statue, « un monument symbolique de la victoire du et du combat pour la réunification ». Le monument original est finalement remis à sa place le .
Le , la Sentinelle est à nouveau renversée par le Groupe Bélier. Cette fois-ci, elle est également décapitée. Des tags écrits « DMF tue » et une croix gammée ont également été peint[9]. Dès lors, la sentinelle est entreposée dans le Dépôt des Ponts et chaussées à Glovelier, qui est incendiée dans la nuit du 24 au [4].
Le , la tête de la Sentinelle revoit le jour : des membres cagoulés du Groupe Bélier ont fracassé la tête lors de la cérémonie officielle marquant le 25e anniversaire du canton du Jura, à Delémont. Les manifestants se sont ensuite dirigés vers la tente abritant les 200 invités (de la Confédération et des cantons) du gouvernement jurassien et les ont copieusement hués et sifflés. Parmi ces derniers se trouvait le président de la Confédération Joseph Deiss qui venait d’affirmer que l'entrée en souveraineté du Jura il y a 25 ans était « un exemple de solution pacifique d'un problème de minorité ». Le président du gouvernement jurassien Jean-François Roth a, quant à lui, eu des mots très durs à l’encontre du Groupe Bélier. À ses yeux, rien ne justifiait une telle action[10].
Exposition
Les vestiges de la Sentinelle seront par la suite conservés dans divers entrepôts dont l'emplacement sera tenu confidentiel, afin de prévenir de nouvelles dégradations de ce monument historique[5].
Le , le Gouvernement jurassien annonce que le vestige de la Sentinelle des Rangiers sera présenté au Musée du Mont-Repais, installé dans l'ancienne chapelle de La Caquerelle[11]. Une campagne nationale de collecte de fonds est lancée le 11 novembre pour financer la rénovation de la chapelle[12]. La Sentinelle y est finalement installée le [13].
Anecdotes
Un morceau de la Sentinelle des Rangiers a été déposé dans la vigne de Farinet parmi d'autres pierres du globe[4].
En 2015, juste avant les élections fédérales et cantonale, l'UDC du Jura décida de placer une réplique de la Sentinelle des Rangiers sculptée dans du bois, à sa place d'origine. Celui-ci a subi le même sort que l'original : la réplique est renversée dans la nuit[14].
↑(de) Marcel Schwander, Deutsch & Welsch, Ein Brückenschlag, , p. 94.
↑ abcde et fChronologie jurassienne, « Sentinelle des Rangiers » , sur www.chronologie-jurassienne.ch (consulté le )
↑ abcd et eGroupe d’Histoire du Mont-Repais (Musée du Mont-Repais), « Sentinelle des Rangiers » [PDF], sur rimuse.ch, (consulté le )
↑« copie de lettres de la Commission cantonale des monuments historiques » (janvier-mai 1922). Fonds : Travaux publics; Cote : 2TP1-2. Archives de l'Etat de Neuchâtel.
Philippe Kaenel et François Vallotton, Les images en guerre (1914-1945): de la Suisse à l'Europe. Lausanne : Éditions Antipodes 2008 (ISBN9782940146888), cf. éditeur et critique