En mathématiques, et plus précisément en topologie, on dit d'un espace qu'il est compact s'il est séparé et vérifie la propriété de Borel-Lebesgue. La compacité revêt une importance fondamentale en topologie, et possède des applications dans de nombreux domaines des mathématiques. Plusieurs propriétés des segments de la droite réelle ℝ se généralisent aux espaces compacts, ce qui les rend par exemple utiles pour prouver qu'une fonction admet des extrema.
Le nom « propriété de Borel-Lebesgue » rend hommage aux mathématiciens français Émile Borel et Henri Lebesgue, car le théorème homonyme établit que tout segment de ℝ est compact et, plus généralement, que les compacts de ℝn sont les fermés bornés.
Propriété de Borel-Lebesgue
Définition préalable : Soit un ensemble et une partie de . On dit qu'une famille de parties de recouvre si sa réunion contient .
Propriété de Borel-Lebesgue pour les segments : soit un segment de la droite réelle. De tout recouvrement ouvert de ce segment, on peut extraire un sous-recouvrement fini. C'est-à-dire que pour toute famille d'ensembles ouverts recouvrant , il existe une partie finie de telle que la sous-famille recouvre déjà .
Pour une démonstration de cette propriété voir le théorème de Borel-Lebesgue, aussi appelé théorème de Heine-Borel.
De l'une ou l'autre de ces propriétés il est possible de tirer quelques conséquences importantes sur les fonctions numériques. Notamment : l'image d'un segment par une application continue est non seulement (d'après le théorème des valeurs intermédiaires) un intervalle, mais c'est même un segment (théorème des bornes), et la fonction est alors uniformément continue (théorème de Heine).
La propriété de Borel-Lebesgue (de même que la compacité séquentielle) peut se formuler comme une propriété intrinsèque de l'espace topologique étudié (ici : l'espace muni de sa topologie usuelle), indépendamment du fait que celui-ci soit, éventuellement, inclus dans un espace topologique « plus gros » (ici : ) et soit muni de ce fait de la topologie induite. En ce sens, la notion de « partie compacte » (d'un espace topologique) diffère fondamentalement de celle, par exemple, de « partie fermée ».
Axiome de Borel-Lebesgue et définition générale des compacts
Un espace topologique est dit quasi-compact s'il vérifie l'axiome de Borel-Lebesgue : de tout recouvrement ouvert de , on peut extraire un sous-recouvrement fini. L'espace est dit compact quand il est en outre séparé au sens de Hausdorff (). Une partie de E est dite (quasi-)compacte si K muni de la topologie induite est (quasi-)compact.
Pour que soit quasi-compact, il suffit que tout recouvrement de par des ouverts d'une base fixée possède un sous-recouvrement fini.
Démonstration
Soient une base de vérifiant cette hypothèse et un recouvrement ouvert arbitraire de . Notons l'ensemble des ouverts inclus dans au moins un :
et montrons que recouvre .
Puisque est une base, chaque est une réunion d'ouverts , et même puisque , donc chaque est inclus dans la réunion , si bien que la réunion l'est aussi, donc recouvre bien .
Par hypothèse sur , possède alors un sous-recouvrement fini . Pour chaque , si l'on note l'un des pour lesquels , la famille est un sous-recouvrement fini de .
Par passage aux complémentaires, la propriété de Borel-Lebesgue équivaut à : si est une famille[1] de fermés telle que , alors on peut extraire une famille finie (, avec , telle que . Ou encore, par contraposition : si est une famille de fermés dont toute sous-famille finie a une intersection non vide, alors est non vide. De façon équivalente : toute famille non vide de fermés non vides stable par intersections finies a une intersection non vide.
Un espace topologique est quasi-compact si[2] (et seulement si) l'intersection de toute chaîne[3] non vide de fermés non vides de est non vide.
Démonstration
Seulement si : immédiat car toute chaîne est stable par intersections finies.
Si : soient un espace dans lequel l'intersection de toute chaîne de fermés non vides est non vide, une famille non vide de fermés non vides de stable par intersections finies et son intersection. Il s'agit de montrer que . Notons l'ensemble de tous les fermés non vides de tels que et . Tous les appartiennent à , qui est donc non vide. Par hypothèse sur , toute chaîne non vide d'éléments de a pour intersection un élément de . D'après le lemme de Zorn, possède donc au moins un élément minimal pour l'inclusion. Or est stable par intersection avec chaque donc il contient tous les . Par minimalité, est par conséquent inclus dans tous les donc dans , ce qui prouve que n'est pas vide.
NB : En terminologie anglo-saxonne, la définition est légèrement différente. Sauf mention contraire, le compact anglophone est un quasi-compact francophone (les anglophones précisent "compact Hausdorff" s'ils veulent la séparation). Toutes les propriétés ne s'appliquent donc pas en général, sauf sous l'hypothèse que l'espace est séparé.
Définition par la théorie des filtres
Si est un espace topologique, les trois propriétés suivantes sont équivalentes :
1. ⇒ 2.
Soit ℱ un filtre sur .
Alors .
En effet l'intersection d'un nombre fini d'éléments de ℱ étant non vide, toute intersection finie est non vide (où ).
Par compacité de l'intersection ci-dessus est non vide et possède donc un élément .
Cet élément est adhérent à tout , c'est-à-dire que tout voisinage de rencontre ; c'est la définition-même de l'adhérence d'un point à un filtre.
2. ⇒ 3.
Soit 𝒰 un ultrafiltre sur , et l'un de ses points adhérents, qui existe par hypothèse.
Soit un voisinage quelconque de ; par maximalité de 𝒰 on a : ou bien ou bien . Si cette dernière assertion était vérifiée, le fait que contredirait l'adhérence de à 𝒰. C'est alors qui est élément de 𝒰, et donc 𝒰 converge vers .
3. ⇒ 1.
Considérons , une famille de fermés de dont l'intersection de toute sous-famille finie est non vide.
L'ensemble des intersections (où ) constitue donc une base de filtre, laquelle engendre un filtre qui est lui-même inclus dans un ultrafiltre 𝒰.
Par hypothèse 𝒰 converge vers un point . Soit , et soit un voisinage quelconque de , alors car ces deux ensembles sont éléments de 𝒰 ; on en déduit que .
Il en résulte que ; ce dernier ensemble est donc non vide et la propriété de Borel-Lebesgue (version en termes de fermés) est satisfaite pour .
Dans tout espace quasi-compact, un filtre qui n'a qu'un point adhérent converge vers ce point ; dans un espace compact donc séparé, cette condition suffisante de convergence est évidemment nécessaire[4].
Exemples
Tout espace fini est quasi-compact puisqu'il n'a qu'un nombre fini d'ouverts.
Dans un espace séparé, étant donné une suite convergente, l'ensemble constitué des termes de la suite ainsi que de la limite est compact. En effet, de tout recouvrement ouvert, on peut extraire un ouvert contenant la limite ; comme il n'existe qu'un nombre fini de termes hors de cet ouvert, il est aisé de trouver un sous-recouvrement fini.
Dans un espace séparé, deux parties compactes disjointes sont toujours incluses dans deux ouverts disjoints[5].
Toute partie compacte d'un espace séparé est fermée[6].
Toute partie fermée d'un espace (quasi-)compact est (quasi-)compacte[6].
On déduit facilement des deux propriétés précédentes que dans un espace séparé, toute intersection d'une famille non vide de compacts est compacte[7].
Dans un espace quasi-compact, l'intersection de toute suite décroissante de fermés non vides est non vide[8], donc :
« théorème des compacts emboîtés » : dans un espace topologique quelconque, l'intersection de toute suite décroissante de compacts non vides est (un compact) non vide (en considérant ces compacts comme des fermés du premier d'entre eux).
N. B. : la plupart de ces propriétés ne s'étendent pas au cas non séparé.
Contre-exemples
dans la paire {0, 1} munie de la topologie grossière, {0} et {1} sont compacts mais pas fermés ;
dans le produit de cette paire par ℝ (muni de sa topologie usuelle), {1}×[–1, 1] et ({0}×[–1, 0])∪({1}×]0, 1]) sont canoniquementhoméomorphes à [–1, 1] donc compacts (mais non fermés) et leur intersection, {1}×]0, 1], n'est même pas quasi-compacte ;
ce même exemple montre que la compacité n'est pas préservée par réunions finies (seule la quasi-compacité l'est).
ce qui permet d'affiner le théorème des compacts emboîtés :
Toute intersection d'une suite décroissante de compacts connexes est connexe.
Démonstration de ces deux propriétés
Un espace compact est normal : dans un espace compact E, soient A, B deux fermés disjoints. D'après les propriétés ci-dessus, A et B sont alors deux compacts disjoints et E est séparé, si bien que A et B sont inclus dans deux ouverts disjoints, ce qui prouve que E est normal.
Toute intersection d'une suite décroissante de compacts connexes est connexe : soit (Fn) une suite décroissante de compacts ; supposons que son intersection K n'est pas connexe. Il existe donc deux fermés F et G de F0 tels que F⋂K et G⋂K soient non vides et complémentaires dans K. Par normalité de F0, il existe alors deux ouverts disjoints U et V de F0 qui contiennent respectivement F⋂K et G⋂K. Notons W la réunion de ces deux ouverts et Gn le fermé Fn\W. Les Gn forment une suite décroissante de compacts d'intersection vide, donc l'un des Gn est vide. Le Fn correspondant est alors inclus dans la réunion disjointe W = U⋃V. Comme ce Fn rencontre chacun des deux ouverts U et V, il n'est pas connexe, ce qui démontre la contraposée de la proposition.
Autres propriétés
Un espace vectoriel normé réel est de dimension finie si et seulement si ses compacts sont ses fermés bornés.
Plus généralement, un espace X est quasi-compact si et seulement s'il vérifie cette propriété[11].
Démonstration
Si X est quasi-compact alors la projection pY : X×Y → Y est fermée pour tout Y : voir « Lemme du tube ».
Réciproquement, supposons que la projection pY : X×Y → Y est fermée pour tout Y et montrons que X est quasi-compact. Soit (Ui)i∈I un recouvrement ouvert de X. Notons
∞ un élément arbitraire n'appartenant pas à X,
Y l'union disjointe de X et du singleton {∞},
E l'ensemble des parties de X qui sont des réunions d'un nombre fini de Ui,
B l'ensemble des parties de Y qui ou bien ne contiennent pas ∞, ou bien sont complémentaires dans Y d'un élément de E,
∆ la diagonale de X (c.-à-d. l'ensemble des couples (x, x) quand x parcourt X), qui est une partie de X×X donc de X×Y.
On vérifie sans peine que B constitue la base d'une topologie sur Y et on applique l'hypothèse à cet espace topologique Y : l'image par pY du fermé ∆ est un fermé de Y. De plus, pY(∆) (qui contient X) ne contient pas ∞ (car X×{∞} est inclus dans un ouvert disjoint de ∆ : la réunion des Ui×(Y\Ui)). Ceci prouve que {∞} est un ouvert de Y. On en déduit que X appartient à E, ce qui conclut.
Il en résulte que toute application de graphe fermé d'un espace quelconque dans un espace quasi-compact est continue[12].
Soit f : A → B avec B quasicompact et Gr(f) fermé dans A×B, et soit F un fermé de B. Alors f−1(F) est un fermé de A, comme image du fermé (A×F)∩Gr(f) par l'application fermée pA : A×B → A.
Compacité et continuité
L'image d'un compact, par une application continue à valeurs dans un espace séparé, est compacte[14]. Cette propriété permet d'exhiber des extrema globaux pour les fonctions continues à valeurs réelles. En voici quelques exemples :
problème du point de Fermat. Un triangle ABC étant donné, il est demandé de prouver qu'il existe un point M tel que la somme des distances AM + BM + CM soit minimale. On remarque d'abord qu'il est inutile de chercher M trop loin des points A,B,C. La considération de l'application continue M ↦ AM + BM + CM sur un disque fermé de rayon suffisamment grand permet d'appliquer le théorème : il existe un minimum global. Ce constat peut servir de point de départ à une construction explicite ;
distance d'un point à un fermé de ℝn. Soient F une partie fermée non vide de ℝn et x un point de ℝn. Il s'agit de prouver qu'il existe un point f de F plus proche de x que tous les autres. De nouveau, il est inutile de chercher f trop loin de x. On peut donc se limiter à l'intersection de F et d'une boule fermée, ce qui constitue un compact d'après le théorème de Borel-Lebesgue, et introduire la fonction distance à x, qui est continue ;
caractère isopérimétrique d'un polygone régulier, question ouverte depuis l'antiquité. L'objet est de savoir quel est le polygone à n côtés qui possède la plus grande aire, pour un périmètre donné. Des raisonnements géométriques assez simples montrent que l'unique candidat possible est le polygone régulier, résultat démontré depuis l'antiquité grecque. En revanche, l'existence d'une solution à cette question est restée ouverte jusqu'au XIXe siècle. Pour comprendre la nature de la démonstration, le plus simple est de considérer le cas du triangle, illustré sur la figure de droite. Les triangles considérés sont tous de périmètre 3, ils sont identifiés à un couple (c, φ) où c désigne la longueur d'un côté et φ l'angle entre deux côtés dont l'un est celui de longueur c. La fonction f est celle qui, à un couple, associe la surface du triangle. Il n'est nécessaire que d'étudier la zone où c est compris entre 0 et 3⁄2 et φ entre 0 et π. Cette zone est un compact de ℝ2. L'application f est continue, elle atteint donc son maximum, en l'occurrence au point (1, π⁄3). L'existence de ce maximum était le « chaînon manquant » pour une démonstration complète. Pour le triangle, un peu d'analyse permet tout aussi bien de démontrer le résultat. Pour le cas général du polygone à n côtés, il n'est pas bien difficile de construire une démonstration analogue à celle présentée ici, grâce à la notion de compact. La solution analytique est en revanche vraiment lourde. Une démonstration détaillée est présentée dans l'article « Théorème isopérimétrique ».
Un corollaire du théorème sur l'image continue d'un compact est : Toute application continue d'un espace compact dans un espace séparé est fermée. En particulier, si elle est bijective alors c'est un homéomorphisme. Des liens entre compacts et fermés on déduit par ailleurs immédiatement qu'une telle application est même propre.
Pour toute application continue f d'un espace métrique compact X dans un espace séparé, le compact f(X) est métrisable (par exemple : l'image de tout chemin dans un espace séparé est métrisable). Grâce à une caractérisation générale de la métrisabilité de l'image d'un espace métrique par une application continue fermée[15],[16], on a même l'équivalence : un espace métrique X est compact si et seulement si toutes ses images continues séparées sont métrisables.
Théorème de Bolzano-Weierstrass et compacité séquentielle
↑Si l'on ne précise pas « famille non vide », il faut convenir que dans ce contexte, l'intersection d'une famille vide de parties d'un espace est égale à .
↑(en) Günter Bruns, « A lemma on directed sets and chains », Archiv der Mathematik, vol. 18, no 6, , p. 561-563 (lire en ligne).
↑Une chaîne de parties de est une famille de parties de totalement ordonnée par inclusion.
↑Bourbaki, TG I.60, Gustave Choquet, Cours d'analyse, tome II : Topologie, p. 35 et Hervé Queffélec, Topologie, Dunod, , 3e éd., p. 70.
↑Casimir Kuratowski, « Evaluation de la classe borélienne ou projective d'un ensemble de points à l'aide des symboles logiques », Fundamenta Mathematicae, vol. 17, no 1, , p. 249-272 (lire en ligne).
↑(en) S. Mrówka, « Compactness and product spaces », Colloquium Mathematicae, vol. 7, no 1, , p. 19-22 (lire en ligne).
↑(en) M. M. Choban, « Closed maps », dans K. P. Hart, J.-I. Nagata et J. E. Vaughan, Encyclopedia of General Topology, Elsevier, (ISBN978-0-44450355-8, lire en ligne), p. 89 (en traduisant l'anglais compact par notre quasi-compact).
Jean-Paul Pier, « Genèse et évolution de l'idée de compact », Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, vol. 14, no 2, , p. 169-179 (lire en ligne)