En algèbre linéaire, la trace d'un opérateur u est la somme de ses valeurs propres comptées avec multiplicité. Par exemple, la trace d'une rotation de est 1+2 cos(θ) et fournit donc l'angle de rotation θ.
Dans l'étude des groupes de Lie, et toujours en rapport avec la théorie des représentations, la trace permet de définir la forme de Killing, qui est une forme quadratique sur l'algèbre de Lie correspondante. Le critère de Cartan en montre l'importance. Par exemple, la forme de Killing est définie négative si et seulement si la composante neutre est compacte (théorème de Myers).
En calcul différentiel, sur l'espace des matrices, la trace apparaît comme la différentielle du déterminant en la matrice identité.
La trace intervient également dans la définition de la divergence d'un champ de vecteurs, qui mesure le défaut à ce que son flot préserve le volume.
Si maintenant A et B sont des matrices (n, m) et (m, n) (non nécessairement carrées, mais fournissant des matrices carrées par multiplication), on a l'identité[4] :
L'égalité précédente a pour conséquence l'identité suivante, valable pour toute matrice carrée A et pour toute matrice inversibleP de même ordre[5] :
On peut montrer par une preuve assez brève, faisant intervenir les unités matricielles(en) (c.-à-d. les matrices de la base canonique de ℳn(K), qui sont les matrices dont un seul coefficient vaut 1 et tous les autres 0) qu'une forme linéaire sur l'espace ℳn(K) invariante par similitude est nécessairement proportionnelle à la trace[6],[7].
Si la trace d'une matrice carrée peut être définie sans technicité particulière sur n'importe quel anneau commutatif, il n'en est pas de même pour la trace d'un endomorphisme. En utilisant une représentation matricielle, c'est faisable à assez peu de frais pour un endomorphisme d'espace vectoriel ; une construction plus abstraite, utilisant l'algèbre tensorielle, permet d'étendre le concept à certains endomorphismes de module — mais pas tous.
Dans un espace vectoriel
Si E est un espace vectoriel de dimension finien, la trace d'un endomorphisme , notée , est définie comme la trace de la matrice de u dans une base préalablement fixée de E[8]. Cette définition ne dépend pas du choix arbitraire de car si est une autre base, la « formule de changement de base » montre que les matrices de u respectivement dans et sont semblables donc (cf. supra) ont même trace.
Les propriétés suivantes sont vérifiées pour tous les endomorphismes , tout scalaire et tout w ∈ GL(E) (c'est-à-dire que w est un automorphisme de E)
Autrement dit : la trace est une forme linéaire sur l'espace vectoriel , invariante par conjugaison.
La trace d'un projecteur vérifie Tr(p) = rg(p) 1K, où rg(p) est le rang de p[11].
Pour deux endomorphismes u et v de E, on pose [u,v]=uv-vu (on l'appelle le commutateur de u et v). La trace de [u,v] est nulle : c'est une autre façon d'exprimer l'identité fondamentale Tr(uv)=Tr(vu).
Dans les espaces euclidiens :
La trace d'une rotation de ℝ2 d'angle θ est donnée par Tr(Rθ) = 2 cos θ.
De même, la trace d'une rotation d'axe Δ et d'angle θ dans l'espace à 3 dimensions est donnée par Tr(RΔ , θ) = 1 + 2 cos θ.
Pour des matrices :
Toute permutation (où représente le groupe symétrique d'ordre n) est représentée par une matrice carrée d'ordre n, définie par :
La trace de la matrice Mσ s'interprète alors comme le nombre de points fixes de la permutation σ :
(où les λi appartiennent à un anneau commutatif contenant les coefficients de A), l'égalité suivante :
.
Démonstration
Cas particulier de coefficients dans un anneau intègre
On suppose d'abord l'anneau des coefficients intègre. On peut alors considérer A comme une matrice à coefficients dans un corps commutatifK, à savoir le corps des fractions de cet anneau.
Les λi sont les valeurs propres de A, comptées avec multiplicité. Par la théorie de la trigonalisation, on sait trouver une matrice carrée triangulaireT, à coefficients dans L et semblable à A, dont la diagonale principale est formée des λi. En utilisant l'invariance de la trace par similitude, on conclut :
.
De plus, si on développe l'écriture de pA en facteurs du premier degré, la somme des λi apparaît comme l'opposé du coefficient de Xn — 1 dans ce polynôme. On en conclut donc que, si l'on note cn — 1 ce coefficient :
.
Cas général
On ne suppose désormais plus que A est à coefficients dans un anneau intègre ; on peut néanmoins obtenir des résultats analogues par une autre voie.
Dans le développement du déterminant qui définit le polynôme caractéristique par la formule utilisant des permutations, on constate qu'il n'apparaît de monôme en Xn — 1 que dans un seul des n! termes de la somme, celui qui est produit des termes diagonaux de XIn — A, c'est-à-dire :
La trace de A apparaît alors comme le coefficient de Xn — 1. On a prouvé différemment la formule :
.
On suppose maintenant en outre le polynôme caractéristique de Ascindé et l'on note :
une[12] décomposition de ce polynôme en facteurs du premier degré.
En développant ce produit, on obtient une nouvelle expression de cn — 1 ; par rapprochement de celle-ci et de la formule précédente, on obtient :
.
Trace d'un polynôme de matrice
Soit q un polynôme (à coefficients dans un anneau commutatif contenant les λi ci-dessus et les coefficients de A). Alors :
.
Démonstration
Si l'anneau est intègre, les techniques et notations employées ci-dessus sont utilisables. La matrice q(A) est semblable à q(T), tandis que la diagonale principale de T est formée des q(λi). On en déduit la formule.
En particularisant la formule précédente au monôme q = Xk, on obtient :
.
En caractéristique nulle, les polynômes symétriques élémentaires peuvent être reconstitués polynomialement à partir des sommes de Newton, via les identités de Newton. De ce fait, il existe des formules polynomiales universelles permettant d'exprimer les coefficients du polynôme caractéristique d'une matrice (n,n) en fonction des traces de ses puissances (et même des puissances d'exposant inférieur ou égal à n). Pour en donner un exemple :
En voici une application[14] : si A est une matrice (n,n) à coefficients dans un corps de caractéristique nulle et vérifie : , alors A est nilpotente.
Étant donné un espace vectoriel réel E de dimension finie, le déterminant définit une application det de l'espace des opérateurs sur E vers R, qui est homogène de degré n. Le nombre det(u) s'exprime comme une fonction polynomiale en les coefficients de la matrice représentant u dans une base quelconque de E. La fonction det est donc différentiable. Sa différentielle en l'identité est la trace. Autrement dit, pour tout opérateur u sur E,
où o(u) signifie que le reste est négligeable devant u quand u tend vers zéro. Comme conséquence, pour tout opérateur u sur E,
.
En particulier, l'exponentielle de u est de déterminant 1 si et seulement si u est un opérateur de trace nulle. Ce résultat s'interprète dans la théorie des groupes de Lie comme suit. L'application det est un morphisme continu de groupes, du groupe linéaire GL(E) vers R. Son noyau, l'ensemble des opérateurs de déterminant 1, donc est un sous-groupe de GL(E), noté SL(E). Il s'agit d'un groupe de Lie classique, c'est-à-dire d'un sous-groupe fermé de GL(E). Géométriquement, un opérateur appartient à SL(E) si et seulement s'il préserve le volume de Lebesgue de E. Son algèbre de Lie est exactement l'ensemble des opérateurs u de trace nulle, noté .
Sur un ouvert U de E, un champ de vecteursX est une application . Si cette application est lipschitzienne, le théorème de Cauchy-Lipschitz affirme l'existence de solutions maximales de l'équation différentielle ordinaire
(1).
Le flot de X est la famille de difféomorphismes ft qui envoient x sur c(t), où c est la solution de (1) avec comme condition initiale c(0)=x. Le flot est défini localement. On introduit la divergence de X
où dX(x) désigne la différentielle de X en x, qui est un opérateur sur E. Le flot ft préserve le volume de Lebesgue ssi la divergence est nulle. Plus précisément, pour tout ouvert dont l'adhérence est incluse dans U,
.
(Cette égalité permet d'étendre la définition de la divergence, par exemple sur des variétés orientées en présence de formes volumes.)
Si est une algèbre de Lie sur un corps K, la représentation adjointe de , notée ad, est donnée par
.
La forme de Killing sur est la forme bilinéaire symétrique
.
Les automorphismes de l'algèbre de Lie préservent la forme de Killing. En particulier, sa représentation adjointe préserve B. La forme de Killing a été introduite par Élie Cartan[15] pour caractériser la semi-simplicité des algèbres de Lie. Quand K=R, elle fournit aussi des informations sur le groupe de Lie associé. Voir critère de Cartan.
Soit G un groupe de Lie (par exemple, un sous-groupe fermé de GL(E)). Par définition, son algèbre de Lie est l'espace des champs de vecteurs sur G invariants à gauche, muni du crochet de Lie [,] (commutateur de champs de vecteurs). La forme de Killing associée B définit une métrique pseudo-riemannienne bi-invariante sur G. Si la forme de Killing B est définie positive, alors la métrique associée est une métrique riemannienne à courbure positive. Le théorème de Meyers implique que G est compact. D'autres liens existent.
Si H est un espace euclidien ou hermitien, l'opérateur adjoint d'un opérateur u sur H est un opérateur sur H. On définit alors le produit scalaire suivant sur l'espace des opérateurs sur H :
.
Avec cette définition, il apparait clairement que les opérateurs autoadjoints et les opérateurs antiautoadjoints forment deux sous-espaces orthogonaux de . L'adjonction est la symétrie orthogonale par rapport à l'espace des opérateurs autoadjoints.
Soit U un ouvert de l'espace vectoriel réel contenant 0, et soit de classe C2. La hessienneH de f en 0 est une forme bilinéaire symétrique sur E, vérifiant
.
Par définition, le laplacien de f en 0 est la trace de la hessienne :
Les fonctions de classe C2 de laplacien nul sont dites harmoniques. Nécessairement analytiques, ces fonctions interviennent notamment en analyse complexe et en analyse fonctionnelle. En particulier, les fonctions de laplacien nul sont les solutions du problème de Dirichlet qui est la recherche des extrémales de l'énergie de Dirichlet.
Étant donné une surface orientée lisse S de l'espace euclidien , la courbure moyenne de S en x est la moyenne des deux courbures principales de S en x. Formellement, ces courbures sont les valeurs propres d'une forme quadratique sur le plan tangent TxS, appelée la seconde forme fondamentale de S en x, notée IIx. La courbure moyenne de S en x est
.
La définition de la courbure moyenne s'étend aux sous-variétés lisses N des variétés riemanniennes. Sa valeur en x n'est plus un scalaire mais un vecteur orthogonal à TxN, qui se définit encore au moyen de traces. Les sous-variétés de courbure moyenne nulle sont appelées minimales et sont les extrémales du volume riemannien.
(Cette somme ne dépend pas du choix de la base hilbertienne.)
Dans ce cas, on pose
Les opérateurs à trace[16] sont compacts. Ils forment un idéal de ℒ(H) noté ℒ1(H), qui est complet pour la norme ‖ ‖1 définie ci-dessous. La trace Tr est une forme linéairecontinue définie positive sur ℒ1(H).
Henri Roudier, Algèbre linéaire : cours et exercices [corrigés], Paris, Vuibert, , 688 p. (ISBN2-7117-8966-7).
Notes et références
↑Par exemple Roger Godement, Cours d'algèbre, Hermann, 3e éd., 1978, p. 526 ou Bourbaki 2006, p. II.158. D'autres auteurs la notent tr(A) ou trace(A).
↑Lang 2004, p. 515, ou Bourbaki 2006, p. II.158, présente la définition sous une forme légèrement plus générale, et écrit la formule pour une matrice carrée supposée indexée par un ensemble fini quelconque, pas nécessairement celui des entiers entre 1 et n.
↑Ou le module si K est seulement un anneau commutatif.
↑L'anneau n'étant pas supposé intègre, cette écriture n'est pas nécessairement unique.
↑Lang 2004, p. 576-579 (pour l'ensemble de la section, jusqu'à l'appel de notes).
↑E. Leichtnam, Oral Maths Polytechnique - ENS Algèbre et Géométrie, p. 70-71, ou Roudier 2003, p. 512. La preuve fournie dans ces sources ne repose pas sur les identités de Newton mais est plus rapide, par récurrence sur la dimension en s'appuyant sur le lemme des noyaux.
↑Élie Cartan, Sur la structure des groupes de transformations finis et continus, Thèse, éd. Nony, 1894.