Quan uns granz biens est mult oïz, dunc a primes est il fluriz, e quant loëz est de plusurs, dunc a espandues ses flurs. (Lais de Marie de France, « Prologue »)
Carte
L'omission du h aspiré en anglais remonte au XIIIe siècle et s'explique en partie par l'influence de l'anglo-normand.
Les membres de la Cour et les barons venus de France parlaient une langue d'oïl, appartenant globalement aux dialectes du grand ouest, fortement teintée de normand septentrional parlé au nord de la ligne Joret (même si quelques compagnons d'armes de Guillaume le Conquérant venaient d'autres régions que de Normandie[Note 1]). C'est ce « normand insulaire » (André Crépin parle de « français insulaire », estimant que la langue n'est « ni anglaise ni normande[3] ») qu'on appelle anglo-normand par commodité.
Guillaume et ses successeurs immédiats sur le trône anglais ne tentèrent pas d’imposer l’anglo-normand comme langue officielle, préférant attribuer cette fonction au latin, comme sur le continent, ce qui d'ailleurs ne contrariait pas les habitudes du clergé local. Les populations d’origine anglo-saxonne continuèrent d'utiliser le vieil anglais qui a peu à peu évolué vers le moyen anglais au contact de l’anglo-normand. Cette influence est explicable par la coexistence des deux langues parlées sur le sol anglais et le bilinguisme d'une partie de la société : la langue vernaculaire, le vieil anglais, et la langue véhiculaire, la langue d'oïl, langue des échanges aussi bien avec le continent qu'en Grande-Bretagne, voire en Irlande, même. Une partie non négligeable de la classe que l'on qualifierait de « moyenne », c'est-à-dire des commerçants et artisans, parfois immigrés du continent (cf. la famille de Thomas Becket, les maîtres d'œuvre de l'architecture « normande » (romane), puis gothique) utilisait cette langue d'oïl, soit comme langue maternelle, soit comme seconde langue. De même, tout en connaissant le moyen anglais et en écrivant en latin, les clercs employaient également l’anglo-normand. L'anglo-normand, en tant que langue de cour, est aussi la langue de la culture, ainsi la littérature anglo-normande comprend des chroniques, gestes, hagiographies, chansons, littérature didactique et religieuse. Quelques-uns des premiers et plus beaux textes d'une littérature que l'on peut qualifier de « française » ont été écrits non pas sur les rives de la Seine, mais sur celles de la Tamise.
Les textes officiels de la cour d'Angleterre, notamment les ordonnances royales (acts ou declarations) continuent d'être promulguées en anglo-normand, notamment le Treason Act de 1351(en), ou encore la Magna Carta[4], jusqu'à ce que l'usage de cette langue soit tombé en déshérence.
Description
Phonétique
consonnantisme : 1- non palatalisation du groupe k + a (cf. Ligne Joret), ex : MERCĀTU- > markié, markiet (cf. anglais market) ; ACCAPTĀRE > acater ; CAPTIĀRE > cachier (> anglais to catch). 2- produit chuintant de Cy, Cei, Ty (cf. ligne Joret), ex : CĒPA > chive (> anglais chive), *CERESEA > cherise ( > anglais cherry) ; FACTIŌNE > fa(i)chon (> anglais fashion)[5]. 3- conservation de w[5], ex : WARD- > warder ; WAST- > waster (> anglais to waste) cf. dialectes d'oïl septentrionaux et orientaux[5].
vocalisme : 1- 'a] + nasale se vélarise, noté par le digrammeau[5] (cf. dialectes du grand ouest), ex : graunt, chaunt, haunter, aunte (> anglais to haunt, aunt). 2- ei maintenu sans différenciation en oi ou réduit à e[5] (cf. dialectes du grand ouest), ex : heir (> anglais heir), esteile, treis, saver[5].
Si l’anglo-normand a disparu, il a cependant fourni à l'anglais moderne un lexique important. Un recensement de ces termes en a donné plus de 5 000[réf. souhaitée]. Par exemple, to catch, un verbe qui semble autochtone, car doté d'un prétérit et d'un participe passé irrégulier (caught / caught), remonte en fait au normand septentrional cachier (aujourd'hui cachî en normand du Cotentin et cacher en normand du Pays de Caux ; de même étymologie que le français chasser)[Note 2].
L'anglais garden est issu du normand septentrional gardin[8] (correspondant à jardin en français), issu de (hortus) gardinus en bas latin, mot emprunté au vieux bas francique*gart ou *gardo « clôture » cf. pour le sens, le gotique garda « clôture »[9], ainsi que, pour la forme, le moyen néerlandais gaert, le néerlandais gaard, le vieux haut allemand gart, garto « jardin », l'allemand Garten « jardin » et l'anglais yard « cour, enclos ».
De même war « guerre », qui sans analyse préalable semble à première vue d’origine anglo-saxonne, constitue en fait un emprunt au normand werre (correspondant à guerre en français), tout comme son pendant peace « paix » (ancien français pais et pes)[10].
Ainsi, ces trois marqueurs consonantiques sont les indices les plus sûrs d'un emprunt par l'anglais au normand septentrional, via l'anglo-normand :
conservation de [k] dans le groupe latin /ca/ alors qu'il a muté en [ʃ] (noté ch) en français central,
même chose pour le [g] dans le groupe /ga/ alors qu'il a muté en [ʒ] (noté j) en français central cf. ligne Joret,
maintien du [w] d'origine germanique, alors qu'il a muté en [gʷ], puis [g] en français central cf. les doublets de l'anglais gallop / wallop ; guaranty / warrant, etc.[11]
« La Reyne remercie ses bons sujets, accepte leur bénévolence, et ainsi le veult »
« Soit fait comme il est desiré »
Notes et références
Notes
↑En effet, une petite partie du baronnage anglo-normand était aussi issu de familles originaires de Bretagne orientale, de Flandre romane et de Picardie, voire de l'Île-de-France. Ensuite, le caractère spécifiquement normand de la cour d'Angleterre fut encore atténué par l'arrivée sur le trône de rois angevins
↑Dans le mot normand cachî, à la fois le c- initial n'est pas affriqué, et on note le « chuintement normanno-picard » en milieu de mot. Ces deux différences rendent le mot incompréhensible pour un francophone.
Références
↑Luce de Gast(en) vers 1220 : « Je, Luces, chevalier et sire du château du Gast ... entreprends de traduire du latin en françois une partie de cette histoire du Saint-Graal, non que je sache grandement de françois, car ma langue et mon parler appartiennent plus à la manière de l'Angleterre qu'à celle de France, comme qui est né en Angleterre, mais telle est ma volonté et mon proposement, qu'en langue françoise je le traduirai. »
↑Roger Bacon, dans son Opus maius, écrit en latin médiéval (traduit) au XIIIe siècle : « En effet, les idiomes d'une même langue varient selon les individus, comme il arrive à la langue française qui auprès des Français, des Picards, des Normands et des Bourguignons varie de manière idiomatique. Et les termes corrects dans la langue des Picards font horreur aux Bourguignons, et même aux Français plus voisins... »
↑Crépin, André, « Quand les Anglais parlaient français », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Persée - Portail des revues scientifiques en SHS, vol. 148, no 4, , p. 1569–1588 (DOI10.3406/crai.2004.22809, lire en ligne, consulté le ).
Édouard Le Héricher, Glossaire étymologique anglo-normand ; ou, L'anglais ramené à la française, Avranches, Durand, 1884
Henri Moisy, Glossaire comparatif anglo-normand: donnant plus de 5 000 mots, aujourd'hui bannis du français, et qui sont communs au dialecte normand et à l’anglais, Caen, H. Delesques, 1889
Faucher de Saint-Maurice, Honni soit qui mal y pense. Notes sur la formation du franco-normand et de l’anglo-saxon [S.l. s.n.], 1980
J.-P. Thommerel, Recherches sur la fusion du franco-normand et de l’anglo-saxon, Paris, Pourchet père, Hingray, Silvestre ; Londres, W. Pickering, 1841