Considérée comme une saga culte de l'histoire du cinéma fantastique pour son grand soin esthétique ainsi que sa manière de dépoussiérer Dracula (créé par Bram Stoker en 1897 pour son roman Dracula), cette franchise a fait entrer le duo Christopher Lee / Peter Cushing (reproduisant le duel entre le mal et le bien de Frankenstein s'est échappé) dans la postérité[1]. Elle est également à l'origine de plusieurs attributs du personnage de Stoker qui seront repris plusieurs fois par la suite, comme ses canines proéminentes (faisant leur première apparition au cinéma[2]), ainsi que l'aura érotique du personnage.
Le Comte Dracula est un personnage créé par Bram Stoker pour son roman Dracula, dans lequel il est à la fois le personnage central, car c'est autour de lui que se construit l'ensemble de l'intrigue, et l'antagoniste des héros qui, eux, représentent le Bien. Vampire élégant (aristocratique), probable réincarnation du prince de ValachieVlad Tepes[4], dont le goût prononcé pour l'usage de l'empalement est bien connu[5],[6], il témoigne d'une grande cruauté souvent raffinée ainsi que d'une passion pour les femmes, dont il fait régulièrement ses victimes. L'interprétation charismatique de Christopher Lee lui donne une grande sensualité ; toutefois, ce personnage reste un monstre, avec ses canines parfois ensanglantées et sa grande violence, même s'il réussit parfois à dissimuler sa véritable nature en se donnant l'apparence d'un être humain pour mieux piéger ses victimes. Vaincu par Van Helsing à la fin d'un duel mémorable dans son château[7], il réapparait plusieurs fois, d'abord au XIXe siècle, puis dans les années 1970. Parmi ses différentes résurrections, deux sont dues à une messe noire. Il est joué dans toute la saga (à l'exception de Les Maîtresses de Dracula où il n'apparait pas) par Christopher Lee, qui, gêné par la mauvaise qualité des derniers volets, l'incarne avec une grande réticence avant de laisser sa place, pour l'ultime épisode, à John Forbes-Robertson dans La Légende des sept vampires d'or (1974).
Abraham Van Helsing est déjà l'antagoniste du vampire dans le roman original, où ce vieux professeur, admiré et respecté par les autres personnages (John Seward, Jonathan et Mina Harker, etc.) réussit, grâce à ses nombreuses qualités intellectuelles, à venir à bout du comte dans les froides neiges de la Transylvanie., duel qui démarque le roman du Cauchemar de Dracula (1958) : en effet, c'est au terme d'un combat très cinématographique dans son propre château que Dracula est mis hort d'état de nuire par Van Helsing[7]. Le professeur s'attaque à un autre vampire dans le film suivant, Les Maîtresses de Dracula (1960), et ne rencontrera plus jamais Dracula, qui affrontera d'autres ennemis[8]. Lorsque le comte revient dans les années 1970, c'est le descendant du vampirologue, Lorimer Van Helsing, qui prend le relais, déjà assuré par Lawrence Van Helsing lors des avatars asiatiques du personnage dans La Légende des sept vampires d'or (1974). Les Van Helsing sont joués par Peter Cushing tout au long de la saga, malgré une disparition entre Les Maîtresses de Dracula (1960) et Dracula 73 (1972). Dans Les Maîtresses de Dracula (1960), il semblerait que son prénom ne soit pas Abraham mais J. (Van Helsing) : il s'agit pourtant bien du même personnage.
Historique de la franchise
Dans cette saga, il y a deux parties qui s'opposent très nettement : l'âge d'or des années 1950, puis le déclin progressif de la firme Hammer Film Productions durant les deux décennies suivantes[9]. En effet, si le premier film est considéré comme un chef-d’œuvre, les suivants perdent en qualité au fur et à mesure des années, en raison d'un budget de plus en plus réduit et de nombreux soucis techniques. On peut également voir une nette rupture entre deux parties : si les premiers volets font bien vivre à l'époque victorienne le personnage créé par Bram Stoker, les suivants le ressuscitent à l'époque de réalisation de ces films, c'est-à-dire les années 1970, ou le font vivre des aventures improbables en Asie.
Le Cauchemar de Dracula, ou l'âge d'or de la Hammer dans les années 1950
Ce succès pousse la Hammer à réunir Lee et Cushing dans une nouvelle version d'un classique de la littérature, lui aussi adapté par Universal dans les années 1930 : Dracula, de Bram Stoker, publié une cinquantaine d'années plus tôt. Terence Fisher, qui avait dirigé Frankenstein, est de retour à la réalisation, avec toute l'équipe technique de Frankenstein s'est échappé : Terence Fisher à la réalisation, Jimmy Sangster au scénario, Jack Asher à la direction de la photographie, James Bernard à la composition et Bernard Robinson aux décors[13], ce qui explique qu'on retrouve dans ce Cauchemar de Dracula[14] (Horror of Dracula) ce qui avait fait le succès du précédent : la crédibilité des personnages, le jeu des acteurs, les couleurs sublimant certains détails tels que le sang[13].
Le film privilégie, comme pour Frankenstein s'est échappé, les éléments horrifiques du scénario, et créé une aura maléfique autour du personnage du Comte Dracula, dont chacune des apparitions provoque la terreur : toutefois, celles-ci restent assez rares, destinées à créer une attente. Enfin, pour la première fois au cinéma, on peut voir les canines du vampire[2], ce qui contribue à en faire un monstre ; de plus, le scénariste reprend une idée déjà exploité dans Nosferatu le vampire, faire de la lumière un des points faibles du vampire[13], bel homme au demeurant, doté par l'interprétation de Lee d'une aura érotique originale. Son ennemi, le professeur Abraham Van Helsing, véritable héros de l'histoire, est interprété par Peter Cushing. Comme dans Frankenstein s'est échappé où il incarnait le professeur Frankenstein, il donne à voir un personnage rigoureux, sombre et rude, symbolisant la force du bien face à la sauvagerie maléfique du vampire. Le film se clôt sur une séquence culte du cinéma : un long duel entre les deux personnages dans le château du comte[7].
Durant la seconde moitié des années 1960, l'âge d'or de la Hammer semble toucher à la fin[20] : en effet, des films tels que Rosemary's Baby (1968) de Roman Polanski ou L'Exorciste (1973) de William Friedkin dépoussièrent les genres fantastiques et horrifiques[21] et les films de la Hammer ont du mal à changer de style, restant dans un fantastique victorien et gothique dépassé. Consciente du risque de faillite qui la guette, la compagnie britannique décide d'offrir des suites à ses deux plus grands succès : Frankenstein s'est échappé et Le Cauchemar de Dracula.
Christopher Lee, désormais vedette internationale, est peu tenté par ce retour dans un rôle qui l'a pourtant rendu célèbre : il faudra donc attendre huit ans avant qu'il n'accepte de faire son retour, dans Dracula, prince des ténèbres[22] (Dracula: Prince of Darkness). Terence Fisher est rappelé à la réalisation dans ce film sans Peter Cushing : Van Helsing est en effet absent de l'histoire, et ce jusqu'en 1972, dans Dracula 73. Malgré quelques trouvailles (tels que le serviteur du comte, Kloves) ainsi qu'une ambiance érotique plus pesante (avec Helen, notamment, ainsi que sa belle-sœur Diana), le film est moins bon que le précédent volet[23]. Cependant, son relatif succès au box-office convainc les producteurs d'exploiter le filon de Dracula pour sauver la Hammer.
La compagnie lance le tournage de Dracula et les Femmes[24], (Dracula Has Risen from the Grave), pour la première aventure du vampire sans Terence Fisher, (empêché pour des raisons de santé), qui laisse la place à Freddie Francis. Celui-ci signe un épisode plus violent que les précédents, avec un prêtre alcoolique, une héroïne à la sexualité libérée. Cette galerie de personnages, très en phase avec cette année 1968 où sortit le film, assombrit encore considérablement la saga vampirique[25]. L'épisode est un succès commercial[26], quoique moins réussi artistiquement, battant tous les records de la Hammer, qui pense avoir réellement trouvé son salut avec cette franchise. Mais elle se heurte à l'opposition farouche de Lee, qui refuse de reprendre son rôle dans une saga qui, selon lui, n'est plus digne du roman de Bram Stoker[26]. Pour le film suivant, Une messe pour Dracula[27] (Taste the Blood of Dracula), la production imagine donc une suite sans Dracula (comme Les Maîtresses de Dracula) mais, face aux menaces des producteurs américains, elle supplie Lee d'accepter de revenir, lequel cède à contrecœur, pour un résultat très mitigé[26]. Une autre suite est tournée en hâte : Les Cicatrices de Dracula[28] (Scars of Dracula), qui se démarque du reste par sa grande violence[29]. Pendant ce temps, Lee incarne encore Dracula, mais pour Jesús Franco cette fois-ci, dans une autre adaptation plus fidèle au roman et pour une autre société de production : Les Nuits de Dracula[30] (Count Dracula).
Après cette période difficile pour la Hammer, celle-ci décide de tenter une dernière idée, plutôt surprenante : faire revivre Dracula dans l'époque contemporaine, celle des années 1970.
La fin d'une saga, ou les paris risqués de la Hammer dans les années 1970
En 1972, la Hammer décide d'entreprendre la modernisation de son personnage en le transposant à l'époque moderne. Dans Dracula 73[31] (Dracula A.D. 1972) de Alan Gibson, des jeunes contestataires menés par le dandy Johnny Alucard ressuscitent Dracula lors d'une messe noire, à laquelle ils participaient uniquement par amusement, dans les années 1970. Ce volet est marquant non seulement par son changement radical de décor mais aussi par le retour, après douze ans d'absence, de Peter Cushing dans le rôle de Lorimer Van Helsing, descendant du personnage qu'il avait interprété dans Le Cauchemar de Dracula et Les Maîtresses de Dracula[32]. Il est chargé, comme son ancêtre, d'éliminer le vampire, et est aidé en cette tâche par Stephanie Beacham dans le rôle de sa fille Jessica. Christopher Lee, toujours présent, se fait voler la vedette dans ce nouvel opus par les jeunes contestataires : en effet, la Hammer tente de rajeunir son public en mettant en avant de nouveaux héros plus jeunes. Mais cette modernisation n'est pas réellement réussie, moins horrifique que Les Cicatrices de Dracula et avec une ambiance érotique moins pesante que dans les précédentes productions[32]. De plus, les admirateurs de la saga sont déçus de ne pas retrouver l'ambiance victorienne à laquelle ils étaient habitués.
L'année suivante, la même équipe est à nouveau engagée pour une suite directe : Dracula vit toujours à Londres[33] (The Satanic Rites of Dracula), l'année suivante. Cette fois-ci, Dracula tente de renverser le pouvoir en répandant la peste noire, avec l'aide de riches capitalistes, mais Lorimer Van Helsing est une fois de plus à ses trousses. Le scénario, tentant d'introduire l'espionnage dans l'intrigue, rencontre le handicap d'un budget très faible et, d'un point de vue technique, de décors nettement moins réussis que ceux des premiers films. Une fois encore, c'est un échec commercial, qui convainc la Hammer de ne plus utiliser Dracula et Christopher Lee de ne plus interpréter le personnage pour la firme.
La société de production commence à montrer de sérieux signes annonciateurs d'une faillite prochaine : pour tenter d'y parer, elle décide de s'associer avec la société hongkongaiseShaw Brothers afin de réaliser des films d'arts martiaux dans le sillage de Bruce Lee. Shaw Brothers, toutefois, réclame la présence de Dracula[34] dans le premier film de son association avec la Hammer, qui se nommera La Légende des sept vampires d'or[35] (The Legend of the 7 Golden Vampires). Les producteurs cèdent avec réticence, mais décident de ne pas rappeler Christopher Lee, anticipant un refus définitif de sa part. L'acteur qui a la lourde tâche de le remplacer est John Forbes-Robertson[34]. Roy Ward Baker, qui dirige le film, avait déjà réalisé Les Cicatrices de Dracula quelques années, ainsi que Les Passions des vampires dans lequel jouait Forbes-Robertson. Peter Cushing revient une nouvelle fois, cette fois dans le rôle de Lawrence Van Helsing, un autre descendant plus proche d'Abraham. Malgré des moyens plus importants, l'équipe traverse de nombreux problèmes techniques dus à sa méconnaissance des studios de la Shaw Brothers[34], et a du mal à mêler habilement les folklores gothiques européens et chinois. L'étrange maquillage de l'interprète du comte achève de faire perdre sa crédibilité au film[34], qui clôt la saga Dracula de la Hammer, bien que certains projets opposant le comte à Sherlock Holmes, à la déesseKâlî, ou même au prêtre sataniste Mocata (Les Vierges de Satan) fussent un temps annoncés.
À partir de la seconde moitié des années 1960, le réalisateur assiste à l'irrémédiable déclin de la Hammer. S'il interrompt rapidement sa collaboration à la saga Dracula[Note 4], il reste très actif sur la franchise Frankenstein : il en réalise la quasi-totalité, jusqu'à sa conclusion Frankenstein et le monstre de l'enfer en 1974, qui sera aussi son dernier film[37]. Il dirige également l'un des derniers classiques de la Hammer : Les Vierges de Satan, en 1968. Il meurt le , toujours dans la capitale britannique.
Christopher Lee est né le à Londres. Il enchaîne plusieurs métiers avant d'être mobilisé durant la Seconde Guerre mondiale[41],[42]. En 1946, il tente de devenir acteur, mais sa grande taille le cantonne aux rôles peu importants[43].
En 1957, il est repéré par Hammer Films pour jouer dans Frankenstein s'est échappé[15]. Son principal défi est alors de faire oublier son prédécesseur Boris Karloff, dont le masque qui lui a servi pour le film Frankenstein est indissociablement lié au personnage du monstre de Frankenstein : il opte alors pour un autre masque, plus fidèle au personnage original. Le grand succès du film le propulse au rang de vedette, qu'il confirme l'année suivante avec son interprétation désormais culte du comte Dracula dans Le Cauchemar de Dracula[41].
Dorénavant libre de jouer les personnages qu'il souhaite, il décide de ne pas réinterpréter Dracula ni le monstre de Frankenstein, de peur d'être définitivement associé à ces deux personnages à l'instar de Béla Lugosi. Il se spécialise dans les rôles de personnages inquiétants et manipulateurs, représentant le mal avec une certaine élégance : on le voit ainsi jouer Fu Manchu ou Grigori Raspoutine[41]. Pendant quelques années, il reprend finalement son rôle de comte Dracula pour tenter de sauver la Hammer de la faillite, puis abandonne définitivement ce personnage après Dracula vit toujours à Londres, la saga s'étant trop éloignée, selon lui, de l'œuvre de Bram Stoker.
Daniel Bastié, Frankenstein, Dracula et les autres sous les feux de la Hammer, Belgique, Editions Grand Angle, 2015, 227 p.
Marcus Hearn, traduction : Miceal O'Griafa, L'antre de la Hammer : Les trésors des archives de Hammer Films, Akileos , coll. « Amphithéâtre », 2012, 176 p.
Notes et références
Notes
↑Il utilise en réalité le Baron Meinster, autre vampire. Le professeur Van Helsing, lui, est toujours présent. La raison de ce titre est commerciale, destiné à attirer l'attention des admirateurs du premier film, Le Cauchemar de Dracula, sorti deux ans auparavant.
↑Ce film n'est pas toujours inclus dans le décompte, à cause de l'absence du Comte Dracula dans le scénario.
↑Roy Ward Baker s'est fait aider pour ce film par Chang Cheh. Celui-ci travaillait pour le studio Shaw Brothers qui était associé à la Hammer sur ce projet.