Yom tov sheni shel galouyot
Le yom tov sheni shel galouyot (hébreu : יום טוב שני של גלויות « second jour férié des [communautés juives] exilées ») est un jour d’observance supplémentaire des fêtes bibliques par les membres des communautés situées hors de la terre d’Israël. Reproduisant le statut et les prescriptions du jour férié qu’il double, le second jour s’en distingue cependant par certains allègements subtils. Institué par les rabbins au temps du Sanhédrin, le second jour continue d’être observé par les juifs orthodoxes, y compris lors des déplacements entre Israël et le reste du monde. Il a en revanche été contesté au XIXe siècle par les mouvances progressistes du judaïsme, qui l’ont pour la plupart aboli. Yom tov sheni dans les sources juivesLa tradition du second jour n’a pas de fondement biblique explicite même si elle était, selon des enseignements médiévaux à visée apologétique, observée au temps des prophètes et de Josué[1]. Au temps de la Mishna, la proclamation des lunaisons est placée sous l’autorité des Sages du Sanhédrin, qui communiquent avec la diaspora par des signaux lumineux propagés de poste en poste ; l’envoi d’un signal au trentième jour d’un mois signifie que ce mois était défectif (29 jours) tandis que l’absence de signal le définit comme plein (trente jours)[2]. Le second jour de Roch HachanaD’une part, l’examen des témoins peut prendre tant de temps que la néoménie est déclarée au jour suivant, même si tout Israël voit la nouvelle lune[4]. Cette situation se serait, d’après le Talmud de Babylone, produite lors du mois de tishrei, dont le premier jour, appelé Yom Teroua dans la Torah et Roch Hachana dans la Mishna, était saint. Quoique le mois d’eloul n’ait jamais été déclaré plein depuis le temps d’Ezra[5], le retard des émissaires perturba les chantres lévites du Temple dans leur chant du jour (le psaume à chanter diffère selon les jours profanes et les jours saints), ce qui se répercuta sur le culte tout entier. Il fut par conséquent décidé d’instituer un second jour saint pour Roch Hachana[6]. Il ne s’agit cependant pas encore du yom tov sheni shel galouyot : lorsque Rabbi Yehouda postula que les deux jours de Roch Hachana étaient entachés de doute quant à leur sainteté et que cela permettait de prélever la dîme sur une corbeille de fruits ou d’établir des erouvei tehoumin (dispositif permettant de se déplacer hors du domaine sabbatique) lors des deux jours, « les Sages ne furent pas d’accord avec lui[7] » car ils considéraient les deux jours de Roch Hachana comme un long jour saint[6]. Le second jour de Roch Hachana est, de plus, contrairement au yom tov sheni shel galouyot, également observé en terre d’Israël, selon le Talmud de Babylone[8]. Le second jour des diasporasLa seconde faiblesse du système des émissaires réside dans l’éloignement des communautés. Le voyage peut prendre plus de dix jours pour certaines communautés. De plus, lorsque les émissaires doivent annoncer la date de la fête de Souccot, ils ne peuvent se mettre en route le 1er tishrei, du fait de Roch Hachana, et doivent interrompre leur traversée le 10 tishrei, du fait de Yom Kippour. Ce second jour, impératif à Souccot, l’est moins à Chemini Atzeret car la fête ayant lieu le 22 tishrei, les émissaires sont déjà arrivés dans les communautés les plus éloignées. De même, les émissaires disposent de deux jours de voyage supplémentaires pour annoncer la date exacte de Pessa'h, laquelle permet également de déterminer celle de Chavouot, fixée en fonction du lendemain de Pessa'h et non des lunaisons. Préservez la coutume de vos pèresAprès la clôture de la Mishna, la situation se dégrade pour les Juifs en terre d’Israël et le pouvoir romain menace l’existence du Sanhédrin. Son président Hillel II décide alors, vers 359 EC, d’établir un calendrier perpétuel basé sur des calculs astronomiques et applicable en tout lieu. Lorsque les Sages de Babylonie lui demandent ce qu’il en est du second jour des fêtes, rendu inutile par cette innovation, sa réponse fait jurisprudence dans la Halakha[13] : « conservez la coutume de vos pères en vos mains au cas où des persécutions anti-juives surviendraient[6] » (si la science du calendrier venait à se perdre parmi les Juifs et qu’ils n’observaient qu’un jour, ils risqueraient fort d’enfreindre des commandements majeurs du fait de leurs erreurs). À partir de là, les opinions divergent entre Sages de Galilée et de Babylone. Si tous acceptent le raisonnement de Rabbi Yehouda pour le yom tov sheni shel galouyot[6], le Talmud de Jérusalem l’étend pour permettre d’effectuer une activité créatrice le second jour du fait des doutes concernant sa sainteté[14] tandis que le Talmud de Babylone adopte systématiquement les attitudes et traditions les plus sévères[11]. Il soumet ainsi les deux jours aux mêmes restrictions[15] et interdit même de cuisiner le premier jour pour le second[16]. Les Sages babyloniens imposent en outre aux Juifs de la terre d’Israël de passage à Babylone de se conformer aux coutumes du lieu, en vertu du marit ayin (principe des apparences) car les Juifs locaux, voyant les voyageurs agir différemment, pourraient en être perturbés[17]. Ils auront également à cœur de préciser les points de convergence et de divergence entre le second jour des exilés et celui de Roch Hachana[6],[15]. Observance du Yom tov sheni shel galouyotStatut des seconds joursLes dates exactes des jours fériés pouvant actuellement être connues par calcul, le yom tov sheni shel galouyot est considéré comme un jour « pouvant être profane » (safek ’hol), rendu saint par les Sages[18] et totalement distinct en sainteté du premier jour[6]. Comme il est né d’un doute, il n’enfreint pas la prohibition d’« ajouter aux paroles de la Torah, » bien que ce doute soit résolu de nos jours[19]. Les rabbins ont entouré le second jour des exilés d’un soin jaloux, punissant quiconque le profane d’excommunication ou, au minimum, de flagellation[20] (en outre, le témoignage d’une telle personne n’est, selon certains, plus recevable devant un tribunal rabbinique[21]). Ils ont choisi d’imposer pour le second jour les mêmes réjouissances et restrictions qu’au premier[22]. Ce second jour se distingue cependant du premier par quelques allègements. Il est, par exemple, permis de cuire les œufs apportés par un Gentil qui assure qu’ils sont frais du jour, ce qui n’est pas le cas du premier jour[23]. Rite et liturgieLe second jour doit être observé au lendemain des fêtes prescrites par la Bible (à l’exception de Yom Kippour - certains cas de jeûnes, prière et chômage pendant deux jours consécutifs sont rapportés[32], afin de mieux rappeler qu’ils ne reçurent aucune approbation[33]) par toute personne ne se trouvant pas dans un « lieu habité en terre d’Israël » (yishouv) ; un yishouv est un lieu en terre d’Israël à dix jours de marche tout au plus de Jérusalem, existant au temps du Talmud ou dans son voisinage immédiat[34]. Du point de vue rituel et liturgique, les seconds jours de fête sont, à quelques nuances près, identiques aux premiers. Sur le plan rituel, cela se marque par l’interdiction :
Cependant, il est autorisé au second jour (ainsi qu’à Roch Hachana) de remplir les derniers devoirs envers les défunts, par égard pour eux. Il est ainsi permis de procéder à l’inhumation, au transport du corps, à la confection du linceul et de la bière, au creusement d’une fosse, à la coiffure et à la toilette post-mortem, pour autant que l’inhumation ne soit pas différée[41]. Cette dispense ne concerne cependant pas les enfants mort-nés avant un mois de vie révolu[42]. De plus, certains rites comme la déchirure de l’habit ne peuvent être pratiqués, même par les proches[43]. Sur le plan liturgique,
Lois spécifiquesPessa'hLes Juifs de la diaspora tiennent lors du second soir de Pessa'h le même séder (rituel) que le premier soir ; ils sont tenus de manger le pain azyme et les herbes amères, boire les quatre coupes et lire la Haggada[50]. L’interdiction de consommer ou posséder du hametz ou tout autre aliment fermenté demeure, en diaspora, en vigueur jusqu’au huitième jour (en réalité le yom tov sheni du septième jour de Pessa'h) bien qu’il soit profane du point de vue biblique[51]. Cette rigueur s’étend aux légumineuses (pour ceux qui y sont soumis) mais non aux « mélanges de hametz » (aliments comme les fruits secs dont on s’abstient de peur qu’ils n’aient été mélangés par inadvertance avec du hametz)[52] ni au hametz découvert dans les entrailles d’un poulet abattu pour être consommé[53]. Le début du décompte de l’omer étant fixé par la Torah au « lendemain du chabbat » (c’est-à-dire, selon les rabbins, le 16 nissan), il ne peut être reporté et est lu au soir du second séder[54]. En revanche, il est interdit aux Juifs de la diaspora de consommer tout produit de la nouvelle récolte non seulement le 16 mais aussi le 17 nissan, jusqu’à la veille du 18[55]. SouccotLes prescriptions du premier jour de Souccot, à savoir la soukka et les quatre espèces ont cours le second jour. Il est de coutume la veille du second jour de réciter la bénédiction shehehiyanou sur un fruit ou un nouvel habit afin de pouvoir la répéter sans annuler la précédente, prononcée sur la soukka[56]. Le second jour ayant le même degré de sainteté que le premier, il est interdit d’utiliser une branche de saule tombée lors du second jour de la fête pour réaliser la prescription des quatre espèces, même si l’on n’en a pas d’autre[57]. Bien que la Loi exige du Juif qu’il réalise les prescriptions avec des espèces lui appartenant en propre et non empruntées, certains permettent de donner les quatre espèces à un enfant, en utilisant le raisonnement de Rabbi Yehouda (« si ce jour est saint et le lendemain est profane, je t’offre ce loulav en cadeau ») car le père peut s’acquitter le lendemain de la prescription sur un loulav prêté et, dans l’autre cas, la condition n’a pas été remplie et les quatre espèces lui appartiennent donc toujours en propre[58]. Les passages bibliques de la prière du moussaf sont identiques à ceux du premier jour (Nombres 29:12-13), ce qui entraîne un décalage entre les Juifs de la diaspora et ceux de la terre d’Israël, qui lisent au second jour Nombres 29:17[59]. Ce décalage est comblé de diverses façons par les différents rites. Il en est de même pour les passages lus publiquement dans la Torah[60] et pour les hoshaanot[61]. Chemini AtseretBien que la prescription de la soukka ne soit plus cours en cours à Chemini Atseret, on ne la défait pas encore à cause d’un doute émis à l’époque du Talmud qu’il puisse s’agir du septième jour. On la débarrasse mais on ne range ni n’arrange rien pour le lendemain[62]. Malgré ce doute sur le jour, la prière pour la pluie est substituée à la prière pour la rosée lors du moussaf du premier et non du second jour de Chemini Atseret[63]. Ce second jour de Chemini Atseret revêt de plus un caractère tout à fait particulier en diaspora vu que c’est en ce jour et non lors du premier qu’on célèbre Simhat Torah pour marquer la fin du cycle de lecture annuel de la Torah. Le second jour en IsraëlLe rétablissement récent d’une présence juive considérable en terre d’Israël a remis au goût du jour plusieurs points de Loi juive, déjà abordés au temps du Talmud ou ultérieurement, comme le statut des nouvelles villes en Israël, celui des voyageurs vers ou hors d’Israël ainsi celui des personnes effectuant des séjours temporaires de durée variable, parfois fort longue. Statut des nouvelles villesUne controverse rabbinique a eu lieu pour statuer s’il fallait ou non appliquer aux lieux de résidence dans l’état d’Israël les critères établis par Maïmonide pour un lieu de résidence en terre d’Israël, au vu du précédent de la ville de Bnei Brak à l’époque du Talmud (les villes construites à proximité d’anciens sites ou dont la superficie est de loin supérieure à celle d’autrefois bénéficient du statut de ces sites[64]). La discussion a été tranchée en faveur de la première opinion[65] bien que certains se soient imposé d’observer le second jour dans les villes qui n’existaient pas au temps du Talmud ou qui n’étaient pas habitées par des Juifs[66]. Statut des voyageurs et résidents temporaires ou permanentsLa règle générale en la matière est qu’une personne se rendant en un endroit où les coutumes sont différemment observées doit se conformer à l’usage du lieu afin de ne pas générer de controverses. Elle peut cependant continuer à observer ses propres coutumes lorsqu’elle se trouve dans un endroit inhabité, lorsqu’elle agit discrètement ou de toute autre manière qui n’entraîne pas de dispute[67], comme la constitution d’un quorum de dix orants israéliens en diaspora et inversement[68]. La Loi juive prend également en compte la volonté de la personne de repartir dans son lieu d’origine ou, au contraire, de s’établir dans son lieu de destination. Outre les personnes ayant véritablement l’intention de s’établir, sont, en règle générale, considérées comme « n’ayant pas l’intention de revenir » les personnes qui demeurent dans le pays de destination plus d’un mois[69] et celles qui partent en famille[70] (dans le cas d’Israël, les familles qui émigrent par crainte de persécutions sont considérées comme ayant l’intention de revenir[71]) ainsi que, selon certains, celles qui déménagent définitivement en laissant leur famille[72]. Par conséquent,
Une opinion différente avait été émise par Tsvi Hirsh Ashkenazi qui fait dépendre l’observance du lieu (et prescrit donc à toute personne se trouvant en terre d’Israël lors des fêtes de se conformer à l’usage du lieu, qu’elle ait ou non l’intention de revenir) et considère que les pratiques du second jour en terre d’Israël tombent sous le coup de l’interdiction d’ajouter aux prescriptions de la Torah[84]. Bien qu’apparemment entérinée par le fondateur de la dynastie Loubavitch[85], cette opinion demeure minoritaire[86]. Par ailleurs, l’établissement des grandes lignes suivies par la majorité des décisionnaires n’empêche pas ceux-ci de diverger sur tel point de loi ou tel cas. Il en est notamment ainsi de l’étudiant venu passer quelques années de son cursus talmudique en Israël (certains estimant qu’il doit, s’il est financièrement indépendant, observer les pratiques de la terre d’Israël durant son séjour quand bien même il compte repartir en diaspora car il pourrait trouver une épouse en Israël et décider de s’y établir définitivement[87] tandis que d’autres refusent la distinction entre cet étudiant célibataire et un homme marié, faisant tout dépendre de l’intention de revenir[88]) et de la coupe de vin qu’il faut[89] ou non[76] boire lors de la havdala. Le second jour dans les traditions non-rabbiniquesLe yom tov sheni étant d’institution rabbinique, il est totalement ignoré par le karaïsme et samaritanisme qui ne se basent que sur la Bible hébraïque et ses six premiers Livres respectivement. Il était également inconnu des Beta Israël d’Éthiopie, dépositaires d’un judaïsme pré-rabbinique, avant l’arrivée d’émissaires de l’Alliance israélite universelle. Le second jour dans les traditions libéralesApparu au XIXe siècle dans les suites de la Haskala, le judaïsme réformé se fonde, contrairement au judaïsme traditionnel, sur une vision hégélienne de l’histoire, et s’arroge l'autorité d'abroger de la pratique juive ce qui lui semble incompatible avec les besoins de Juifs imbibés de libéralisme et désireux de s’intégrer à la nation allemande. Le second jour des fêtes est considéré comme un héritage pesant du passé, fondé sur une initiative humaine périmée et inadéquate pour un moderne (de fait, le Talmud de Jérusalem suggère que le second jour a été instauré en diaspora pour « rétribuer » les Juifs de n’avoir pas observé le premier jour en terre d’Israël[90]). Le synode de Breslau, tenu en 1846, se conclut par un abandon de la pratique du second jour des exilés (mais non de celui de Roch Hachana) ; il est décidé ultérieurement de conserver un second jour dans la liturgie si tel est le désir de la congrégation ou d’une partie même minoritaire de ses membres mais le chômage à observer est, lui, définitivement annulé[91]. Le second jour demeure inobservé à ce jour dans les congrégations réformées. Les congrégations dites conservatrices l’observent en réponse à la demande des fidèles[13]. Notes et références
AnnexesBibliographie
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