« Le feu des Flandres a pris son corps, mais ici repose un rayon de son souvenir de poète. Kégham Atmadjian (A. Séma), 1910-1940. Mort pour la France »
Kégham Atmadjian naît en 1910 à Bafra, où il fait ses études primaires[1]. Survivant des déportations du génocide arménien, lors desquelles il perd son père Mihran Atmadjian[2], Kégham Atmadjian vit ses premières années dans des orphelinats de Corfou et d'Alep[3]. Il retrouve ensuite sa mère Parantsem (née Etmekdjian, 1890-1973)[2] et sa sœur[1].
En 1918, il retourne dans sa ville natale puis s'installe à Constantinople pour ses études[1]. Il est élève de l'orphelinat anglais, où il a pour professeur le poète Kévork Garvarents (le père de Georges Garvarentz), qui lui donne le goût de l'écriture[1].
Il est militant proche des communistes dès 1926, avant son arrivée en France[3]. Il s'installe à Lyon en 1926[1].
Il fonde en 1930 la revue littéraire arménophone Tchank (Ջանք, « Effort ») avec Missak Manouchian en 1930-1931[9],[10]. Dans cette revue, ils publient des articles sur la littérature française et la littérature arménienne, ainsi que quelques traductions en arménien d'auteurs français[4]. Par exemple, Missak Manouchian traduit le poème Enivrez-vous de Baudelaire[11]. Dans le numéro 2, on retrouve en première page une reproduction de La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix, rendant hommage aux « Trois Glorieuses »[12],[13]. Ils travaillent beaucoup ensemble, notamment dans un atelier d'imprimerie, consommant de grandes quantités de lait pour se prémunir des risques d'intoxication au plomb[4]. Marie Atmadjian raconte en 1953 sa visite dans leur appartement :
« Quand nous sommes arrivées en France début 1930, nous avons trouvé mon frère Séma et son camarade Missak Manouchian dans une chambre sombre et humide du Quartier latin, au bout de la rue des Fossés-Saint-Jacques, au numéro 2. La vision de cette pièce était terrifiante. Ça ressemblait à tout sauf à une chambre normale. Des liasses de papier et des piles d'articles, des outils d'imprimeur, des caractères dans des caisses, des pages et des clichés rangés dans des cartons… Un primus dans un coin, à côté de l'évier sous lequel étaient alignées des bouteilles pleines de lait. Lorsque ma mère, inquiète de voir cet état, a demandé s'ils ne se nourrissaient que de lait, Missak a répondu dans un bon sourire : « Petite maman, il n'y a rien de meilleur au monde que le lait… le plomb est un poison, le lait son antidote. Nuit et jour, nous avons affaire à ces caractères d'imprimerie ; si on ne boit pas de lait, on meurt… ». Kégham, tout joyeux, nous a apporté les premiers numéros de Tchank, et nous nous demandions s'il fallait nous en réjouir ou pleurer…[n 2],[6],[14]. »
La revue prend fin du fait des difficultés financières rencontrées par les deux hommes[15] mais aussi d’un conflit rédactionnel entre eux[16].
Il se marie avec Emma Jeanne Charlotte Le Chevalier en 1934 et ils ont ensemble deux enfants, Erminne et Gilbert.
Avec Bedros Zaroyan, il publie en 1935-1937 une autre revue arménienne, intitulée Մշակույթ (Mechagouyt, « Culture »)[17]. On retrouve aussi sa signature dans Loussapats (« Aube », 1938-1939), publiée par Zaroyan et Zareh Vorpouni[18].
Il semblerait qu'il ait fondé, en 1938, une imprimerie nommée l'Imprimerie du Temple au 24 rue Notre-Dame-de-Nazareth à Paris, comme en témoignent les Archives commerciales de la France[19]. Dans son ouvrage sur la littérature arménienne, Krikor Beledian rapporte aussi qu'il a fondé sa propre imprimerie, sans toutefois en donner le nom[1].
Sa sœur, l'autrice et poétesse Marie Atmadjian, qui avait participé aux revues de son frère (notamment Tchank), est très marquée par sa mort et lui consacre certaines de ses œuvres : par exemple, dans son premier recueil, Les Lys de Golgotha (1948), la première partie est intitulée « Encensoir pour bénir les cendres dispersées de Séma » ; elle lui dédie aussi des poèmes[23].
Avec Missak Manouchian au début des années 1930[24],[16].
« 1930ի սկիզբը երբ ֆրանսա եկանք, Փարիզի Քառթիէ Լաթէնի Ֆօսէ Սէն-Ժաք փողոցին ծայրը, թիւ 2 տան մէջ, հին, մութ ու խոնաւ տան մը վերնայարկին մէջ գտանք եղբայրս՝ Սեման եւ իր ընկերը Միսաք Մանուշեանը: Ահաւո՛ր էր այդ սենեակին պարզած տեսարանը: Ամէն ինչ էր ան բացի կանոնաւոր սենեակ մը ըլլալէ: Թուղթի փաթթոցներ ու թէզեր, տպագրական առարկաներ, տառեր՝ ստուկներու մէջ, խաւաքարտի մէջ զետեղուած՝ շարուած էջեր, քլիշէներ…: Անկիւն մը փրիմիւս. ծորակին տակ շարուած քանի մը շիշեր կաթով լեցուն: Երբ մայրս յուզուած այս սրտաճմլիկ տեսարանէն հարցուց թէ իբր սնունդ կա՞թ կը խմեն միայն: Միսաք քաղցր ժպիտով մը ըսաւ.— «Մայրի՛կ, կաթէն աղէկ ինչ կայ աշխարհի վրայ… Կապարը թոյն է, կաթը՝ հակաթոյն. գիշեր ցորեկ այս տառերուն հետ ենք. եթէ կաթ չխմենք, կը մեռնինք» Գեղամ ուրախութեամբ բերաւ մեզի ցոյց տալու «Ջանք»ի առաջին թիւերը: Իսկ մենք՝ չէինք գիտեր՝ լա՞նք թէ ուրախանանք…[6] »
(hy) Marie Atmadjian, « Միսաք Մանուշեան : Մարմնացում մեր սերունդի խռովքին » [« Missak Manouchian : L'incarnation de l'inquiétude de notre génération »], Loussaghbiour, no 6, , p. 197-201 (lire en ligne [PDF])
Krikor Beledian, Cinquante ans de littérature arménienne en France : Du même à l'autre, CNRS Éditions, , 487 p. (ISBN978-2-271-05929-1), voir surtout les p. 261-265 et sa notice biographique p. 442