On sait très peu de choses sur la vie de cette princesse et les archives manquent. La reine est appelée de différentes manières, Agnès ou Anne de Ruthénie[Note 2], Anne d'Ukraine[Note 3] ou Anne d'Esclavénie. La Rus' de Kiev[1], premier État constitué des Slaves de l'Est, dès le ixe siècle s'est développée sous l'impulsion des Varègues scandinaves et dans le sillage culturel de Byzance, notamment avec la conversion au christianisme byzantin par Vladimir Ier en .
Biographie
Famille
Son ascendance est mentionnée par quelques généalogies qui nomment son arrière-grand-père paternel Romain II, empereur byzantin, lequel affirmait descendre des rois de Macédoine[2]. Cependant, la fille de Romain II, Anne de Byzance, est la deuxième épouse de Vladimir Ier[Note 4]. L'ascendance maternelle de Iaroslav le Sage (fils de Vladimir et père d'Anne de Kiev) est elle-même sujette à un débat historique, entre plusieurs hypothèses le présentant comme fils de la païenne Rogneda de Polotsk, d'Anne de Byzance, ou même un bâtard d'une mère dont on n'aurait pas retenu le nom. Anne de Byzance n'est ainsi peut-être pas la grand-mère d'Anne de Kiev, et Romain II pourrait donc ne pas être son bisaïeul.
Emma[Note 5] (1055-c.1109), aussi connue sous le nom de Edigna de Puch(en)[5], reconnue bienheureuse par l'Eglise catholique en 1600[6] mais dont l'existence est sujette à caution ;
Devenue veuve d'Henri Ier, elle devient co-régente de son fils Philippe jusqu'en 1063, date de son remariage[Note 7] avec le comte de Valois, Raoul de Crépy, après que celui-ci a répudié son épouse légitime. Cette union suscite la colère des évêques ainsi qu'une brouille passagère avec son fils Philippe Ier[8], et le couple est excommunié en 1064[9].
Anne fait reconstruire à Senlis une église ou chapelle ruinée qui est consacrée en 1065, et y fonde en même temps l'abbaye Saint-Vincent. Elle meurt entre 1075 et 1089.
Anne aurait été inhumée à l'abbaye de Villiers-aux-Nonnains[Note 8] à Cerny près de La Ferté-Alais dans l'Essonne. Étant donné que l'abbaye de Villiers n'a été fondée que vers 1220, soit près de 140 ans après cette inhumation, et qu'aucun texte ne parle d'un transfert des restes d'Anne dans l'abbaye, il est difficile d'admettre qu'elle y est inhumée dès sa mort. Cette abbaye est détruite à la Révolution française consécutivement au vote par l'Assemblée nationale législative du décret du , « relatif à la destruction des monumens, susceptibles de rappeler la féodalité »[Note 9]. Les pierres de l'abbaye sont ensuite utilisées pour la construction de certaines maisons de La Ferté-Alais.
En 1682, le Journal des savants rend compte brièvement d'une série de « nouvelles découvertes » historiques faites par le père Menestrier, savant jésuite qui est alors une autorité en matière d'histoire nobiliaire. En tête de celles-ci, figure la description d'une pierre tombale trouvée dans l'église abbatiale de Villiers-aux-Nonnains, près de la Ferté-Alais : le père Menestrier s'est persuadé qu'elle appartenait à la reine malencontreusement appelée Agnès plutôt qu'Anne, épouse de Henri Ier.
« C’est une tombe plate dont les extrémités sont rompues. La figure de cette Reine y est gravée, ayant sur sa tête une couronne à la manière des bonnets que l’on donne aux Électeurs. il y a un retour en demi-cercle, où commence son épitaphe en ces termes : Hic jacet Domina Agnes uxor quondam Henrici Regis, le reste est rompu, et sur l'autre retour on lit : eorum per misericordiam Dei requiescant in pace… »
Les auteurs de la Gallia Christiana revinrent sur le sujet dans leur notice sur l'abbaye de Villiers. Ils firent remarquer que deux informateurs de leur ordre avaient examiné cette épitaphe à un siècle d'intervalle et qu'aucun n'y avait vu le mot Regis ; Magdelon Theulier, qui avait visité l'abbaye dès 1642, croyait même que les mots uxor quondam Henrici avait été rajoutés à l'inscription primitive. D'ailleurs les bénédictins du XVIIIe siècle, pas plus que les frères de Sainte-Marthe au siècle précédent, n'imaginaient qu'Anne de Ruthénie pût apparaître sous le nom d'Agnès ; ils s'étonnaient que l'abbaye de Villiers ayant été fondée un bon siècle et demi après sa mort, il aurait fallu qu'elle y fût transférée après 1220 sans que cet événement ne laissât de trace ; ils pensaient enfin, ayant sans doute consulté Duchesne ou dom Bouquet, qu'Anne, veuve de Raoul, était retournée mourir en Ruthénie.[réf. souhaitée]
La pierre tombale ayant disparu depuis la Révolution, ces deux textes constituent les seules sources relatives à cette tombe et le terme Regis qui paraît avoir trompé Menestrier ne peut plus être expliqué. Car, en dehors de lui, rien ne résiste : personne n'a jamais pu expliquer de manière convaincante comment la dépouille d'Anne de Kiev serait arrivée dans cette obscure abbaye de femmes du Gâtinais ni par quelle autre église ou chapelle elle aurait transité auparavant ; le type de pierre décrit par le Journal des Savants, avec l'effigie de la défunte entourée d'une épitaphe, n'existait certainement pas au milieu du XIe siècle, comme le souligne R.-H. Bautier ; enfin, l'utilisation du pluriel : eorum… requiescant… signifie que la défunte n'était pas seule. L'hypothèse de loin la plus vraisemblable est donc que cette femme en bonnet, épouse — pourquoi pas ? — d'un certain Henri qui n'était pas roi et qui partageait peut-être sa tombe, était une bienfaitrice de l'abbaye ayant vécu au XIIIe siècle et qui fut accueillie à sa mort dans l'église des religieuses.[réf. souhaitée]
L'article du Journal des savants ainsi qu'une traduction de la notice latine des bénédictins ont été republiés avec soin à la fin du Recueil de Labanoff. Une autre copie de ce petit dossier se trouve parmi les annexes d'une traduction de la Chronique de Nestor donnée par Louis Paris en 1834.[réf. souhaitée]
Postérité
Éponymie
Le , dans le contexte du soutien à l'Ukraine lors de l'invasion russe, le président françaisEmmanuel Macron annonce que la France entraîne et équipe 2 300 soldats ukrainiens sur le sol français. Ils sont regroupés dans une brigade en voie d'intégration aux forces armées ukrainiennes, qui porte le nom de « brigade Anne de Kyiv ». Ce nom vise à souligner la « connexion culturelle et historique profonde » qui unit les deux pays[10],[11].
↑Dans cette fresque du mur sud de la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev restaurée durant les années 1950-1960, l'historien d'art soviétique Victor Lazarev croit reconnaître « les quatre filles cadettes » du grand-princeIaroslav le Sage, « Anne en tête » (Lazarev 1971, p. 236). Toutefois, dans une étude parue à Kiev en 1978, l'épigraphisteukrainien S.A. Vysoc'kyj remet en cause cette identification. S'appuyant sur le texte de Vysoc'kyj, l'historienmédiévistefrançaisRobert-Henri Bautier souligne que l'« [l']interprétation [de Lazarev] doit être abandonnée » puisque la tradition byzantine réservait la partie méridionale aux hommes ; les quatre figures de la procession représenteraient donc les fils de Iaroslav. Anne et ses sœurs devaient probablement figurer dans les fresques du mur septentrional, qui ne subsistent qu'à l'état de fragments (Bautier 1985, p. 541, no 5).
↑Traduction française habituelle de "Rus", l'appellation originale de la principauté de Kiev.
↑Selon le professeur d'histoire Christian Bouyer, « Anne cumule dans les sources de nombreux patronymes. Les historiens en recensent à son égard une bonne demi-douzaine : Anne de Russie, Anne de Ruthénie, Anne d'Ukraine, Anne d'Esclavénie, Anne de Kiev et quelques autres très imprécis », (Christian Bouyer, Les Enfants Rois, Paris, Pygmalion, , 280 p. (ISBN978-2-7564-0511-7, BNF42783920, lire en ligne)).
↑Toutefois, selon Françoise Guérard (Guérard 2005), elle serait retournée mourir à Kiev. Christian Bouyer (Bouyer 1992) évoque également la même hypothèse, une « tradition [qui] veut qu'elle soit retournée dans son pays. »
↑Le décret du 14 août 1792 indiquait notamment, dans son paragraphe 3, que « les monumens restes de la féodalité, de quelque nature qu'ils soient, existant encore dans les temples et autres lieux publics, et même à l'extérieur des maisons particulières, seront, sans aucun délai, détruits à la diligence des communes ». Texte complet en page 359 de Jean-Baptiste Duvergier (éditeur scientifique), Collection complète des lois, décrets, ordonnances, réglemens et avis du Conseil-d'État : De 1788 à 1824 inclusivement, par ordre chronologique (…), Tome quatrième, Paris, A. Guyot et Scribe, , 570 p. (lire en ligne), p. 359.
Références
↑Olivier Piot, « Kiev la doyenne », sur www.lemonde.fr, 1er octobre 2009, mis à jour le 20 avril 2010 (consulté le ).
↑ a et bFrançoise Guérard, Dictionnaire des Rois et Reines de France, Vuibert, ..
↑Henri Fleury & Louis Paris (dir.), La chronique de Champagne, Reims, 1837, t. II, p. 90.
↑Christian Bouyer, Dictionnaire des Reines de France, Librairie Académique Perrin, (ISBN2-262-00789-6). Christian Bouyer nuance : le mariage « a sans doute lieu le 19 mai 1051 ».
Alexandre Labanoff de Rostoff (prince), Recueil de pièces historiques sur la reine Anne ou Agnès, épouse de Henri Ier, roi de France et fille de Iarosslaf Ier, grand-duc de Russie : avec une notice et des remarques du prince Alexandre Labanoff de Rostoff, aide de camp de Sa Majesté l'Empereur de toutes les Russies, Paris, Imprimerie de Firmin Didot, , XXII-57 p. (lire en ligne).
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Gallia Christiana… Opera et studio Monachorum Congregationis S. Mauri… [Tome 12]. Paris, Imprimerie royale, 1750.
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