« […] Par-delà le gouffre de l’espace, des esprits qui sont à nos esprits ce que les nôtres sont à ceux des bêtes qui périssent, des intellects vastes, calmes et impitoyables, considéraient cette terre avec des yeux envieux, dressaient lentement et sûrement leurs plans pour la conquête de notre monde […] »
1894. Des astronomes sont témoins d'étranges activités à la surface de Mars, comme des éclairs ou des explosions de gaz incandescent. L'étonnant phénomène se répète pendant les dix nuits suivantes puis cesse. Des météores venant de la planète rouge se dirigent bientôt vers la Terre. Le premier s'écrase en Angleterre, dans le Surrey : il s'agit d'un objet ayant la forme d'un cylindre de vingt-cinq à trente mètres. Les curieux se rassemblent autour du cratère formé par la chute du projectile, mais ils sont bientôt tués par un « Rayon Ardent » projeté par une machine gigantesque à trois énormes jambes sortie du cylindre.
Par la suite, les autres cylindres envoyés depuis Mars s'écrasent et libèrent d'autres engins mécaniques contrôlés par des créatures tentaculaires installées à l'intérieur. Ces tripodes, armés de leur Rayon Ardent et d'un gaz toxique appelé « Fumée noire », se dirigent vers Londres en désintégrant tout sur leur passage. L'armée britannique réplique. Mais rapidement, la lutte tourne à l'avantage des envahisseurs. Les populations terrifiées fuient cet ennemi implacable qui pompe le sang des malheureux qu'il capture et sème partout une mystérieuse herbe rouge qui étouffe toute végétation. Commence alors pour le narrateur, une fuite dans un monde ravagé, où il ne croise plus que des êtres humains isolés à la limite de la folie. Puis il se rend compte que les Martiens[n 1] cessent soudain toute activité : les microbes terriens, contre lesquels ils n'étaient pas immunisés, les ont exterminés.
À partir de la fin du XIXe siècle, la croyance en l’existence de canaux martiens et de planètes habitées marque l’imagination populaire. En 1877, l'astronome Giovanni Schiaparelli, directeur de l'observatoire de Milan, observe la présence de très grandes traces rectilignes sur la surface de la planète Mars. Cette découverte ne fait cependant pas l'unanimité. Percival Lowell, un millionnaire, décide de se consacrer exclusivement à l'étude de la planète rouge et fonde en 1894 un observatoire dans l'Arizona avec sa fortune personnelle. En 1900, il a référencé plus de 400 canaux bien trop rectilignes, selon lui, pour être des formations naturelles. Lowell est bientôt persuadé que Mars abrite une civilisation avancée luttant contre une importante sécheresse[5].
H. G. Wells s'établit en 1895 dans le Surrey avec sa femme. Il passe une grande partie de ses journées à écrire et à se promener dans la campagne. Au cours de l'une de ces promenades, Wells et son frère discutent de la possibilité de l'arrivée d'êtres venus d'une autre planète. La discussion fait germer dans la tête de l'écrivain une idée, bientôt nourrie par des articles sur les fameux canaux de Mars[6]. En 1896, Wells, qui suivait de très près les avancées scientifiques de son époque, publie Intelligence on Mars, où il couche sur papier ce qui va devenir La Guerre des mondes. L'auteur suggère que les Martiens sont attirés par la Terre car leur propre monde, très ancien, est asséché et mourant[7].
Colonialisme et domination navale
Dans La Guerre des mondes, une forme de vie extraterrestre venant de Mars attaque Londres. Or nous sommes à la fin du XIXe siècle et l'Empire britannique, l'ensemble territorial composé des colonies, protectorats, mandats et autres territoires gouvernés par le Royaume-Uni, s'étend sur une grande partie du globe et ne connaît pas d'adversaire. Wells bouleverse cette conviction en réduisant cet empire en ruines, anéanti par une plus grande puissance. Les Martiens s'imposent comme une « race supérieure »[8].
L'instrument ultime de la domination impérialiste britannique au XIXe siècle est sa marine de guerre. De façon très symbolique, les Anglais envahis par les Martiens recourent à l'arme absolue de l'époque, un cuirassé type pré-dreadnought, qui engage le combat avec un tripode martien dans l'estuaire de la Tamise. Le cuirassé détruit un tripode avec un coup direct, mais, sans grande difficulté, les autres tripodes le détruisent dans les minutes qui suivent, grâce au « Rayon Ardent », qui provoque l'explosion des soutes à munitions du cuirassé, dont l'épave en flammes vient éperonner un second tripode.
Au temps de H.G. Wells, le système colonial anglais était l'objet de critiques de la part des intellectuels, et en particulier de Wells, pacifiste engagé à gauche. Les budgets astronomiques de la Royal Navy et la course aux armements navals avec l'Allemagne, à une époque où prévalait la doctrine du two-power standard (la marine anglaise devait être plus puissante que la somme des deux marines de guerre venant après elle), étaient également sujets à controverses.
En 1946-1947, Edgar P. Jacobs réalise des illustrations au lavis de La Guerre des mondes dans les pages du Journal de Tintin. Un album sorti aux éditions Dargaud en 1986 reprend ces illustrations.
Le comics Killraven s'inspire directement de La Guerre des mondes replacée dans un contexte moderne.
En 2002, la seconde mini-série de La Ligue des gentlemen extraordinaires se déroule à l'époque de La Guerre des mondes et en offre une vision alternative.
En 2005 parait War of the Worlds, une bande dessinée écrite par Ian Edginton et dessinée par D’Israeli d'abord chez Dark Horse Comics, puis en français en 2006 aux éditions Kymera sous le titre La Guerre des mondes.
En 2017 parait La Guerre des mondes, par Dobbs et Vicente Cifuentes (couleurs Matteo Vattani), chez Glénat (collection HG Wells).
En 2018 parait La Guerre des mondes, un manga écrit par Daisuke et Sai Ihara et dessiné par Hitotsi Yokoshima, publié en France en 2021 aux éditions Ki-oon.
En 2003, Jean-Pierre Guillet propose une suite à La Guerre des mondes, La Cage de Londres[11]. Dans ce roman, quelque temps après avoir échoué, les Martiens récidivent et, mieux préparés, vainquent. Depuis lors, ils se nourrissent du sang des humains parqués dans de gigantesques enclos.
L'écrivain britanniqueEric Brown a écrit la nouvelleThe Tragic Affair of the Martian Ambassador (2013) ainsi que le roman courtSimulacres martiens (2018) lui faisant suite en les situant plusieurs années après les évènements décrits dans La Guerre des mondes.
En 2021, l'auteur allemand Tom Zola publie une trilogie sous le titre Die Weltenkriegsaga qui relate une deuxième tentative des Martiens de conquérir la Terre. Éditions EK-2 Publishing (Duisburg).
2023 : La guerre des mondes : l'invasion (War of the Worlds: The Attack) de Junaid Syed
Musique
En 1978, le roman inspire un album concept à Jeff Wayne, qu'il réactualise en 2012. Les parties narratives, un journaliste qui témoigne de l'invasion extraterrestre, alternent avec des parties musicales chantées par les protagonistes, dont les paroles font référence au contexte de l'histoire.
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