Hilary Whitehall Putnam, né le à Chicago, en Illinois, et mort le [1] à Arlington (Massachusetts), est un philosopheaméricain. Il est une figure centrale de la philosophie occidentale à partir des années 1960, particulièrement en philosophie de l'esprit, du langage et des sciences[2]. Il est connu pour appliquer le même degré de vigilance à l'égard de ses propres positions philosophiques qu'à l'égard de celles des autres, soumettant chacune d'entre elles à une analyse rigoureuse jusqu'à en exposer les insuffisances. Il a ainsi acquis la réputation de changer fréquemment de position[3],[4].
En métaphysique, il a d'abord défendu une position appelée réalisme métaphysique, position dont il est devenu ensuite l'un des critiques les plus sévères, défendant alors une autre position, nommée par lui réalisme interne[7], position elle-même abandonnée en faveur d'un réalisme pragmatiste (ou « ordinaire » ou « naïf ») hérité du réalisme direct de William James, des écrits du second Wittgenstein et de ceux de John Langshaw Austin. Selon cette dernière position il s'agit de renvoyer l'étude de la métaphysique à la manière dont nous faisons l'expérience du monde, au rejet de l'idée de représentation mentale, des données des sens et des autres intermédiaires entre l'esprit et le monde[8].
Hilary Whitehall Putnam est né à Chicago (Illinois) en 1926. Son père, Samuel Putnam, était un journaliste et un traducteur pour le Daily Worker, une publication du Parti communiste des États-Unis d'Amérique. En raison de l'engagement communiste de son père, bien que sa mère, Riva, ait été de confession juive, le jeune Putnam a reçu une éducation laïque.
Les Putnam vécurent en France jusqu'en 1934, date à laquelle ils retournèrent vivre à Philadelphie, en Pennsylvanie.
Après avoir enseigné brièvement à l'université Northwestern, il enseigna les mathématiques à Princeton de 1953 à 1961, la philosophie des sciences au MIT de 1961 à 1965 puis la logique mathématique et la philosophie à Harvard jusqu'à sa retraite en 2000.
Les Putnam, en rébellion contre l'antisémitisme dont ils firent l'expérience lorsqu'ils étaient jeunes, décidèrent d'élever leurs enfants dans un foyer juif traditionnel. Ils étudièrent les rituels juifs, l'hébreu, et devinrent de plus en plus intéressés et actifs au sein de la communauté juive. En 1994, Hilary Putnam célébra une Bar Mitzvah. Ruth Anna l'a fait quatre ans plus tard[12].
Putnam était un professeur populaire à Harvard. Tout en conservant sa tradition familiale, il était politiquement engagé. Dans les années 1960 et au début des années 1970, il était un ardent défenseur du mouvement afro-américain des droits civiques et un fervent opposant à la guerre du Viêt Nam. En 1963, il organisa l'un des premiers comités étudiants et enseignants du MIT contre la guerre. Après son affectation à Harvard en 1965, il organisa des mouvements de protestation sur le campus et commença à donner des cours sur le marxisme. Il devint un représentant officiel au sein de la Students for a Democratic Society (SDS) et, en 1968, s'engagea au sein du Progressive Labor Party (PLP), issu d'une scission du Parti communiste.
Après 1968, ses activités politiques étaient concentrées sur le PLP. Le parti s'orientant dans l'activisme contre la diffusion des thèses racistes, Putnam encourageait ainsi à protester activement contre les conférences de son collègue à Harvard, Richard Herrnstein, qui deviendra bien plus tard célèbre en tant que co-auteur du livre The Bell Curve, ouvrage fréquemment accusé de propager ouvertement des thèses racistes sur l'intelligence[13]. L'administration de Harvard considérait ces activités comme subversives et tenta de censurer Putnam mais la procédure fut critiquée et interrompue. En 1972, alors que le PLP avait rompu avec le Parti communiste chinois à la suite, entre autres, de la diplomatie du ping-pong et du rapprochement sino-américain, Putnam rompit avec le PLP[13].
En 1976, il fut élu président de l'American Philosophical Association. L'année suivante, il fut sélectionné comme Walter Beverly Pearson Professor of Mathematical Logic, en reconnaissance de ses contributions à la philosophie de la logique et des mathématiques. Putnam n'a jamais abandonné la conviction selon laquelle les intellectuels ont une responsabilité politique et sociale. Il est aussi demeuré progressiste dans ses idées et sceptique à l'égard des bienfaits du capitalisme. Ses idées politiques peuvent être lues dans des textes tels que How Not To Solve Ethical Problems (1983) et Education for Democracy (1993).
Hilary Putnam est Fellow of the American Academy of Arts and Sciences, et Corresponding Fellow of the British Academy. Il se retire de l'enseignement en et devient Cogan University Professor Emeritus à Harvard. Son corpus inclut cinq volumes de travaux collectés, sept livres, et plus de 200 articles.
Il meurt le chez lui d'un mésothéliome, forme rare de cancer du poumon, à l'âge de 89 ans. Même s'il avait été élu correspondant de l'Académie des sciences morales et politiques en 2001[14] (il succédait à W. V. Quine), il était resté passablement inconnu dans le monde francophone[15].
Philosophie
Métaphysique et ontologie
Au cours de sa carrière, Putnam a d'abord défendu un réalisme métaphysique selon lequel les énoncés scientifiques ont une valeur de vérité, avant de changer sa conception pour un réalisme interne ou pragmatique.
Philosophie de l'esprit
Putnam est probablement plus connu pour ses contributions à la philosophie de l'esprit. Il a été l'un des précurseurs et l'un des plus fervents avocats du fonctionnalisme ou du computationnalisme (grossièrement, il s'agit de la conception de l'esprit humain en tant qu'analogue d'un ordinateur). Cependant, il a revu sa position dans Représentation et réalité, où il explique pourquoi, dans sa version revisitée, la conception fonctionnaliste ne peut pas marcher.
Philosophie du langage
L'une des contributions les plus importantes d'Hilary Putnam à la philosophie du langage est l'idée que la signification n'est pas juste dans la tête (meaning just ain't in the head), argument illustré par la célèbre expérience de pensée de la Terre jumelle.
Épistémologie
Dans le champ de l'épistémologie, Putnam a critiqué, dans un article intitulé « Ce que les théories ne sont pas[16] », la dichotomie établie par Carnap, dans Testability and meaning (1956), entre les « énoncés observationnels » et les « énoncés théoriques », ainsi que l'espoir de Carnap de construire un langage formel, précis, sans passer par des termes imprécis. Sa critique, qui porte un coup sérieux au projet du positivisme logique, repose sur deux points principaux :
les « énoncés observationnels » ne désignent pas seulement des choses publiquement observables, mais aussi des entités non observables ; inversement, il y a des termes théoriques qui désignent des choses observables ;
l'interprétation d'une expérience ne porte pas uniquement sur les « énoncés observationnels », mais aussi sur les « énoncés théoriques » : « la justification, en science, s'effectue dans toutes les directions possibles » ; des énoncés observationnels sont justifiés par des énoncés théoriques et vice versa.
Putnam est toutefois surtout connu pour l'expérience de pensée dite des « cerveaux dans une cuve » (une version modernisée de l'hypothèse cartésienne du Dieu trompeur). L'argument consiste à dire que nul ne peut dire de manière cohérente qu'il est un cerveau dans une cuve placé là par un scientifique fou.
Ceci est dérivé de la théorie causale de la référence. Les mots font toujours référence aux genres de choses pour lesquelles on les inventa afin qu'ils leur fassent référence, autrement dit le genre de choses dont leurs utilisateurs, ou leurs ancêtres, ont pu faire l'expérience. Dès lors, si une personne, Marie par exemple, était un « cerveau dans une cuve », dont chaque expérience était créée par des impulsions électriques ou autres actions d'un scientifique fou, alors l'idée que Marie se fait d'un « cerveau » ne ferait pas référence au « vrai » cerveau, dès lors qu'elle et sa communauté linguistique n'ont jamais vu une telle chose. Plutôt, elle a vu quelque chose qui ressemblait à un cerveau, mais qui était en fait une image qui lui a été transmise par impulsion électrique. De même son idée de « cuve » ne ferait pas référence à une « vraie » cuve. Dès lors si, en tant que « cerveau dans une cuve », elle en venait à dire « je suis un cerveau dans une cuve », elle dirait en fait « je suis une image de cerveau dans une image de cuve », ce qui est incohérent. D'un autre côté, si elle n'est pas un « cerveau dans une cuve », alors dire « je suis un cerveau dans une cuve » est toujours incohérent. C'est une forme d'externalisme épistémologique : la connaissance ou la justification dépend de facteurs en dehors de l'esprit et n'est pas seulement déterminée de manière interne.
Putnam a depuis précisé que sa véritable cible avec cet argument n'a jamais été le scepticisme mais le réalisme métaphysique[17]. Dès lors qu'un réalisme de ce genre assume l'existence d'un fossé entre la façon dont l'homme conçoit le monde et la façon dont le monde est réellement, les scénarios sceptiques tels que celui-ci ou celui du Dieu trompeur de Descartes présentent un défi formidable. Putnam, en montrant l'impossibilité d'un tel scénario, montre que cette notion de fossé entre la conception humaine du monde et le monde tel qu'il est est en soi absurde. L'homme ne peut pas avoir un point de vue de Sirius sur la réalité. Il est limité à ses schèmes conceptuels. Le réalisme métaphysique est donc faux, selon Putnam.
D'une part, il affirme qu'on ne peut distinguer entre des concepts factuels et des concepts axiologiques, mais seulement entre des fonctions descriptives et prescriptives des concepts. Il s'appuie pour cela sur les « concepts éthiques épais » (thick ethical concepts), qui mêlent fonction descriptive et prescriptive[18]. La cruauté illustre ces concepts qui ne peuvent être classés ni parmi les jugements de faits exclusifs, ni parmi les jugements de valeurs exclusifs. C'est un concept éthique épais qui possède simultanément une fonction descriptive et prescriptive[18]. À propos de ces concepts, Putnam rejette la solution de R. M. Hare, visant à départager contenu descriptif et contenu prescriptif[18]. Il adopte enfin une position pragmatiste inspirée par John Dewey afin de pouvoir obtenir une relative objectivité en éthique[18].
Le Réalisme à visage humain, Paris, Seuil, 1994 (trad. Claudine Tiercelin-Engel; éd. or 1990), réédition Gallimard, « Tel », 2011
Définitions Pourquoi ne peut-on pas « naturaliser » la raison (entretien avec Christian Bouchindhomme, éd. de l'Eclat, 1993)
Fait/Valeur : la fin d'un dogme — et autres essais, Combas, Éditions de l'Éclat, 2004 (trad. Marjorie Caveribière et Jean-Pierre Cometti; éd. originale 2002)
Deux articles dans De Vienne à Cambridge. L'héritage du positivisme logique, prés. par Pierre Jacob, Gallimard, 1980
« Ce que les théories ne sont pas », p. 241-261
« Explication et référence », p. 337-365
« Les significations ne sont tout simplement pas dans la tête » (extrait de « The meaning of "meaning" »), in Pascal Ludwig (éd.), Le langage, Flammarion (GF Corpus), 1997 (p. 124-134)
L'éthique sans l'ontologie, Cerf, 2013
La philosophie juive comme guide de vie, Cerf, 2011
(en) Hilary Putnam, « A half century of philosophy, viewed from within », in Daedalus : Proceedings of the American Academy of Arts and Sciences, 126.1 (hiver 1997), p. 175–208.
Travaux sur Putnam
(en) Maximilian de Gaynesford, Hilary Putnam, Acumen (Philosophy Now Series), 2006.
(it) Paolo Valore, Rappresentazione, riferimento e realtà. Studio su Hilary Putnam, Thélème, Turin 2001 (ISBN8887419361 et 9788887419368).
Olivier Tinland, "Hilary Putnam. La traversée du réalisme", in S. Laugier et S. Plaud (dir.), Lectures de la philosophie analytique, Paris, Ellipses, 2011.
↑Dans son ouvrage Cent philosophes : la vie et l'œuvre des plus grands penseurs du monde, Peter King, professeur de philosophie à Oxford, a consacré deux pages à Hilary Putnam. Dans la version française, l'éditeur a, sans l'accord de l'auteur, et sans aucune mention dans le texte, remplacé ces deux pages par une présentation de Derrida[2].
↑H. Putnam, « Ce que les théories ne sont pas », traduit et publié dans De Vienne à Cambridge. L'héritage du positivisme logique, prés. par Pierre Jacob, Gallimard, 1980, p. 241–261.
↑C. Wright, « On Putnam's proof that we are not brains-in-a-vat », Proceedings of the Aristotelian Society 92, 1992.
« Qu'est-ce que la vérité mathématique ? », traduction partielle et provisoire de What is mathematical truth? in H. Putnam : Mathematics, Matter and Method. Philosophical papers, vol. 1, Cambridge University Press, 1975, p. 60–78