En 1992 le film est sélectionné par le National Film Registry pour être conservé à la bibliothèque du Congrès américain, en raison de son intérêt « culturel, historique ou esthétique important ».
Synopsis
L'action se déroule en 1916, lors de la Première Guerre mondiale, en France. À cette période de la guerre, la tactique de la guerre de tranchées n'a mené qu'à l’enlisement du conflit. Des assauts réguliers, inutiles et meurtriers, sont cependant menés par les troupes françaises et allemandes pour essayer de prendre le dessus sur l'ennemi.
En faisant miroiter un avancement, le général de division français Broulard incite son subordonné, l’ambitieux général de brigade Mireau à lancer un de ses régiments à l'assaut d'une position allemande très solide nommée la cote 110 en version française, qui se trouve au sommet d'une colline, et cela sans renforts et avec peu de préparation d'artillerie.
Lors de l'assaut des soldats français, le régiment mené par le colonel Dax est repoussé par le feu ennemi ; subissant de lourdes pertes, il doit se replier. Mais le général Mireau, observant le combat et s'apercevant qu'une partie des soldats n'a pas quitté sa tranchée, ordonne de tirer au canon sur ses propres troupes, pour les forcer à attaquer. L'ordre, oral, est adressé à l'officier d’artillerie français, qui refuse néanmoins d'obéir.
Pour détourner le blâme de l'échec de l'attaque, le général Mireau traduit le régiment du colonel Dax en conseil de guerre (cour martiale), pour « lâcheté devant l'ennemi », et ordonne qu'une centaine de soldats soient fusillés. Mais quand Dax refuse, jugeant cette initiative révoltante et barbare, le général Broulard fait un compromis : seuls trois hommes tirés au sort, un par compagnie, seront jugés pour l'exemple.
Avocat dans le civil, le colonel Dax demande l'autorisation au général Broulard de défendre les trois hommes qui sont désignés. Mais malgré son talent et sa motivation au cours du procès, il ne parvient pas à faire fléchir les juges, pour qui la sentence ne fait aucun doute : les soldats seront fusillés le lendemain.
En dernier recours, le colonel Dax décide de retrouver le général Broulard pour lui apporter les preuves que le général Mireau a ordonné à son artillerie de tirer sur ses propres troupes. Cela n'empêche pas l'exécution des trois soldats, mais Broulard ordonne une enquête sur les agissements de Mireau, puis offre le commandement de la brigade à Dax, croyant que celui-ci a agi par pure ambition. Écœuré par le cynisme de Broulard, Dax refuse cette offre d'avancement.
Retournant auprès de ses hommes, Dax est attiré par les cris et les sifflements de soldats entassés dans un bar. Une jeune Allemande capturée, en larmes, présentée sur une estrade, est raillée par les soldats français. Mais quand celle-ci se met à chanter l'air Der treue Husar les soldats se taisent, émus par la chanson, et vont même jusqu'à l'accompagner en murmurant l'air, bien que la chanson soit en allemand.
Dax décide de partir sans informer ses hommes qu'ils ont reçu l'ordre de retourner au front. Son visage se durcit alors qu'il retourne dans ses quartiers.
Christiane Kubrick (Christiane Harlan, créditée sous le nom de « Susanne Christian ») : la jeune Allemande capturée
Remarque : le doublage français a été effectué en 1975, lors de la sortie du film dans les salles françaises.
Production
Inspiration
Avant d'être retranscrit au cinéma, le livre d'Humphrey Cobb fut adapté en 1935 pour Broadway par Sidney Howard, un dramaturge et scénariste connu pour ses opinions de gauche. La pièce fut un échec mais Howard déclara publiquement que le roman méritait une adaptation cinématographique.
Le titre du film reprend celui du tableau homonyme peint en 1917 par le Britannique Christopher Nevinson, qui illustrait des cadavres de soldats étalés dans le no man's land, ce qui lui valut d'être censuré à l'époque[2],[3].
La chanson interprétée par la jeune Allemande à la fin du film est Der treue Husar (littéralement « le fidèle hussard »), adaptée en France par Francis Lemarque sous le titre Marjolaine.
Le réalisateur Stanley Kubrick s'appuie principalement sur l'affaire des caporaux de Souain où le général Réveilhac aurait fait tirer sur l'un de ses propres régiments (le 336e régiment d'infanterie) dont les hommes refusaient de sortir des tranchées lors d'un assaut suicidaire contre une colline occupée par les Allemands, avant de faire exécuter quatre caporaux le . Ces soldats (trois originaires de la Manche : Théophile Maupas, Louis Lefoulon, Louis Girard ; et un d'Ille-et-Vilaine : Lucien Lechat) seront réhabilités en 1934 grâce à l'action de la femme de Théophile Maupas, l'institutrice Blanche Maupas. Un monument est d'ailleurs toujours visible à Sartilly (Manche) commémorant leur réhabilitation, ainsi qu'à Suippes (Marne). Au début de la guerre de 1914-1918 la justice militaire était devenue une justice d'exception depuis des décrets d'août et : le sursis, le recours en révision, les circonstances atténuantes et le droit de grâce étaient supprimés.
L'épisode du soldat sur une civière qu'on ranime pour le fusiller s'inspire lui d'un autre cas, celui du sous-lieutenant Jean-Julien-Marius Chapelant exécuté le après une parodie de procès. Gravement blessé aux jambes depuis plusieurs jours, incapable de tenir debout, épuisé moralement et physiquement, le sous-lieutenant Chapelant avait alors été ficelé sur son brancard et celui-ci posé le long d'un arbre pour qu'on pût le fusiller. Inhumé au bois des Loges dans une fosse commune, il n'est présent que par son seul nom au cimetière d'Ampuis, village où il est né. Sa tombe (vide) a été honorée par l'Union des Mutilés et Anciens Combattants qui y ont apposé une plaque de marbre portant l'inscription : « Les anciens combattants à leur frère d'armes Jean Julien Marius Chapelant, martyr des cours martiales ». Jean Julien Marius Chapelant a été « déclaré » et reconnu « mort pour la France » par le ministre délégué aux anciens combattants Kader Arif le , et ce geste a été officialisé à l’occasion des cérémonies du Jour du Souvenir () de la même année[5].
Devant l'ampleur du mouvement contestataire, les producteurs du film décident, dans un acte d'auto-censure, de ne pas le distribuer en France et ne demandent pas de visa d'exploitation au ministre chargé du cinéma français.
Les autorités françaises font également pression pour que le film soit aussi censuré dans toute l'Europe. Ainsi, à la suite des pressions exercées par la France, le Conseil fédéral suisse décide de la censure du film qui sera effective jusqu'en 1970. Celui-ci est également retiré de la Berlinale et des bases de l'armée américaine en Europe[2],[8],[9].
L'universitaire Séverine Graff relève que
« l'enjeu du débat n'est jamais de savoir si la représentation de Kubrick est fidèle ou non au sort réservé aux fusillés pour l’exemple en 1916. La question est de savoir si le film est antimilitariste, si la représentation sévère des officiers supérieurs français pourrait nuire au rôle de la France dans cette période de décolonisation et si Kubrick pointe délibérément la France afin de dénoncer l'attitude de l'armée en Algérie (1957 marque bien sûr la bataille d'Alger et la révélation des tortures commises par les parachutistes français en Algérie ; 1958 voit la sortie de [l'ouvrage] La Question d'Henri Alleg et le retour de De Gaulle au pouvoir)[2]. »
Face à la censure, Stanley Kubrick écrit une lettre publiée dans le mensuel L'Express en , dans laquelle, selon le résumé de l'historien du cinéma Laurent Véray, il « se défend d'avoir voulu critiquer directement la France et ses soldats, insistant sur le fait que son scénario aurait pu avoir pour cadre n'importe quelle guerre »[2]. Selon l'universitaire Séverine Graff : « Si sa lettre à L'Express adopte un ton outré face à la censure française, il est pourtant vraisemblable de penser que Kubrick avait non seulement conscience que la censure allait s'appliquer mais que le jeune réalisateur, à peine trentenaire, a sciemment fait fructifier cette interdiction pour vendre aux États-Unis son film comme une [sic] objet sulfureux, quitte à renoncer aux entrées françaises. D’ailleurs, la bande-annonce originale insère des références à la polémique et à l’audace du projet »[2].
Ce n'est que dix-huit ans plus tard, en 1975, que le film est finalement projeté en France[10].
Accueil critique
Les Sentiers de la gloire est perçu comme une critique directe de l'armée française, par la cruauté des scènes finales et la satire violente des états-majors français.[réf. souhaitée]
Il reçoit plusieurs récompenses, dont le prix Chevalier de La Barre décerné lors du Festival de Cannes[Lequel ?], ce prix étant destiné à récompenser annuellement une œuvre cinématographique qui « exaltait l’esprit de tolérance et de fraternité humaine ou dénonçait l’intolérance et l’injustice de quelque origine qu’elles soient ».[réf. souhaitée]
Box-office
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Les estimations varient en ce qui concerne le succès final du film au box-office, certaines sources le citant comme un succès financier modeste et d'autres notant qu'il n'a réussi à récupérer que la plupart, sinon la totalité, de ses coûts de production[11],[12]. Le film a rapporté 3,4 millions de dollars de recettes pour sa sortie initiale aux États-Unis en 1957[13], dont 1,4 million de dollars revenant au distributeur[14].
Après la controverse déclenchée au moment de la présentation du film en Europe en 1958, et après que United Artists a décidé de ne pas demander un visa d'exploitation et de ne pas le distribuer en France, le long-métrage sort finalement fin mars 1975 avec une interdiction aux moins de 13 ans et est distribué par AMLF[15]. Pour sa première semaine d'exploitation en salles, son démarrage est faible avec seulement 31 836 entrées, ce qui le hisse à la 28e place du box-office[16]. Au fil des semaines le film reste sur un nombre d'entrées similaire à son démarrage avec une petite hausse, lui permettant de s'approcher des 100 000 entrées la semaine du 9 avril 1975 et d'atteindre le top 20 hebdomadaire[17]. La semaine du Les Sentiers de la gloire atteint la 12e place avec 33 157 entrées, pour un cumul de 165 034 entrées depuis sa sortie[18], avant de quitter le top 30 la semaine du avec 26 759 entrées, pour un total de 222 229 entrées depuis le début de sa diffusion en salles[19].
Analyse
De prime abord, Les Sentiers de la gloire est un film antimilitariste qui dénonce les comportements de la haute hiérarchie militaire, ainsi que l'animalisation des soldats, considérés comme de simples pions et dont l'état autant physique que psychologique est exécrable. Le film met par ailleurs en évidence la résistance désespérée d'un homme, le colonel Dax.
À la différence du film de guerre classique, l'affrontement n'est pas entre deux camps ennemis mais entre les officiers généraux et les soldats d'un même camp, les uns jouant leur promotion, les autres leur vie. D'ailleurs, on ne voit pas d'Allemands, car le film dénonce en partie la guerre mais surtout la relation entre haut gradés et soldats.
En termes de réalisation, le film innove dans la représentation de la guerre en situant la caméra, et donc les spectateurs, sur le no man's land lors de l'assaut : « Par cette séquence, Kubrick revendique un traitement extrêmement réaliste, voire documentarisant, de la guerre. Un aspect mis en évidence par l'affiche du film, dont la phrase d’accroche « It explodes in the no-man’s land no picture ever dared cross before » promet au spectateur d’accéder à des zones de conflits qu’aucune image n’avait osé filmer »[2].
Stanley Kubrick innove également par le fait de se servir de la Grande Guerre pour porter un discours de contestation sur le présent, ouvrant ainsi la voie à de nombreuses expressions artistiques contestataires telles que la chanson de Georges BrassensLa Guerre de 14-18 (écrite en 1961) ou les films Pour l'exemple de Joseph Losey (1964) ou Johnny s'en va-t-en guerre de Dalton Trumbo (1970)[2].
À noter
Le déroulement du procès devant la cour martiale est d'inspiration anglo-saxonne, plutôt que française. Par exemple, il n'y a jamais d'« objection » en France pendant un procès.
Le numéro du régiment d'infanterie « 701e » n'a pas existé (l'armée française n'a jamais compté plus de 418 régiments d'infanterie pendant ce conflit).
Dans le film, les ordres « Présentez… Armes ! » et les claquements de talons au garde-à-vous des soldats français sont erronés ; ils sont ceux de leurs adversaires de l'armée allemande.
Les casques Adrian des poilus mélangent ceux de 1915 et ceux de 1926. Les fusils ne sont également pas tous d'époque.
Stanley Kubrick rencontre sa future femme Christiane Harlan sur le tournage.
↑Marcello Bruno (trad. de l'italien par Silvia Guzzi, préf. Roberto Lasagna), Stanley Kubrick, Rome, Gremese, coll. « Grands cinéastes de notre temps », , 175 p. (ISBN978-88-7301-450-8, OCLC52637234, lire en ligne), p. 211.
↑« Comme hors-la-loi, ce film fait scandale », Le Point, no 1984 du 23 septembre 2010.
↑Marcello Bruno (trad. de l'italien par Silvia Guzzi, préf. Roberto Lasagna), Stanley Kubrick, Rome, Gremese, coll. « Grands cinéastes de notre temps », , 175 p. (ISBN978-88-7301-450-8, OCLC52637234, lire en ligne), p. 11.
« Stanley Kubrick entre la France et la Suisse : le film Les Sentiers de la gloire interdit », Hadrien Buclin, dans Guerres mondiales et conflits contemporains, no 253, 2014, p. 101-113.
(en) Paul Duncan, Stanley Kubrick : Visual Poet 1928-1999, Taschen, , 192 p. (lire en ligne).