Yves Mathieu-Saint-Laurent, dit Yves Saint Laurent[a] ou YSL, né le à Oran[2],[3], et mort le à Paris, est un grand couturier français, créateur de collections de haute couture qui ont marqué l'histoire de la mode au XXe siècle.
Issu d'une famille de notables alsaciens établie en Algérie à partir de 1871, Yves Mathieu-Saint-Laurent passe sa jeunesse à Oran, puis vient à Paris travailler chez Dior. Ses dons de dessinateur et de créateur le font choisir pour remplacer Christian Dior lorsque celui-ci meurt subitement. Yves Saint Laurent connaît le triomphe à l'âge de vingt-et-un ans avec la collection « Trapèze ».
Quelques années plus tard, il fonde sa propre entreprise, avec Pierre Bergé. Sa première collection de haute couture est présentée en 1962 ; elle sera suivie par plusieurs innovations marquantes : la robe Mondrian, la collection « Pop Art », qui rappellent son goût pour l'art, Le smoking et le tailleur-pantalon hérités du vestiaire masculin, la saharienne, vêtement fonctionnel qu'il transforme en vêtement chic, les cuissardes et les blouses transparentes qui font couler tant d'encre dans la presse[4] en pleine révolution sexuelle.
Dans les années 1970, la collection « Libération » fait scandale ; par la suite, plusieurs autres défilés rendent hommage aux peintres, tels que Henri Matisse ou Vincent van Gogh, à ses inspirations lointaines comme la Russie avec la collection « Opéra-Ballets-Russes » ou l’Asie, collection symbolisée par le parfum Opium.
Il est le premier à engager pour ses défilés des mannequins d'origine asiatique ou africaine. Moderniste et en phase avec son époque, il crée sa ligne de prêt-à-porter de luxe sous le nom de Saint Laurent rive gauche, qui devient un exemple pour de nombreux autres couturiers. Il connait simultanément les excès de l'alcool, de la drogue, des médicaments, ses « faux amis ».
Dans les années 1980, il présente la collection « Picasso », nouvelle référence à l'art graphique. Durant ces années, son entreprise se développe grâce au succès des parfums, des cosmétiques et des accessoires de mode. Il est alors récompensé d'un Oscar de la mode. À la fin des années 1990, lassé de concevoir du prêt-à-porter, il se concentre sur la haute couture, qu'il abandonne à son tour en 2002.
Perpétuellement inspiré par les femmes, de Victoire Doutreleau à Betty Catroux, de Catherine Deneuve à Katoucha Niane, Yves Saint Laurent laisse à sa mort en 2008 un héritage majeur pour la mode ainsi que de nombreux classiques de la garde-robe féminine. Les musées, le cinéma ou les éditeurs ne cessent de lui rendre hommage.
Compagnon de Pierre Bergé, qu'il a rencontré en janvier 1958, il se pacse avec lui en 2008, quelques jours avant de mourir[5].
Biographie
Origines familiales
La famille Mathieu d'Alsace
Alexandre Mathieu (1672-1742), originaire de Metz, qui a siégé au conseil souverain de Colmar, créé après l'union de l'Alsace à la France en 1648, ainsi que sa femme Jeanne Françoise de Faviers, sont à l'origine des deux branches de l'importante famille de juristes des Mathieu d'Alsace :
C'est du frère aîné du baron de Mauvières, Michel Léonard (1747-1811), avocat au conseil souverain d'Alsace puis conseiller à la cour d'appel de Colmar[6], que descend le rameau Mathieu dit Saint-Laurent, allié aux Veron.
La famille Mathieu-Saint-Laurent d'Algérie
Son petit-fils, Charles Jules Mathieu dit Saint-Laurent (1831-1877), avocat et adjoint au maire de Colmar, quitte l'Alsace après son annexion à l'Empire allemand, afin de rester français, et choisit de s'établir à Oran.
Son épouse, Émilie née Leblond, a été choisie comme modèle par Auguste Bartholdi pour la statue de l'Océanie de sa Fontaine des Cinq Continents à Colmar[7], en raison de ses ascendances amérindiennes (plus précisément mexicaines)[8].
Leur fils, Jules Henri Mathieu-Saint-Laurent (1862-1942) devient avocat et fait construire une maison familiale au 11 de la rue Stora. En 1901, il épouse Joséphine Charrin (1877-1937)[9]. Ils ont plusieurs enfants dont Charles en 1909, le futur père d'Yves.
Enfance et formation
Yves Henri Donat Mathieu Saint Laurent[b] naît le à Oran[10] de Charles Mathieu-Saint-Laurent (1909-1988), président d'une compagnie d'assurances[c], et de Lucienne Wilbaux (1914-2010), elle aussi née à Oran[11], fille de l'ingénieur belge Edmond Wilbaux et de Marianne Émilie Muller, issue d'un viol et victime d'inceste[pas clair], ce qui hantera par la suite Yves Saint Laurent, selon sa nièce Marianne Vic[12].
Outre Yves, né en 1936, les parents ont deux filles : Michèle (1942-2020) et Brigitte (1945-2015).
Le jeune Yves Saint Laurent fréquente le lycée Lamoricière[13].
À la mort de ce dernier en 1957, Saint Laurent prend la direction artistique de la maison Dior. Il présente sa première collection : « Trapèze » en . Elle connaît un immense succès. Appelé à faire son service militaire et hospitalisé au Val-de-Grâce pour « dépression »[15],[16], il est licencié par la maison Christian Dior en 1960 et remplacé par Marc Bohan.
La maison Yves Saint Laurent
Yves Saint Laurent décide, en association avec Pierre Bergé qu’il a rencontré en 1958, de créer sa propre maison de couture, grâce au soutien financier du milliardaire américain J. Mack Robinson(en). Les deux hommes font également appel au graphiste Cassandre en 1961 pour la réalisation du logo de la marque.
La première collection est présentée, le , au 30 bis rue Spontini à Paris[17] ; ils y resteront douze années durant lesquelles Yves Saint Laurent créera le vestiaire de la femme moderne : il réinvente le caban et le trench-coat dès 1962, instaure pour les femmes le premier smoking en 1966, la saharienne et le premier tailleur-pantalon en 1967, les premières transparences et la première combinaison-pantalon en 1968… En se servant des codes masculins, il apporte aux femmes l’assurance, l’audace et le pouvoir, tout en préservant leur féminité[18]. Son regret, a-t-il affirmé, est de ne pas avoir inventé le jean.
Saint Laurent souhaite habiller toutes les femmes et pas seulement les riches clientes de haute couture : sa boutique Saint Laurent rive gauche, ouverte en 1966 à Paris, est la première boutique de prêt-à-porter portant le nom d’un grand couturier. Les collections, dessinées spécifiquement pour le prêt-à-porter, sont réalisées par un industriel extérieur[d]. Le succès est immédiat : des boutiques ouvrent partout en France, à New-York en 1968, à Londres en 1969 (la même année que la première boutique homme).
En 1974, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé installent la maison de couture au 5 avenue Marceau à Paris, où Saint Laurent affirme son style. Dans ses collections de haute couture, il rend hommage aux peintres, en 1965 avec les robes Mondrian, en 1966 avec les robes « pop art » et son hommage important à l’Afrique en 1967[22]. Dans les années 1970, il présente des collections-hommage à Picasso et à Diaghilev et des hommages à Matisse, Cocteau, Braque, van Gogh, Apollinaire, dans les années 1980.
Le et le de chaque année, Saint Laurent s'installe à Marrakech pour dessiner pendant quinze jours sa collection de haute couture. Le Maroc, qu’il a découvert en 1966, aura une grande influence sur son travail et ses couleurs, tout comme ses voyages imaginaires : le Japon, l’Inde, la Russie, la Chine, l’Espagne sont autant de sources d’inspirations pour ses collections.
À l'initiative de Diana Vreeland, le Metropolitan Museum of Art de New-York lui consacre une rétrospective en 1983 : c’est la première fois qu’un créateur de mode vivant expose dans ce musée. De grandes expositions seront présentées par la suite à Pékin, Moscou, Sydney, Tokyo et à Paris, au musée de la Mode et du Textile, en 1986.
En 1998, Yves Saint Laurent met en scène trois cents mannequins sur la pelouse du Stade de France à l’occasion de la Coupe du monde de football. Événement majeur qui diffuse les créations de Saint Laurent dans tous les foyers par l'intermédiaire de la télévision.
Le , il annonce lors d’une conférence de presse qu’il met fin à sa carrière. Le suivant, au centre Pompidou, un défilé rétrospectif retrace quarante années de création et présente plus de 300 modèles, dont sa dernière collection « Printemps-été 2002 ».
En 1993, le groupe Yves Saint Laurent est cédé à Sanofi. Yves Saint Laurent et Pierre Bergé gardent cependant le contrôle de la maison de couture, hors parfums et cosmétiques.
En 1998, Saint Laurent cesse de dessiner les collections de prêt-à-porter rive gauche. Alber Elbaz le remplace en tant que directeur artistique du prêt-à-porter féminin et Hedi Slimane du prêt-à-porter masculin. Tous deux ne signèrent que très peu de collections sous l'étiquette Saint Laurent rive gauche. En effet, Elf-Sanofi revend, en 1999, le groupe Yves Saint Laurent au groupe Gucci. François Pinault (PPR) impose sa marque en nommant l'Américain Tom Ford directeur artistique du prêt-à-porter. La haute couture est séparée et devient la propriété de François Pinault par l'intermédiaire de sa holding Artemis[28]. Tom Ford est remplacé par Stefano Pilati en 2004, puis Hedi Slimane en 2012. En 2016, c'est Anthony Vaccarello qui est nommé directeur artistique.
À la suite du rachat, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé conservent le contrôle exclusif de la partie haute couture de la maison. Ainsi, lorsque Yves Saint Laurent décide de se retirer en 2002, la maison de haute couture ferme ses portes. Aucun autre couturier ne le remplacera. La fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, créée la même année, ouvre ses portes en 2004 dans l’ancien hôtel particulier de l’avenue Marceau qu’occupait la maison de haute couture. Elle a pour objectif de faire rayonner l’œuvre d’Yves Saint Laurent, en France et à l’étranger.
La fondation Pierre-Bergé - Yves-Saint-Laurent, reconnue d’utilité publique le , a pour mission la conservation des 5 000 vêtements haute couture et 150 000 accessoires, croquis et objets divers qui en constituent le fonds, l’organisation d’expositions thématiques de mode, peinture, photographie, arts décoratifs, etc., et le soutien à des activités culturelles et éducatives. Le , la fondation ouvre ses portes au public avec l’exposition « Yves Saint Laurent, Dialogue avec l’Art ». Par la suite la fondation présente une grande rétrospective de l’œuvre du couturier, en 2010 au Petit Palais de Paris, et en , à l'hôtel Le Méridien d'Oran — ville natale d'Yves Saint Laurent.
Elle crée deux musées consacrés au couturier, l'un à Marrakech et l'autre à Paris, qui ouvrent tous deux en 2017[29],[30],[31].
La vente de la collection Yves Saint Laurent - Pierre Bergé
« Je ne collectionne pas, j'accumule. Ce sont des pulsions naturelles (…). J'ai de la chance : j'ai souvent trouvé les plus beaux objets en passant, la nuit, devant une vitrine[32]. »
En , une vente aux enchères organisée par les maisons Christie's et Pierre Bergé & Associés, sous la nef du Grand Palais, disperse 733 objets d'art rassemblés par Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, des peintures de Picasso, Matisse, Mondrian, Fernand Léger, des sculptures antiques égyptiennes, des objets d'art, dont notamment un très bel ensemble d'émaux de Limoges de la Renaissance. Les deux hommes avaient commencé leur collection dans les années 1950 et s'approvisionnaient notamment chez les antiquaires Nicolas et Alexis Kugel[33].
À la disparition d'Yves Saint Laurent, Pierre Bergé ne voit plus de raison de conserver leur collection car, sans Saint Laurent, « cela a perdu une grande part de sa signification »[réf. nécessaire].
Au premier jour de la vente, le tableau Les Coucous sur un tapis bleu et rose (1911) d'Henri Matisse, sous lequel le couturier a été photographié pour Vogue en 1986, atteint les 32 millions d'euros, un record pour une œuvre de ce peintre[34].
Le résultat de cette vente, d'un montant de près de 375 millions d’euros, est revenu en partie à la fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent et à la recherche contre le sida.
Musée à Oran
Sa maison natale à Oran, où il a vécu jusqu'à ses 18 ans, a été rachetée par un entrepreneur oranais nommé Mohamed Affane. Celui-ci l'a restaurée et transformée en musée qui est ouvert depuis [35]. Le mobilier d'époque a été récupéré et remplacé à l'identique. Environ quatre cents croquis d'Yves Saint Laurent sont exposés, ainsi que des photos de son enfance[36],[37].
Exposition GOLD : Les ors d’Yves Saint Laurent - musée Yves-Saint-Laurent de Paris
Publication
1967 : Yves Saint Laurent, La Vilaine Lulu, bande dessinée, texte et dessins ; rééd. 2010, Éditions de la Martinière.
Notes et références
Notes
↑En contradiction avec la grammaire française des noms propres, en même temps qu'il cessa d'user du patronyme d'origine de sa famille (Mathieu), Yves Saint Laurent abandonna le trait d'union entre « Saint » et « Laurent », à partir de 1957[1].
↑Le nom de famille est ici « Mathieu Saint Laurent ».
↑Charles Mathieu Saint Laurent possède aussi une chaîne de salles de cinéma implantées dans les pays de l'Afrique du Nord française : Algérie et protectorats du Maroc et de la Tunisie.
↑La fabrication est assurée par l'entreprise C. Mendès fondée, entre autres, par Didier Grumbach.
Références
↑« Yves Saint Laurent », Encyclopédie, sur larousse.fr (consulté le ) : « Le jeune homme prend la tête de la maison Dior. Il décide aussitôt de retirer le tiret de son patronyme : il devient Yves Saint Laurent. ».
« Un communiqué paraît deux jours plus tard dans Le Monde : « […] l'état de santé de M. Saint Laurent, qui souffrirait depuis plusieurs mois déjà de dépression nerveuse, a rendu cette mesure nécessaire. »
↑Marie-Christine Lasnier, « Yves Saint Laurent, musée du Petit Palais », sur nationetrepublique.fr, (consulté le ) : « Un smoking Saint Laurent noir […] c’était un vêtement de style et non un vêtement de mode passagère. »
Alice Drake, Beautiful People, Saint Laurent, Lagerfeld, splendeurs et misères de la mode, Denoël, , (ISBN978-2207260326)
Martin Peltier (« Fiona Levis »), Saint Laurent, l'homme couleur de temps, Monaco, Le Rocher, coll. « Biographie », 2008, 201 p. (ISBN978-2-268-06533-5)
Robert Murphy, Pierre Bergé et Ivan Terstchenko, Les Paradis d'Yves Saint Laurent et Pierre Bergé Albin Michel, 2009
Pierre Bergé, Yves Saint Laurent, l'œuvre intégral. Haute couture 1962-2002, éditions de La Martinière, 2010
Yves Saint Laurent mis à nu, inédits et portraits rares de Jeanloup Sieff, édition Albin Michel, 2010
Sandro Cassatti, Yves Saint Laurent : l'enfant terrible, Saint-Victor-l'Epine, City éditions, coll. « City Biographie », , 233 p. (ISBN978-2-8246-0436-7)
Fabrice Thomas, Saint Laurent et moi : une histoire intime, Hugo Document, 2017
Marianne Vic, Rien de ce qui est humain n'est honteux, Fayard, 2018
Filmographie
1994 : Tout terriblement, de Jérôme de Missolz, Lieurac Productions
2002 : Le Temps retrouvé, de David Teboul, Movimento, Canal +
2002 : Yves Saint Laurent, 5, avenue Marceau, 75116 Paris de David Teboul, Movimento Production, Canal +, Transatlantique Vidéo
Le couturier est le sujet de plusieurs films biographiques. La vie de Saint Laurent est adaptée deux fois au cinéma la même année : les deux films, de studios et de distributions différents, sont produits quasi simultanément : Yves Saint Laurent et Saint Laurent devaient sortir au cinéma respectivement en et , pour éviter un effet doublon, la sortie du second film est finalement décalée à .
Le deuxième long métrage, Saint Laurent, est réalisé par Bertrand Bonello avec Gaspard Ulliel dans le rôle titre, Jérémie Renier dans celui de Bergé et Helmut Berger dans celui d'Yves Saint Laurent âgé. Pierre Bergé désapprouvant le film, il n'autorise pas les équipes de production à consulter les archives. Ce film se concentre sur la période phare du couturier, de 1967 à 1976. Cette période particulière est celle de son ascension professionnelle mais aussi de ses nombreux déboires de vie privée. Le film est sélectionné pour le 67e Festival de Cannes.