Chronique de TabariChronique de Tabari
Chronique de Tabari (arabe : تاريخ الطبري,Tārikh al-Tabari), également connue sous le titre Histoire des prophètes et des rois (arabe : تاريخ الرسل والملوك,Tārikh al-Rusul wa-l-Mulūk) relate l'histoire du monde depuis la création jusqu'à la naissance de Mahomet, puis l'histoire du monde musulman pendant les trois premiers siècles de l'hégire. Son auteur, Tabari, rapporte les évènements avec leur isnâd (chaîne de transmission), laissant aux savants postérieurs le soin de distinguer les récits authentiques des récits forgés : les faits et les légendes sont traités à égalité[1]. Cet ouvrage, rédigé en arabe, fut traduit en persan vers 963 (soit 40 ans après la mort de l'auteur) par le savant samanide Mohammad Bal'ami (en), d'après les manuscrits de la Bibliothèque du Roi. C'est une version « abrégée », où les références, répétitions, et citations des sources ont été supprimées. Cette version fut par la suite traduite en turc. Les sunnites accusent Al-Bal'ami d'avoir modifié des récits à des fins de propagande chiite[2]. Par la suite, ce sera au tour des chiites et des historiens d'accuser avec de solides[Lesquels ?] arguments Hermann Zotenberg de falsification du texte. La première traduction française de la Chronique de Tabari fut l'œuvre de Louis Dubeux en 1836 et elle est parue sous le titre: Chronique d'Abou-Djafar Mohammed Tabari, fils de Djarir, fils d'Yezid[3], traduite sur la version persane d'Al Bal'ami. Par la suite, l'orientaliste Hermann Zotenberg en fit une version plus aboutie, laquelle parut en 1867-74 (4 vol.). Bien qu'« abrégée » elle représente environ 1 500 pages imprimées. L'ampleur déjà considérable de cet ouvrage, même abrégé, est une entrave à la traduction en français de l'original en langue arabe. Néanmoins en 2002, une version revue de la Chronique de Tabari a été publiée, toujours fondée sur la traduction de Hermann Zotenberg, mais cette fois revue sur la base de la version arabe par Mohamad Hamadé. La version de ZotenbergLa version de Zotenberg comporte six parties. De la création à DavidPour les quatre premières parties le point de vue religieux est prédominant. Pour toutes les périodes précédant l'Islam le récit de Tabarî rapporte une foule de légendes auxquelles les auteurs musulmans font allusion. De Salomon à la chute des SassanidesDans cette partie du récit, Tabarî raconte, entre autres, l'histoire d'Alexandre le « Bicornu » qu'il assimile à Alexandre le Grand et au personnage du Coran Dhû-l-Qarnayn[4] cité dans la sourate XVIII[5],[6]. Tabari donne une explication ingénieuse :
Il a cependant quelques doutes sur sa propre interprétation, il précise que : « Les commentateurs ne sont pas d'accord là dessus au sujet de Dhû-l-Qarnayn[7] ». Plusieurs théologiens et historiens musulmans — dont As-Suhayliy (XIIIe siècle), Ibn Taymiyya[8] (XIVe siècle) et Al-Maqrîziy (XVe siècle) — rejettent l'idée selon laquelle Dhû-l-Qarnayn serait Alexandre, et font remonter le personnage coranique à l'époque d'Abraham car « Allah ne peut pas faire d'éloge à un polythéiste »[Où ?]. D'autres théologiens musulmans penchent sur le fait qu'il s'agirait plutôt de Cyrus II (vers à ) comme as-Syoharwi[9] car il aurait adoré un dieu unique et a réussi à réunir dans ses mains le commandement des Perses et celui des Mèdes. Il n'y a aucune évidence historique que Cyrus fut monothéiste. Au contraire, il honore le dieu Mardouk à Babylone, aussi bien que Baal en Phénicie et bien sûr Mazda en Perse. D'autre part, Cyrus est perse , et l'histoire perse est connue via Tabari, qui lui-même était perse . L'hypothèse que Cyrus, ou un autre roi perse,fut Dhû-l-Qarnayn est donc farfelue et n'est donc pas maintenable. Néanmoins le nom de celui qui a des cornes, donné à Alexandre le Grand peut s'expliquer par son titre de prêtre d'Ammon et sa représentation sur les drachmes avec des cornes de bélier (les monnaies grecques ont circulé dans tout le Moyen-Orient jusqu'au règne d'Abd al-Malik). Mahomet, le sceau des prophètesTabarî est une source importante pour le récit de la vie de Mahomet. Il ne rapporte que ce qui lui semble confirmé par le Coran ou de fortes traditions à travers les hadîths. Cela fait un récit non dépourvu de merveilleux mais qui veut rester « critique ». Les califes omeyyadesPour l'histoire des Omeyyades, la Chronique reste la source la plus précieuse de nos connaissances. Les califes abbassidesL'histoire des Abbassides s'arrête en 862 par le règne de Al-Mutazz. Le calife suivant Al-Muhtadi n'est que cité. Falsifications de Zotenberg ?L'islamologue Claude Gilliot relève que « la traduction de H. Zotenberg a été faite à partir d'un texte persan fort éloigné de l'original arabe[10]. » Ceci avait déjà été remarqué par des théologiens musulmans[Lesquels ?], pour qui cette version ne peut être considérée comme fiable ou recevable, car elle comporterait un nombre important d'erreurs.[réf. nécessaire]. En outre, Zotenberg ne se serait pas limité à abréger de manière neutre le texte mais aurait eu une démarche partisane. Ainsi, selon Maamar Metmati, certains des textes présents dans la version arabe, moteurs du conflit entre sunnites et chiites, auraient, selon été omis, voire altérés[11]. À titre d’illustration, voici quelques exemples de coupures et d’altérations de texte qui ne peuvent être justifiées par un souci de concision ou de correction des modifications d'Al Bal'ami, à commencer par la falsification grossière qu'illustre le premier exemple (l'histoire du moine Ba'hîrâ). L’histoire du moine Ba’hîrâ.Zotenberg a procédé à l'ajout de la partie en gras du texte, pourtant absente de la version arabe :
L'histoire prend place quand Muhammad est âgé de 9 ans dans la Chronique de Tabari (6 ans pour certains historiens et jusqu'à 12 ans pour quelques avis à la marge), et il est également affirmé de manière consensuelle qu'Abou Bakr était âgé de 3 ans de moins que Muhammad. Il est peu probable qu'un enfant entre 3 et 6 ans ait eu sa place dans ce voyage et encore moins qu'il ait pu tenir un discours d'adulte et donner un ordre au chef de clan qu'était Abou Talib. De plus Bilal bien plus jeune que les deux protagonistes n'était pas nés à cette époque (Billal naitra lors du 10e anniversaire de Muhammad). Il s'agit d'un ajout volontaire de Zotenberg au bénéfice d'Abou Bakr mais sans prise en compte de la chronologie. Cette anomalie a été soulevée par Caratini [12] :
L’assassinat d'Abdul Rahman Ibn Khalid Ibn Al WalidL'histoire accusant ouvertement Mu'awiya d'avoir commandité l'empoisonnement de Abdul Rahman Ibn Khalid Ibn Al Walid a été supprimée de la chronique, bien que présente dans la version arabe[13] :
Le cas rappelle un autre cas d'accusation d'empoisonnement lié a Mu'awiya : celui d'Hassan. En tout état de cause, l'affaire de Abdul Rahman est mentionnée chez Yakoubi ou plus récemment chez Mawdoudi[14]. Le serment d'allégeance d'AliLe texte omis par Zotenberg remet en perspective le supposé consensus relatif à la nomination du premier calife, abou Bakr; souvent présenté dans les textes de tendance wahabite comme une allégeance unanime et immédiate de tous les compagnons, y compris Ali :
Pourtant le texte peut être retrouvé chez Bukhari[15], de manière quasi identique à la version arabe[16] de la Chronique de Tabari. Dans la version de Zotenberg; le texte original a été remplacé par la mention suivante au sujet de l'allégeance d'Ali :
L'histoire de la maisonTexte omis de la version française, pourtant présent dans la version arabe mais également chez Ibn Abī Schaiba[18], al-Balâdhurî[19] et al-Ya'qubi[20] :
La fiabilité de cette histoire est remise en question par les théologiens sunnites et il n'est pas à exclure qu'il s'agisse d'un ajout chiite, sans pour autant qu'un avis définitif ne soit apporté. Le jour du jeudiPierre d'achoppement du conflit sunnite/chiite, ce texte est pourtant présent chez de nombreux transmetteurs sunnites et son authenticité n'a jamais été contestée, le désaccord portant sur l'interprétation ou le poids à lui donner[21]. Là encore Zotenberg a exclu le texte, ce qui est d'autant plus surprenant au regard de la notoriété de ce récit mais pourrait s'expliquer par une méconnaissance du corpus islamique de la part du traducteur.
Les porteurs du ProphèteCe passage a fait l'objet d'une réécriture de la part du traducteur afin d'atténuer les querelles survenues à l'époque : Version d'origine arabe chez Tabari
La version française
La subtilité de la forge porte sur les segment en gras et se comprend grâce à un hadith du sahih Bukhari[22] :
Zotenberg fait l'impasse à la fois sur les tensions entre Muhammad et son épouse mais aussi sur les tensions entre Ali et Aisha ce qui induit une déperdition d'informations pour la compréhension d’événements postérieurs tels que la bataille du chameau. Synthèse des modifications de ZotenbergL'analyse des narrations supprimées ou altérées par Zotenberg ont toutes pour dénominateur commun de viser les polémiques entre les deux grandes branches de l'islam : la succession, Mu'awiya ou même la prédominance de tel ou tel personnage sur un autre. Nous sommes sur un cas manifeste de négationnisme ou de révisionnisme de l'histoire dans un but politique. Aujourd'hui, les versions de Zotenberg sont abondamment reprises dans la littérature wahabite dans un but de réhabilitation du califat Omeyyade qui fut la référence jusqu'à ibn Taymiyah[23], et par la suite d'Abdel Wahhab et de la famille Al Saoud. Il est difficile de savoir quel fut l’intérêt de Zotenberg dans cette démarche. La validité des chroniques historiquesDe manière générale, les récits historiques de l'islam ne peuvent pas être comparés aux ouvrages d'histoire actuels. À l'époque de Tabari, les chroniqueurs n'avaient pas encore établi une réelle méthodologie d'analyse des faits et de traitement de l'information. Ainsi, on peut retrouver pêle-mêle véritables faits historiques, narration sans source précise, récits plus ou moins forgés, histoires fantastiques, ou mythes juifs portant le nom d'isrâ'îliyyât. Ibn Hanbal lui-même reprochait aux chroniques leur forte teneur en récits sans fondements. Un cas à titre d'exempleOn peut citer comme cas de récit fantaisiste le fameux exemple des versets sataniques, qui bien que rapporté par un grand nombre de chroniqueurs, s'avère un faux manifeste. En effet, un examen des chaines de transmission utilisées par les chroniqueurs montre que la grande majorité des rapporteurs de l'histoire ont vécu près d'un siècle après les faits et seule une chaine remonte à un compagnon. Néanmoins, ce dernier n'étant pas né au moment des faits, son témoignage sans source mentionnée ne peut être recevable. C'est sur ce type de cas que se pose la limite de l'utilisation des diverses Chroniques, aussi bien dans un but d'argumentation en faveur de l'islam que dans un discours critique. Il faudra en effet attendre ibn Khaldoun et son traitement systémique du fait historique pour approcher des critères modernes de cette science. Il s'attachera particulièrement à la conformité des faits, à la réalité et à la nature des choses, rompant également avec la prédominance de l'usage de l'isnad (chaîne de transmission), car bien qu'une histoire puisse avoir des narrateurs dignes de confiance, elle a pu être transmise en première intention avec des erreurs ou un discours partisan, chose que la chaine de transmission ne peut relever selon le normatif sunnite (le premier maillon, celui des Compagnons, n'est jamais analysé). Plus récemment le théologien chiite Tabâtabâ'î[24] a pointé l'anarchie qui régnait à l'époque de Tabari concernant le traitement de l'information. Si les Chroniques de Tabari, au même titre que la Sira d'ibn Hicham, ne sont pas recevables selon les normes scientifiques actuelles, l'histoire de ces ouvrages et en particulier les diverses altérations du texte sont un sujet d'étude précieux au regard de l'histoire de l'islam. Les interventions de Zotenberg sur la traduction des Chroniques et l'absence de correctif dans l’édition actuelle démontre que le sujet est toujours d'actualité. Notes
Traductions
Liens externes
Bibliographie
Tabari, histoire des prophètes et des rois. |