Les techniques de torture par l'eau sont des techniques de torture qui sont en général centrées sur l'idée de faire suffoquer la victime. Il s'agit de la « cure par l'eau », de la « baignoire » et du « simulacre de noyade »[1].
Une pratique du Moyen Âge, connue sous le nom de « cure par l'eau », consiste à ligoter la victime et à l'obliger à avaler une grande quantité d'eau.
« La baignoire » consiste à ligoter la victime et à la suspendre par les pieds au-dessus d'une baignoire remplie d'eau de telle sorte que la tête soit sous l'eau.
Une variante, nommée « simulacre de noyade » (« waterboarding » en anglais), consiste à la ligoter sur une planche inclinée de façon que sa tête soit plus basse que ses pieds. On recouvre alors la tête de la victime d'un tissu et de l'eau est versée dessus de manière à entraver la respiration de la victime, qui est plongée dans les affres d'une mort prochaine par asphyxie. Toutefois, aux mains de bourreaux compétents, la noyade est improbable car les poumons sont placés plus hauts que la bouche.
Pratiques modernes
Colonisation américaine des Philippines
À la suite de la défaite cuisante infligée par le commodore George Dewey à la marine espagnole à la bataille de la baie de Manille le , Emilio Aguinaldo déclare l'indépendance des Philippines le . Cependant, les Américains, en dépit des assurances qu’ils lui avaient données, ne reconnaissent pas l’indépendance de la jeune république et contraignent l’Espagne à leur céder les Philippines contre 20 millions de dollars par le traité de Paris du [2]. Les forces américaines occupent l’archipel, provoquant une violente insurrection. Lors de la répression qui s’ensuit, les forces d’occupation utilisent fréquemment la torture par l’eau lors d’interrogatoires.
Dans une lettre publiée en dans le Omaha World-Herald, A. F. Miller, commandant du 32e régiment d'infanterie volontaire, explique ainsi la méthode[3] :
« Voici comment nous leur administrons la cure de l'eau : Mettez-les sur le dos, un homme debout sur chaque main et chaque pied, puis mettez un bâton rond dans la bouche et versez un seau d'eau dans la bouche et dans le nez. S'ils ne cèdent pas, versez un autre seau. Ils gonflent comme des crapauds. Je peux vous dire que c'est une torture terrible. »
Seconde Guerre mondiale
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Gestapo a employé le supplice de la baignoire en France occupée, dans à peu près toutes les villes où elle avait ses locaux de torture. Afin de renforcer l'impact de cette pratique sur les interrogés, l'eau contenue dans ladite baignoire n'était pas changée, pour augmenter la suffocation dans de l'eau souillée par les précédentes victimes[4].
Lors de la guerre du Viêt Nam, le waterboarding, ou simulacre de noyade, a été utilisé par les soldats américains sur les combattants Việt Cộng. Cette technique est toujours présentée à certains personnels militaires américains et de l'OTAN lorsqu'ils subissent dans le cadre général de l'entraînement « SERE » un module de résistance à la détention et l'interrogatoire appelé CAC (conduct after capture).[réf. nécessaire]
Guerre contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001 (Afghanistan…)
Le , le directeur de la CIA, Michael Hayden, admet l'utilisation par l'agence de cette technique de simulacre de noyade sur trois détenus (Khalid Cheikh Mohammed, Abou Zoubaydah et Abd Rahim Al-Nashiri)[7],[8] afin d'obtenir des informations sur d'éventuels attentats. Il ajoute que cette technique n'a plus été utilisée depuis par l'agence[9].
Pourtant, le samedi , George W. Bush met son veto à un texte de loi, voté par le Congrès américain, interdisant aux agents des services de renseignement américains de recourir au simulacre de noyade, argumentant qu'« il faut nous assurer que les responsables des services de renseignement puissent disposer de tous les instruments nécessaires pour arrêter les terroristes »[10].
En , l'ancien président américain George W. Bush reconnait avoir personnellement autorisé l'utilisation du waterboarding, qu'il qualifie de « technique coercitive », alors que selon les Nations unies et la plupart des juristes, il s'agit d'une torture[11],[12],[13].
Polémique à propos de la localisation de Ben Laden
En , à l'annonce de la mort d'Oussama ben Laden, tué par des militaires américains, certains anciens responsables politiques sous l'administration Bush et certains quotidiens américains ont considéré que des informations cruciales pour ce succès avaient été obtenues par cette méthode de torture. Par exemple le républicain Peter T. King, membre de la commission pour la sécurité intérieure, affirmera : « Nous avons obtenu les informations grâce à la simulation de noyade (waterboarding)[14],[15]. »
Selon le New York Times, ces révélations n'ont pas été obtenues sous la torture mais bien après, lors d'interrogatoires normaux[16], ce que confirmeraient certains responsables de l’administration Obama, « mais pour les défenseurs de la torture, peu importe : que Khalid Cheikh Mohammed ait parlé sous la pression ou parce qu’il avait été brisé quelques années plus tôt, leurs théories sont validées »[14]. Des informations détaillées semblent indiquer que les renseignements nécessaires à cette localisation ont été obtenus par de multiples biais et ont été le fruit de recoupages minutieux de données, et « rien de tout cela ne vient de techniques d'interrogatoire renforcées » d'après la sénatrice démocrate Dianne Feinstein, membre de la commission pour les renseignements[17].
Leon Panetta, nommé par Barack Obama, directeur de la CIA, puis secrétaire à la Défense des États-Unis, trois jours avant l'élimination de Ben Laden[18],[19], a admis, en , que le simulacre de noyade autorisé par George W. Bush et appliqué en particulier à Khalid Cheikh Mohammed, à 183 reprises pendant le mois de , a permis de récupérer certaines des informations qui ont conduit à la cachette de Ben Laden[20], tout en précisant que la question de savoir si les mêmes informations auraient pu être obtenues par d'autres moyens restait ouverte[21].
D'après le New York Times, un rapport confidentiel du Sénat américain aurait conclu, en 2012, après trois ans et demi d'enquête sur les techniques d'interrogatoire controversées, comme la simulation de noyade, que ces techniques d'interrogatoire ont été volontairement surévaluées auprès du public et du Congrès américain, et qu'elles n'ont pas permis d'obtenir des renseignements qui auraient conduit à la localisation d'Oussama Ben Laden[22],[23].
Autres victimes de la torture par l'eau
Abdelhakim Belhaj, l'un des hommes forts de la Libye d'après-Kadhafi, devenu, à la suite de la prise de Tripoli par les révolutionnaires, chargé de la sécurité dans la capitale[24],[25] a raconté dans des interviews, comment il a été soumis à la torture par la CIA, à Bangkok en 2004, ayant été notamment plongé dans de l'eau glacée[26]. Il affirme avoir perdu connaissance à plusieurs reprises. Quelques jours après, il était mis dans un avion pour Tripoli, en application du pacte secret que les États-Unis avaient passé avec le régime libyen de l'époque. Ce lourd passé n'empêche pas M. Belhadj de se montrer reconnaissant de l'intervention militaire des États-Unis et de l'OTAN en Libye, en 2011[27].
Le , Brian Ross(en) et Richard Esposito font état de l'utilisation du simulacre de noyade par la CIA dans un article posté sur le site web de ABC News :
« Le prisonnier est attaché à une planche inclinée, les jambes levées et la tête légèrement plus basse que les pieds. On lui enveloppe la tête de cellophane et de l'eau lui est versée dessus. Inévitablement, les réflexes de suffocation s'enclenchent et une peur panique de la noyade force le prisonnier à supplier que l'on arrête le traitement. D'après nos sources, les officiers de la CIA qui se sont soumis à la technique de la simulation de noyade (waterboarding) ont résisté en moyenne 14 secondes avant de craquer. Ils rapportent que le prisonnier d'Al-Qaïda le plus dur, Khalid Cheikh Mohammed, s'est attiré l'admiration des interrogateurs en résistant entre deux minutes et deux minutes et demie avant de supplier qu'on le laisse parler. « La personne croit qu'elle est en train de se faire tuer, ce qui équivaut à un simulacre d'exécution, ce qui est illégal d'après les lois internationales », dit John Sifton de Human Rights Watch. [2] »
D'après une enquête américaine sur le moral de leurs militaires, début , 53 % des officiers supérieurs estiment que la torture n'est « jamais acceptable », alors que 44 % ne sont pas d'accord avec ce jugement, et 46 % pensent que le simulacre de noyade relève de la torture, 42 % sont d'un avis contraire[28].
Le docteur Allen Keller, directeur du programme pour les survivants de la torture de Bellevue NYU, a soigné « un certain nombre de personnes » qui avaient été soumises à des formes de quasi-asphyxie, y compris le simulacre de noyade. À la suite d'une interview au New Yorker, la journaliste (Jane Mayer) écrit : « Le docteur Allen Keller m'a dit que c'était bien une torture. Certaines victimes restent traumatisées pendant des années. L'un des patients ne pouvait plus prendre de douche, il était pris de panique lorsqu'il pleuvait. « La peur d'être en train de mourir est une expérience terrifiante », a-t-il dit. [3] »
En , Christopher Hitchens a accepté de se soumettre à la technique de la torture par l'eau afin de pouvoir s'exprimer en connaissance de cause sur le sujet. Il publia ensuite l'article : « Believe Me, It’s Torture » dans le magazine Vanity Fair.
En , le directeur de la CIA désigné par le président américain Barack Obama, Leon Panetta, a qualifié de torture le simulacre de noyade. « Je pense que le simulacre de noyade est une torture et que c'est une mauvaise pratique »[29]. En , le nouveau ministre américain de la Justice, Eric Holder, déclare : « le waterboarding, c'est de la torture […] Mon département de la Justice ne le justifiera, ni ne le rationalisera, ni ne le tolérera »[30].
Aspects juridiques
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↑Marie-Jo Bonnet, Tortionnaires, truands et collabos: la bande de la rue de la Pompe, 1944, Éd. "Ouest-France", coll. « Comme une histoire », (ISBN978-2-7373-6042-8)
↑G.H.P. [publication anonyme], La « Kempétaï » : Saïgon, Hanoï, Haïphong, Nhatrang, Huê, Vinh, Phnom-Penh, Vientiane, mars-septembre 1945 [livret de caricatures sur la condition des détenus dans les prisons japonaises en Indochine française après le coup de force du 9 mars 1945], Imprimerie Française d'Outre-Mer, Saïgon, 1945 (G.H.P. = Capitaine Gustave, Henri PAUWELS).
↑(en) « Tom Malinowski, the Washington advocacy director for Human Rights Watch, said, "Waterboarding is broadly seen by legal experts around the world as torture, and it is universally prosecutable as a crime. The fact that none of us expect any serious consequences from this admission is what is most interesting" »In new memoir, Bush makes clear he approved use of waterboarding. Le Washington Post cite quatre professeurs de droit de plusieurs universités américaines.
↑« People who have read the study said it is a withering indictment of the program and details many instances when C.I.A. officials misled Congress, the White House and the public about the value of the agency’s brutal interrogation methods, including waterboarding », dans (en) Employees Face New Inquiry Amid Clashes on Detention Program, article du quotidien The New-York Times, daté du 4 mars 2014.