Ce récit a fortement marqué la tradition chrétienne, qui y associera par la suite la mort des apôtres Pierre et Paul, et a notamment été popularisé à l'époque moderne par le roman Quo vadis ?, qui vaudra en 1905 le prix Nobel de littérature à Henryk Sienkiewicz.
Le mot (diogmos en grec, persecutio en latin) désigne initialement simplement une poursuite judiciaire. Ce sont les auteurs chrétiens qui, dès le Nouveau Testament, vont lui donner, ainsi qu'au terme « persécuteur », un sens dépréciatif[1].
Ces persécutions, dans leur diversité, vont jouer un rôle essentiel dans le développement du christianisme et de sa doctrine[2]. L'historiographie chrétienne (et donc la très grande majorité des sources[3]), qui s'est développée en même temps que le culte des martyrs, a présenté ces persécutions comme une « politique d'intolérance religieuse, cohérente et systématique ».
En fait, au cours des Ier et IIe siècles, le christianisme est persécuté de façon sporadique et non systématique dans le temps et l'espace par le pouvoir romain. En dépit de leur dénomination traditionnelle (« persécutions de Domitien, de Trajan, de Marc Aurèle, de Septime Sévère »), après Néron, les empereurs romains n'ont pas été à l'initiative des condamnations et répression au cours des deux premiers siècles[4], et les motivations religieuses des persécutions se retrouvent souvent au second plan et sont assez imprécises[5].
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En l'an 19, l'empereur Tibère expulse tous les Juifs de Rome, à la suite des crimes de quatre d'entre eux[6]. En 41 ou 49, l'empereur Claude les expulse à nouveau de Rome, sous le prétexte, selon Suétone, d'agitation « sous l'impulsion d'un certain Chrestus »[7]. On ne sait pas s'il s'agit de troubles provoqués parmi les Juifs romains par la prédication des disciples de Jésus[8] ou d'autres juifs « messianisants » (c'est-à-dire dans l'attente imminente du Messie, Christ en grec)[9].
Les boucs émissaires : la persécution sous Néron
Vers 115, l'historien romain Tacite raconte dans ses Annales[10] qu'à la suite du grand incendie de Rome en 64, l'empereur Néron soupçonné d'en être à l'origine, en fit accuser les chrétiens qui furent persécutés :
« Mais aucun moyen humain, ni largesses impériales, ni cérémonies expiatoires ne faisaient taire le cri public qui accusait Néron d'avoir ordonné l'incendie. Pour apaiser ces rumeurs, il offrit d'autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus. Réprimée un instant, cette exécrable superstition se débordait de nouveau, non seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d'infamies et d'horreurs afflue et trouve des partisans. On saisit d'abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d'autres, qui furent bien moins convaincus d'incendie que de haine pour le genre humain. On fit de leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par des chiens ; d'autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en place de flambeaux. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s'ouvraient à la compassion, en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul, qu'ils étaient immolés »
Suétone (vers 121) mentionne cette persécution au milieu d’une liste de mesures prises par Néron : « on livra aux supplices les chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et dangereuse »[11]. On trouve peut-être une allusion à ces persécutions, sans date précise et sans lien avec l'incendie, dans la Première épître de Clément (95-97) de Clément de Rome[12].
L'authenticité des passages de Tacite et de Suétone a parfois été contestée, notamment par Polydore Hochart en 1884[13] et par le mythisteProsper Alfaric[réf. souhaitée]. Polydore Hochart a par la suite soutenu que l'intégralité des Annales et des Histoires de Tacite seraient des faux écrits au XVe siècle par l'humaniste italien Poggio Bracciolini dit Le Pogge[14], notamment parce qu'ils constituent l'un des tout premiers témoignages non chrétiens sur Jésus. Il est aujourd'hui admis par les historiens que ces passages, très défavorables aux chrétiens, ne constituent pas des interpolations[15],[16].
Tacite rapporte qu'« on commença donc par poursuivre ceux qui avouaient, puis, sur leur dénonciation, une multitude immense [multitudo ingens], et ils furent reconnus coupables, moins du crime d'incendie qu'en raison de leur haine du genre humain »[17]. Il est difficile d'évaluer le nombre des victimes. L'apologétique chrétienne amplifiera les chiffres (un texte chrétien du Ve siècle parle de « neuf cent soixante dix-sept saints »)[18], et certains historiens l'estiment à moins de 300 morts[19].
Les incendies graves étaient fréquents dans les villes, et tout aussi fréquemment imputés à des minorités : cela avait été le cas à Rome pour les Campaniens en 211 av. J.-C. et des affranchis en 31 av. J-C., et le fut à Césarée en 70 pour les juifs[20]. Diverses hypothèses ont été avancées pour expliquer pourquoi en 64, les Romains s'en prirent « spécifiquement aux chrétiens, à une toute petite minorité mal distinguée des juifs »[20] (Le reproche que leur fait Tacite de « haine du genre humain » est aussi celui très général qu'il fait aux juifs[16]). L'hypothèse généralement retenue est que du fait de leurs pratiques rituelles, et de la mauvaise compréhension de leur langage, les chrétiens étaient considérés comme une secte secrète et criminelle, rappelant peut-être le Scandale des Bacchanales en 186 av. J.-C.[21]. Une hypothèse plus récente est que les chrétiens de l'époque, très marqués par l'eschatologie, aient vu et salué l'incendie comme l'annonce du jugement dernier et de la fin des temps, qu'ils voyaient comme un embrasement général : leurs manifestations et leur prosélytisme leur auraient attiré l'hostilité de la population romaine[22].
Dans la tradition chrétienne, la mort des apôtresPierre et Paul a été rattachée à cette persécution et aurait donc eu lieu en 64 ou peu après. Toutefois, selon Marie-Françoise Baslez, il n'existe aucune source qui établisse un lien entre la répression de 64, faisant suite au grand incendie de Rome, et la condamnation de Paul[23]. Au contraire, la lettre de Clément de Rome (5,7 et 6,1) « distingue clairement le martyre de l'apôtre et la persécution de 64 »[24]. Eusèbe de Césarée dit que sous Néron « Paul fut décapité et Pierre crucifié à Rome »[25], « la tête en bas, après avoir lui-même demandé de souffrir ainsi »[26]. Il n'aurait jamais entendu parler d'une persécution généralisée.[réf. nécessaire]
Un grand nombre d'historiens modernes comme Marie Françoise Baslez ou Simon Claude Mimouni prennent en compte les nombreuses sources écrites qui évoquent la mission de Paul à Éphèse vers 65 et une deuxième arrestation le conduisant à nouveau à Rome[27],[28], ainsi que les plus anciennes indications chronologiques au sujet de sa mort (IVe siècle) qui font référence aux années 67-68[23].
Un échange de Lettres entre Pline le Jeune, alors gouverneur de Bithynie, et l'empereur Trajan, montre que dès 112 il existe une interdiction légale d'être chrétien[30]. L'existence et la nature de cette interdiction a été l'objet de nombreuses discussions historiques. Selon Tertullien, écrivant à la fin du IIe siècle[31], Néron aurait alors institué une loi générale d'interdiction des chrétiens, l'Institutum neronianum. On ne trouve cependant pas trace de cette interdiction et les magistrats romains ne semblent pas la connaître ; par ailleurs, l'interdiction des associations relevaient à l'époque des prérogatives du Sénat et non de l'empereur[32], qui avait par contre la charge de la lutte contre les incendiaires[33]. D'après une hypothèse récente, cet édit d'interdiction aurait été émis par le Sénat, et serait passé progressivement dans les provinces sénatoriales puis impériales, sans que les attendus en aient été précisés, ce qui expliquerait la perplexité des juges[34].
↑« Dès les débuts, l'épreuve de la persécution apparaît constitutive du processus de christianisation et joue le rôle d'événement fondateur dans l'histoire des communautés locales. Le supplice d'Etienne, figure du protomartyr, ouvre la mission dans les Actes des Apôtres » Baslez 2007, p. 263
↑Anna Van den Kerchove, « Marie-Françoise Baslez, Les persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs », Archives de sciences sociales des religions, no 140, , p. 157–310 (ISSN0335-5985, DOI10.4000/assr.9723, lire en ligne, consulté le )
↑Guy Achard : « Pour ce qui est de la répression contre les chrétiens, elle est plus plausible : certains pourtant, surpris de n'en trouver témoignage que chez Tacite, où il s'agit de la première mention des sectateurs du Christ dans un texte païen, et étonnés de voir que ce passage n'avait pas été repris par les Pères de l'Église, ont pensé qu'il s'agissait d'une interpolation due à un chrétien, mais la critique de la religion nouvelle y est trop vive pour que le texte soit dû à quelque falsification » in Guy Achard, Néron, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1995, n° 3029.
↑Tacite, Annales, XV, 44. cité par Maraval 1992, p. 8
↑Martyrologe hiéronymien cité par Maraval 1992, p. 13
↑« Le nombre des martyrs a été largement exagéré par la propagande chrétienne : la persécution de Néron, par exemple, a fait moins de 300 morts » Jean-Paul Thuillier (dir.), Dictionnaire de l'Antiquité grecque et romaine, Paris, Hachette supérieur, 2002, art. "Persécutions".
↑Baslez 2007, p. 284 - E. A. Livingstone, Oxford Concise Dictionary of the Christian Church, Oxford University, revised 2d edition, 2006, art. "persecutions, early christians" : « Christianity at first appeared to the Roman authorities as a form of Judaism, which was tolerated, but Jewish agitation against the Christians revealed its separate identity. The secrecy of the early Christian rites and misunderstanding of Christian language (e.g. Jn 6:35) and of the agape and Eucharist led pagans to suppose them guilty of flagitia, promiscuity, incest, and cannibalism. This fact explain why Nero in 64 could make them scapegoats for the fire in Rome. From then the persecution continued intermittenly.» (« Le christianisme apparaît d'abord aux autorités romaines comme une forme du judaïsme, qui était toléré, mais l'agitation des juifs contre les chrétiens fit apparaître son identité séparée. Le secret des rites chrétiens et la mécompréhension du langage chrétien (par exemple Jean 6:35) et de l'eucharistie conduisit les païens à les croire coupables de "flagitia", de promiscuité, d'inceste et de cannibalisme. ce fait explique pourquoi Néron en 64 peut en faire les boucs émissaires. À partir de là les persécutions continuèrent de façon intermittente »)
↑Baslez 2007, p. 284 et Maraval 1992, p. 9 qui reprennent l'hypothèse de A. Giovannini, Tacite, l'"Incendium Neronis" et les chrétiens, Revue des études augustiniennes 30, 1984, pp 18-22 et L'interdit contre les chrétiens : raison d'État ou mesure de police ? , Cahiers du Centre G. Glotz, VII, 1996, pp 112-128.
Bibliographie
Ouvrages
Laurie Lefebvre, Le Mythe Néron : La fabrique d'un monstre dans la littérature antique (Ier – IVe siècle), Presses Universitaires du Septentrion, (ISBN978-2-7574-1753-9).
Pierre Maraval, Les persécutions durant les quatre premiers siècles du christianisme, Desclée, coll. « Bibliothèque d'Histoire du Christianisme », .
(en) W. H. C. Frend, Martyrdom and Persecution in the Early Church : A Study of Conflict from the Maccabees to Donatus, Wipf and Stock Publishers, (1re éd. 1965) (ISBN978-1-7252-5552-4).
Articles
Christian Stein, chap. 11 « Le premier christianisme et Rome », dans Michel Humm et Christian Stein (dirs.), Religions et pouvoir dans le monde romain 218 av. J.-C.- 250 ap. J.-C., Paris, Armand Colin, (ISBN978-2-2006-2986-1), p. 225-246.
Christian Stein, « La construction de la tradition chrétienne : l'exemple de la persécution de Néron », dans Nathalie Lhostis, Romain Loriol et Clément Sarrazanas (éds.), Discours antiques sur la tradition : Formes et fonctions de l’ancien chez les Anciens, Lyon, CEROR (no 48), (ISBN978-2-36442-056-4), p. 101-118.
Jean-Marie Pailler, « Néron, l’incendie de Rome et les chrétiens », Pallas. Revue d'études antiques, no 88, , p. 175–196 (ISSN0031-0387, lire en ligne).
(en) Birgit van der Lans et Jan N. Bremmer, « Tacitus and the Persecution of the Christians : An Invention of Tradition ? », Eirene, no 53, , p. 299-331 (lire en ligne).
(en) Brent D. Shaw, « The Myth of the Neronian Persecution », The Journal of Roman Studies, no 105, , p. 73-100, (lire en ligne).
Jean-Marie Pailler, « Néron, l’incendie de Rome et les chrétiens - Un prodige méconnu », Pallas, no 88, , p. 175-196, (lire en ligne).
Paul Keresztes, « Nero, the Christians and the Jews in Tacitus and Clement of Rome », Latomus, no 43, , p. 404-413, (lire en ligne).