Bien qu'il ait joui d'une réelle popularité de son vivant, notamment à Venise, il fut ignoré des critiques de son temps qui parlent de l’art vénitien, seul Francesco Sansovino parle de lui dans son Guide de 1556. Pourtant, Véronèse constituait avec Titien et le Tintoret le triumvirat des peintres vénitiens de la Renaissance tardive.
Véronèse est connu comme un grand coloriste ainsi que pour ses décorations illusionnistes (trompe-l’œil) en fresque et à l'huile. Ses travaux les plus connus sont des cycles narratifs raffinés, exécutés selon un style dramatique et coloré, avec des arrangements majestueux et scintillants.
Son véritable patronyme reste inconnu : le peintre a signé successivement Paolo Spezapedra (surnom paternel), Paolo di Gabriele, Paolo da Verona ou Paolo Caliaro (probable nom d’emprunt). La tradition de l’histoire de l'art parle de Paolo Caliari. Finalement, il sera connu sous le nom de « Véronèse » en raison de sa naissance à Vérone.
Biographie
Enfance et formation
Véronèse naît vraisemblablement en 1528. Son père, Piero di Gabriele, est architecte et tailleur de pierre comme l'avaient été ses parents. Avec son épouse, Catarina, ils eurent dix enfants dont Véronèse, qui fut le septième, et Benedetto, de dix ans son cadet.
Très jeune, il commence par travailler dans l'atelier de son père à Vérone. Il y acquiert une habileté de modeleur pour les figures et les ornements en relief. Toutefois, il manifeste très vite un penchant pour la peinture aussi son père le place comme apprenti chez Antonio Badile, issu d'une vieille famille de peintres locaux et qui possédait un atelier. Il étudie alors, outre les œuvres de Badile, qui deviendra plus tard son beau-père, celles des autres artistes de Vérone et des alentours comme les fresques et tableaux de Giovanni Maria Falconetto, Domenico et Francesco Morone, Girolamo Dai Libri, Giovanni Francesco Caroto, Francesco Torbido, etc.
De cet apprentissage auprès de l'école véronaise et des peintres locaux, il acquiert beaucoup de connaissances en matière d'architecture et de perspective, mais aussi la vivacité et l'élégance dans les figures, la dignité et le naturel dans les expressions, l'éclat et l'harmonie dans le jeu des colorations.
Alors qu'il n'avait pas encore vingt ans, Paul Véronèse avait déjà signé plusieurs retables pour des églises de Vérone et décoré des façades de maisons, ce qui lui avait donné une certaine réputation. Parmi les retables, il faut citer l'un des premiers chef-d'œuvre de Véronèse réalisée avant 1548 pour la chapelle de la famille Bevilacqua-Lazise, le retable Bevilacqua-Lazise aujourd'hui conservé au musée de Castelvecchio à Vérone.
Par la suite, il décore la villa Emo à Fanzuolo, un hameau de la commune de Vedelago dans la province de Trévise, construite par l'architecte Andrea Palladio, qu'il avait rencontré à Vicence. On lui confie également la décoration du palais du Collatéral, à Thiene où, toujours en compagnie de Giovanni Battista Zelotti, il réalise, dans un style déjà très libre et personnel, plusieurs peintures de l'histoire ancienne (Xerxès recevant les présents de Cyrus, le Mariage de Massinissa et de Sophonishe, Mucius Scaevola se brûlant le poing, le Festin d'Antoine et de Cléopâtre).
En 1550, il fait un voyage d’étude à Rome où il découvre Raphaël et Michel-Ange. Il y séjourne pendant deux ans.
L'installation à Venise
En 1552, il obtient une première commande pour l'église San Francesco della Vigna à Venise pour laquelle il réalise la Conversation sacrée. L'année suivante, sa réputation toujours grandissante amène le père Bernado Torlioni, prêtre de l'église San Sebastiano à Venise que Véronèse avait rencontré à Vérone, à le faire venir auprès de lui pour lui confier les peintures de l'église.
Il s'installe donc à Venise en 1553. Les commandes officielles sont nombreuses car il est devenu le « peintre de la République ». Il réalise notamment, en compagnie des peintres Giambattista Ponchino(it) et Giovanni Battista Zelotti, les fresques des salles du conseil des Dix au palais des Doges. Véronèse exécute notamment le médaillon central du plafond de la Salle des audiences : Jupiter foudroyant les Vices. Il décore également la salle de la Bussola d'un Saint Marc couronnant les Vertus, à présent exposé au musée du Louvre.
En 1555, il entreprend la réalisation du plafond de la sacristie de l'église San Sebastiano avec le Couronnement de la Vierge et les Quatre évangélistes. On lui demanda ensuite des panneaux ronds, ovales ou carrés, destinés à être insérés dans le plafond de la nef. Il y raconte trois scènes du Livre d'Esther, entourées d'anges, de balustrades décoratives et de figures allégoriques : Esther présentée au roi Assuérus, le Couronnement d'Esther et le Triomphe de Mardochée achevées le , onze mois après leur commande. Cette série de chefs-d'œuvre a fait de cette petite église un lieu de pèlerinage pour tous les peintres postérieurs.
Avec le soutien de Titien et Jacopo Sansovino, il est désigné, avec six autres peintres renommés dont Battista Franco, Giuseppe Porta, Bartolomeo Ammannati et le Tintoret, pour participer à la décoration du plafond de la salle de la Libreria de la Biblioteca Marciana (ou bibliothèque Saint-Marc). Il réalise notamment trois allégories (la Musique, la Géométrie et l'Arithmétique, l'Honneur) pour lesquelles il obtint une prime, un collier d'or, qui lui est décerné publiquement par Titien.
Veronèse retourne quelques mois à Vérone, sa ville natale. De ce séjour, il laissera une série de peintures dans plusieurs édifices dont l'église Santa Maria della Vittoria (Déposition de Croix) et le musée municipal (Portrait de Pace Guarienti).
La maturité
Véronèse revient à Venise où il est devenu le peintre à la mode, le décorateur favori des nobles et des ecclésiastiques. Sa popularité dépasse le seul cadre de la ville et s'étend aux provinces avoisinantes. Il reçoit des commandes de toute nature, des fresques ou des tableaux, des sujets profanes ou sacrés, des allégories ou des portraits…
Il est de nouveau invité à travailler à l'église San Sebastiano, en 1558, où il est chargé de peindre, sur la partie supérieure des murs, des séquences de la vie du saint. Entre 1559 et 1561, il décore les volets de l'orgue et le panneau de l'autel. On y voit La Vierge en gloire avec saint Sébastien et d'autres saints. Puis, un peu plus tard vers 1565, il réalisa pour le chœur de l'église trois œuvres illustrant d'autres événements de la vie du saint dont Saint Marc et saint Marcellin encouragés par saint Sébastien sur le chemin du martyre et Le Martyre de saint Sébastien[1].
En 1562, Véronèse entreprend la décoration de la villa Barbaro à Maser en Vénétie appartenant à Daniel Barbaro et son frère, Marcantonio. Ceux-ci avaient engagé le célèbre architecte Andrea Palladio en 1556 pour la construction de leur villa et ils confièrent ensuite la décoration picturale à Véronèse que Daniel Barbaro avait rencontré vers 1553, lorsqu'il exécutait ses compositions pour la Salle des audiences au palais des Doges. Véronèse réalise dans cette villa des fresques qui marquent l'apogée de son art parmi lesquelles il faut citer L'Harmonie universelle, ou L'Amour divin entouré des dieux olympiques, Vénus et Vulcain avec Proserpine ou bien encore Bacchus et les nymphes. De très nombreuses pièces sont décorées des fresques de Véronèse et, partout, l'espace architectural est mis au défi grâce à l'usage de trompe-l’œil d'illusions picturales.
À cette même période, entre 1562 et 1563, Véronèse peint la plus célèbre de ses œuvres, Les Noces de Cana[2] qui lui avait été commandée pour le réfectoire du monastère bénédictin de Penquesten situé sur l'Île de San Giorgio Maggiore, à Venise. Comme dans d'autres tableaux de Véronèse représentant un banquet[3], la scène reflète les festivités qui étaient courantes à l'époque dans la vie vénitienne. La peinture est immense avec presque dix mètres de large et elle contient plus d'une centaine de personnages, dont les portraits reconnaissables de Titien, du Tintoret, et de Véronèse lui-même.
Il retourne dans sa ville natale de Vérone où, en 1566, il épouse Elena Badile avec qui il a quatre enfants dont Carlo et Gabriele qui travailleront avec lui plus tard.
En 1573, il défie le tribunal de l’Inquisition qui lui reproche des licences prises par rapport aux textes saints dans une Cène et qu’il sera condamné à amender. Véronèse n'en fera rien et préfèrera rebaptiser simplement son œuvre du nom de Le Repas chez Lévi, qu'elle porte encore aujourd'hui, bien qu'il s'agisse en réalité du dernier repas du Christ. On lui reproche d’avoir ajouté à l’épisode religieux quantité de personnages secondaires et anecdotiques, dont un perroquet ou encore deux hallebardiers buvant et un serviteur saignant du nez, tout comme des animaux nuisant à la solennité de la Cène. La réponse nous est restée : « Nous, les peintres, prenons des libertés tout comme les poètes et les fous ».
La dernière période
Entre 1575 et 1577, Véronèse réalise, au palais des Doges, le Triomphe de Venise pour la salle du Grand Conseil et les Allégories de la Vertu pour la salle du Collège qui comptent parmi ses grands chefs-d’œuvre.
À partir de 1575, Véronèse s'intéresse davantage aux paysages, il abandonne progressivement les grandes compositions et porte plus d'intérêt aux petits formats où il s'exprimera d'une manière très lyrique. C’est de cette époque que datent les scènes mythologiques comme L’Enlèvement d'Europe et La Mort de Procris.
Il envisage pourtant de concourir pour l'exécution d'une représentation du Paradis au palais des Doges. À ce concours qui a lieu entre 1578 et 1582, les artistes vénitiens les plus importants participent, dont le Tintoret et Palma le jeune. Véronèse est déclaré lauréat avec Francesco Bassano, et il lui est confié l'exécution du groupe central. Il ne réalisera pas ce projet, mais on peut voir à Lille une esquisse préparée pour ce concours. Un nouveau concours est organisé après la mort de Véronèse et c'est le Tintoret qui réalisera le travail avec son fils[4].
Véronèse, qui meurt d’une pneumonie en 1588 à 60 ans, est enterré dans l'église San Sebastiano dont il a peint un grand nombre de fresques.
Après son décès, son frère Benedetto Caliari et deux de ses fils, Carlo et Gabriele qui hérite de l'atelier de Véronèse, achèvent certaines peintures que leur père n'avait pas finies, sous le nom des « Haeredes Pauli ». Gabriele sera le dernier survivant de cet atelier et continue à peindre au moins jusqu'en 1603[5].
Son œuvre
Véronèse, qui préfigure le courant baroque, est associé le plus souvent au maniérisme.
Son œuvre comporte de nombreuses fresques d'inspiration religieuse mais également des tableaux profanes, essentiellement mythologiques ou allégoriques. Il met souvent en scène des tableaux monumentaux.
Il utilise des couleurs accentuées, il représente des scènes très détaillées, des personnages nettement dégagés des fonds, avec de forts contrastes, des architectures théâtrales et rythmées. Sa palette claire, ses ombres colorées, son univers poétique, la grâce sensuelle de ses personnages et son sens du décor en font un maître incontournable de la peinture du XVIe siècle.
Ses plus fameuses peintures murales demeurent celles décorant la villa Barbaro, à Maser (Vénétie), ensemble illusionniste prenant place dans une architecture conçue par Andrea Palladio.
Il est également célèbre pour sa série de portraits aux visages éblouissants de naturel. Le maître s'intéresse surtout aux visages.
À sa mort, en 1588, Véronèse ne laisse pas d’école, mais son œuvre va influencer toute la peinture postérieure et de nombreux artistes comme Vélasquez ou Rubens puis, au XIXe siècle, Delacroix et Cézanne.
Différents costumes des personnages d’Œdipe roi de Sophocle, plume et encre brune, H. 26.3 ; L. 20.6 cm[15]. Paris, Beaux-Arts[16]. La pièce Œdipe roi de Sophocle fut donnée au Teatro Olimpico de Vicence à l’occasion de son inauguration le 3 mars 1585. Véronèse conçoit les costumes de scène de manière hâtive, sans indication vestimentaire précise. Ces études sont exécutées au bas d’un acte juridique immobilier ; une autre inscription de la main de Véronèse mentionne des dettes concernant des loyers, du bétail et des céréales.
Notes et références
↑ a et bClare Robertson, Véronèse, Réunions des Musées nationaux Zwemmer, , 64 p. (ISBN2-7118-2708-9), p. 17-18
↑Véronèse avait réalisé deux ans plus tôt, vers 1560, un autre tableau nommé Les Noces de Cana.
↑L’Enlèvement d’Europe : il existe plusieurs versions d'atelier, avec de légères différences, notamment celle de la Pinacothèque des Musées du Capitole