Julia Margaret Cameron, née le à Calcutta dans le quartier de Garden Reach et morte le à Ceylan, est une artiste photographe britannique, connue pour ses portraits de célébrités de son temps ainsi que pour ses illustrations photographiques inspirées par la peinture préraphaélite anglaise.
Photographe amatrice devenue portraitiste renommée, Julia Margaret Cameron eut une véritable démarche artistique. Animée par une recherche de la beauté et de l’esthétique, elle cherchait à capter la personnalité des sujets qui posaient pour elle. Cette démarche était novatrice, à une époque où la photographie, technique encore récente, était surtout estimée pour sa précision documentaire.
La carrière photographique de Cameron fut courte (environ 12 ans) de 1863 à 1874 et commença tardivement dans sa vie. Mais son travail a eu un impact notable sur la photographie moderne, en particulier ses portraits, au cadrage serré et au flou artistique.
Biographie
Premières années : Calcutta
Julia Margaret Cameron naquit Julia Margaret Pattle le [1],[2] à Calcutta, en Inde, de James Pattle, un fonctionnaire anglo-indien du Bengal Civil Service, et d’Adeline de l'Étang, fille d’aristocrates français[2].
Julia Margaret fut élevée en France et en Angleterre[1], avant de retourner en Inde en 1834.
Une famille de 12 enfants à Ceylan et l'île de Wight
En 1838, elle épousa Charles Hay Cameron, un juriste de vingt ans son aîné avec lequel elle aura six enfants (Julia, Eugene Hay, Ewen W. Hay, Hardinge Hay, Charles Hay, Henry Herschel Hay). De plus, elle adopta trois orphelins (Cyllene, Melita et Sheridan Wilson) et éleva les enfants de sa sœur Adeline (Mary et Adeline Clogstoun). Julia s'occupa aussi d'une enfant mendiante, Mary Ryan[3].
Les Cameron s’établirent à Ceylan (appelée désormais Sri Lanka). Là, en plus de son activité de juriste, Cameron acquit des plantations de café[4].
En 1848, Charles Hay Cameron prit sa retraite et la famille déménagea à Londres, en Angleterre. La sœur de Julia, Sarah Prinsep, habitait dans cette ville et y tenait un salon littéraire fréquenté par des auteurs et des artistes célèbres[2].
En 1863, alors que Julia Margaret Cameron fêtait ses 48 ans, sa fille aînée lui offrit un appareil photo[2]. Elle se lança avec passion dans la photographie et entreprit alors une véritable carrière de photographe. Elle employait le procédé au collodion humide, convertissant sa cave à charbon en cabinet noir et un poulailler vitré en atelier. En moins d’un an, elle devint membre de la Société photographique de Londres[4]. Sa force de caractère et sa position sociale lui permettaient de mener de front cette activité dévorante et la conduite d'une nombreuse maisonnée — dont six enfants.
Julia Margaret Cameron n’était pas une technicienne accomplie mais elle ne cherchait pas à produire des images documentaires nettes et détaillées. Elle pensait que la photographie pouvait être un art, si elle était pratiquée avec imagination, esprit et sens esthétique. Elle écrivit : « j’aspirais à capter toute la beauté qui se présentait devant moi et finalement, cette aspiration a été satisfaite. ». Elle prit ainsi part au débat qui avait surgi depuis quelques années, à savoir si la photographie pouvait avoir une valeur artistique ou pas.
La majeure partie des photographies de Cameron entre dans deux catégories : les portraits et les illustrations pour des œuvres littéraires.
Les portraits
Les portraits réalisés par Julia Margaret Cameron restent importants aujourd’hui. Ils sont parfois la seule photographie existante de personnalités historiques, prise à une époque où cette technique était encore nouvelle et complexe. Beaucoup de ces portraits ont également perduré en raison de leur qualité artistique.
Julia photographiait tous ceux qui passaient à sa portée : famille, amis, domestiques ou voisins...
Grâce au salon littéraire de sa sœur, elle fréquentait toute la société artistique et intellectuelle de son temps, ce qui lui fournit beaucoup de sujets pour ses portraits.
Elle prit également de nombreux portraits de femmes, en particulier de sa nièce Julia Jackson, mère de l'écrivaine Virginia Woolf[7].
Julia Margaret Cameron était souvent amie avec les personnes qu'elle photographiait, et essayait de capter leur personnalité dans ses portraits. La plupart sont des plans rapprochés, cadrés serré autour du visage du sujet. Les détails sont estompés par l’éclairage en clair-obscur et l'objectif choisi. Un effet de flou volontaire donne un rendu vaporeux mais net aux bons endroits (soft focus). La pose pouvait durer plusieurs minutes, parce que Cameron utilisait une lumière tamisée et de grandes plaques. Il résulte de ces portraits une impression d'intimité et d'intensité psychologique.
Les critiques de l’époque se sont souvent gaussés du flou de ses images, qui contrevenait à ce qu'on jugeait alors devoir être les qualités d'une bonne photographie : netteté, précision, fidélité de la représentation du réel.
Les illustrations photographiques
Les illustrations photographiques représentent l'autre facette du travail de Julia Margaret Cameron. Il s’agit essentiellement de scènes de genre en costumes, illustrant des thèmes religieux, littéraires, poétiques ou légendaires.
Ces photographies sont très influencées par la peinture préraphaélite anglaise. Elles étaient conçues pour ressembler aux peintures à l'huile de ce mouvement, qui cherchait à retrouver la pureté des primitifs italiens. Femmes graciles à la longue chevelure défaite, nobles vieillards barbus, draperies élaborées, poses languides... aujourd'hui, ces compositions photographiques sont parfois écartées par les critiques d'art. Pour sa part, Cameron les voyait comme des travaux artistiques à part entière, à l'instar des tableaux qu'elles imitaient. Ces scènes allégoriques étaient notamment destinées à des œuvres littéraires. Cameron illustra ainsi en 1874 les Idylls of the King de son ami poète Alfred Tennyson. Cette contribution fut assez mal accueillie par la critique de l'époque.
Retour à Ceylan
En 1875, à court d’argent, les Cameron retournèrent à Ceylan[1]. D'après sa correspondance, Julia avait des difficultés à se procurer les produits chimiques et l'eau pure dont elle avait besoin pour réaliser ses tirages photographiques. Proportionnellement, les images qui subsistent de cette période sont moins nombreuses[8].
Au début du XXe siècle, Alfred Stieglitz publia des travaux de Cameron et contribua ainsi à les remettre d'actualité[9]. Les portraits de la photographe victorienne sont proches des effets recherchés par les pictorialistes dont Stieglitz était précédemment le chef de file, mais surtout d'une photographie directe ou pure (la straight photography) dont il fit la promotion après 1907.
En 1926, parut Victorian Photographs of Famous Men and Fair Women, la première monographie consacrée à Julia Margaret Cameron, rassemblée et introduite par Roger Fry et la petite-nièce de la photographe, Virginia Woolf.
Un catalogue raisonné de son œuvre photographique est publié en 2003 par le Getty Museum[12].
Depuis une vingtaine d'années, plusieurs grandes expositions ont redonné à voir les photographies de Cameron, notamment ses portraits de femmes. Ainsi en France une exposition lui est consacrée au Jeu de paume à Paris d' à [4],[13].
The parting of Sir Lancelot and Queen Guinevere [La séparation de Lancelot et de Guenièvre], 1874[17].
Publications
Julia Margaret Cameron illustre en 1874 de 26 photographies à la demande d'Alfred Tennyson une nouvelle édition du poème Idylls of the King sur les légendes arthuriennes : Illustrations to Tennyson's Idylls of the King, and other poems, Londres, Henry S. King & Co, 1874-1875, 2 vol. ; nouv. éd. 2003 (ISBN095452330X)[18].
Annals of my glass house, texte autobographique écrit par J. M. Cameron en 1874, publié à Londres en 1889 et dans la revue Photographic Journal en juillet 1927, p. 296-301. Nouvelle édition : Seattle et Londres, 1996 (ISBN0295976020).
The Cameron collection : an album of photographs presented to Sir John Herschel [94 photographies offertes en 1864 et 1867], éd. par Colin Ford, Wokingham, 1975 (ISBN0442301332).
Victorian photographs of famous men & women, édition et introduction par Virginia Woolf et Roger Fry, Londres, the Hogarth Press, 1926.
La première exposition publique des photographies de Julia Margaret Cameron a eu lieu de son vivant en au South Kensington Museum, devenu le Victoria and Albert Museum, qui expose 80 photographies[19],[N 3].
« What is focus - & who has a right to say what focus is the legitimate focus - My Aspirations are to ennoble Photography and to secure for it the character and uses of High Art by combining the real and Ideal and sacrificing nothing of the Truth by all possible devotion to Poetry and beauty. [Qu'est-ce qu'une mise au point ? Et qui a le droit de dire quelle mise au point est légitime ? Mon aspiration est d'ennoblir la photographie et d'inscrire sa particularité et ses usages dans les beaux-arts en associant le réel et l'idéal, et, sans y sacrifier la vérité, par un dévouement total à la poésie et à la beauté] »
— Lettre de Julia Margaret Cameron à John Herschel, 31 décembre 1864[33].
Notes et références
Notes
↑Dimbola Lodge, la résidence anglaise des Cameron sur l'[île de Wight, peut être visitée[5].
↑En 1868, le musée lui offre deux pièces pour en faire un studio photographique, ce qui ferait de Cameron la première artiste photographe en résidence[20].
Références
↑ abcd et eJoanne Lukitsh, « Julia Margaret Cameron », dans Luce Lebart et Marie Robert (dir.), Une histoire mondiale des femmes photographes, Éditions Textuel, , p. 33
↑(en) Joanne Lukitsh, « "Simply Pictures of Peasants": Artistry, Authorship, and Ideology in Julia Margaret Cameron's Photography in Sri Lanka, 1875-1879 », The Yale Journal of Criticism, vol. 9, no 2, , p. 283-308 (présentation en ligne).
↑Cinq portraits sont reproduits dans sa revue Camera Work (n° 41, New York, 1913).
↑Michel Guerrin, « Un catalogue raisonné en forme de première », Le Monde, (lire en ligne).
↑Guy Boyer, « Photo : une exposition à Paris révèle Cameron, pionnière de la photographie dans l’Angleterre préraphaélite », Connaissance des arts, (lire en ligne).
(en) Julian Cox et Colin Ford, Julia Margaret Cameron : The Complete Photographs (catalogue raisonné), Los Angeles, J. Paul Getty Museum, , XV-560 p. (ISBN978-0-89236-681-1, lire en ligne).
(en) Colin Ford, Julia Margaret Cameron : a critical biography, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 212 p., 2003 (ISBN0-89236-707-5).
(en) Katherine Marsh, « Julia Margaret Cameron », sur www.lib.rochester.edu/camelot/cphome.stm [The Camelot Project, université de Rochester] (sur les photographies « arthuriennes » de Cameron).
Anne McCauley (trad. Marine Sangis), « Épouses des hommes et épouses de l’art. La “question de la femme” dans les années 1860 et les photographies de Julia Margaret Cameron », Études photographiques, no 28, , p. 6-50 (lire en ligne).
Barbara Tissier, « Julia Margaret Cameron, une chambre (noire) à soi », dans Artension, n°183, janvier-février 2024, p.80-83.
(en) et (fr) Virginia Woolf, Freshwater : A Comedy, éd. par Lucie P. Ruotolo, Londres, 1976 (rédigée avant 1923, puis revue en 1935) (ISBN0-7012-0421-4) ; trad. par Élisabeth Janvier, Paris, 1982 (ISBN2-7210-0211-2).